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Licenciement abusif de l’ouvrier et motif grave : articulation des règles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 avril 2013, R.G. 2011/AB/558

Mis en ligne le lundi 15 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 22 avril 2013, R.G. n° 2011/AB/558

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 avril 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en l’absence d’autres motifs de licenciement qu’un motif grave non établi, le licenciement est abusif. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation.

Les faits

Un ouvrier au service d’un fabricant et distributeur automobile est envoyé, avec d’autres collègues, en mission en Allemagne. Il utilise son véhicule personnel et transporte ses collègues régulièrement, en début et fin de semaine lors des trajets domicile - lieu de travail. Intervient une discussion quant à des montants que le conducteur aurait réclamés aux collègues transportés, pour frais de carburant. Des tickets sont en effet rentrés à l’employeur, qui les rembourse. Une enquête est initiée, dans laquelle les divers intéressés sont entendus, et, en fin de compte, le conducteur est licencié pour motif grave. Celui-ci consiste essentiellement en une fraude de remboursement de frais professionnels. La lettre de licenciement est extrêmement détaillée en ce qui concerne les griefs.

L’intéressé conteste aussitôt les faits et donne des explications complémentaires à celles qu’il avait déjà fournies précédemment. Il joint une attestation sur l’honneur dans laquelle il dit ne pas comprendre le licenciement pour motif grave.

Ultérieurement, la société lui rembourse – étrangement - des montants qu’il disait avoir exposés et qu’elle avait considérés comme grief à l’appui du motif grave.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 21 février 2011, le tribunal du travail considère que les délais fixés à l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 n’ont pas été respectés. Il alloue en conséquence une indemnité compensatoire de préavis et fait également droit aux autres chefs de demande, dont l’indemnité de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

La société interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour va longuement analyser la question du motif grave. Il s’agit d’un examen essentiellement en fait, dans lequel elle relève que la bonne foi de l’intéressé est évidente, précisant notamment que le caractère professionnel des dépenses est dûment avéré. En ce qui concerne d’autres frais que les frais de carburant – également en cause -, la cour admet qu’ils étaient liés à l’installation (temporaire) de l’intéressé en Allemagne, son nouvel environnement de travail nécessitant un minimum de confort.

Elle relève ensuite que la société ne peut se retrancher derrière l’impossibilité de contrôler les dépenses de ses ouvriers à l’étranger au motif qu’une « nécessaire confiance » doit exister. Elle souligne en effet que tout remboursement de frais implique un minimum de contrôle ou tout au moins de vérification des sommes et justificatifs.

Elle en conclut, s’écartant en ce de l’argumentation du tribunal, que non seulement les délais de l’article 35 ne sont pas respectés (ce que le premier juge avait déjà retenu) mais également que les motifs graves invoqués ne sont pas établis. En conséquence, elle confirme le droit pour l’intéressé à une indemnité compensatoire de préavis.

Se pose ensuite l’examen du chef de demande relatif à une indemnité pour licenciement abusif, la société considérant sur ce point que même si les faits en cause ne revêtent pas la gravité exigée pour conclure à la validité du motif grave le licenciement n’en devient pas abusif pour autant, le comportement de l’intéressé étant mis en cause.

La cour rejette cette manière de voir, renvoyant à l’arrêt du 22 juin 2009 de la Cour de cassation (Cass., 22 juin 2009, S.09.0001.N), selon lequel lorsque l’employeur n’établit pas la réalité du fait invoqué comme motif grave, le licenciement est abusif au sens de l’article 63, en l’absence d’autres raisons, vu que la raison invoquée est inexistante.

Elle rappelle ensuite qu’elle n’a pas considéré que les faits n’avaient pas le caractère de gravité requis au sens de l’article 35 pour constituer un motif grave mais qu’au contraire pour autant que de besoin elle a dit pour droit qu’aucune faute n’était établie.

Relevant que le contrôle judiciaire est un contrôle marginal, qui porte sur l’existence et la preuve du motif invoqué (sans examiner l’opportunité de la décision de l’employeur), elle constate que l’existence des motifs graves allégués n’est pas avérée et qu’aucun autre motif n’est produit. Le licenciement doit dès lors être considéré comme abusif au sens de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait le lien entre le motif grave et le motif licite de licenciement, deux mécanismes distincts, prévus aux articles 35 et 63 de la loi du 3 juillet 1978.

En l’absence de motif grave, comme la cour du travail le rappelle, il n’y a pas nécessairement licenciement abusif, mais dans l’hypothèse d’absence de preuve du motif invoqué et s’il n’y a aucun autre motif, la logique impose de conclure au caractère abusif du licenciement.

La Cour de cassation avait rappelé dans son arrêt du 22 juin 2009, cité par la cour du travail, que le licenciement est abusif au sens de l’article 63 de la loi sur les contrats de travail lorsque l’employeur licencie un ouvrier pour motif grave mais n’apporte pas la preuve du fait invoqué à ce titre et n’invoque aucune autre justification. Pour la Cour suprême le motif ainsi invoqué est considéré comme inexistant. Dans l’espèce, ayant abouti à l’arrêt de la Cour de cassation, il s’agissait d’un vol non établi et la Cour avait considéré qu’il y a violation de l’article 63 si le juge du fond décide qu’un vol invoqué comme motif grave n’est pas établi et que le juge du fond n’alloue pas d’indemnités pour cause de licenciement abusif au motif que l’employeur pouvait raisonnablement présumer que le travailleur était impliqué dans le vol et qu’il y avait ainsi des motifs précis pour procéder au licenciement.


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