Terralaboris asbl

Compétence des juridictions du travail : quid des décisions de la Commission de dispense de cotisations sociales pour indépendants ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mai 2013, R.G. 2012/AB/80

Mis en ligne le mardi 6 août 2013


Cour du travail de Bruxelles, 23 mai 2013, R.G. n° 2012/AB/80

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 mai 2013, la Cour du travail de Bruxelles reconnait la compétence des juridictions du travail pour connaître des décisions de la Commission de dispense de cotisations : elles peuvent exercer sur celles-ci un contrôle de légalité.

Les faits

Une avocate, inscrite à la liste des stagiaires, sollicite, dès le lendemain de son inscription, une demande de dispense de cotisations sociales. Elle fait valoir que, pendant la première année du stage d’avocat, elle percevra un montant mensuel brut de 750€, tout en devant faire face à des charges importantes.

La Commission fait partiellement droit à sa demande, étant qu’elle l’accepte pour un trimestre et la refuse pour le trimestre qui suit, considérant l’absence dans le dossier de tout élément démontrant l’état de besoin. La Commission admet l’existence de frais d’installation élevés en début d’activité ainsi que le laps de temps nécessaire pour créer une clientèle.

L’intéressée introduit une action contre le SPF Sécurité sociale devant le tribunal du travail. Elle y sollicite la dispense pour trois trimestres.

Par jugement du 3 novembre 2011, le tribunal du travail se déclare compétent pou connaître de la demande. Il ordonne la réouverture des débats en ce qui concerne le fond.

L’Etat belge interjette appel.

Moyens des parties devant la cour

L’essentiel du débat porte sur le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux du travail pour connaître du recours dirigé contre la décision de la Commission de dispense de cotisations, l’Etat belge considérant qu’il n’existe aucun droit subjectif à obtenir une telle dispense et que la compétence de cette Commission est discrétionnaire, ce qui entraîne la compétence du Conseil d’Etat pour les recours à introduire.

Quant à l’intéressée, elle demande à la cour de confirmer que la contestation relève du pouvoir de juridiction des tribunaux du travail.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle, après les articles 144 et 145 de la Constitution ainsi que l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, que la compétence générale d’annulation confiée à cette dernière juridiction a un caractère strictement supplétif et qu’elle n’a pas pour effet de supprimer les compétences spéciales précédemment confiées au pouvoir judiciaire. La cour renvoie à la doctrine sur la question (H. MORMONT, « Le contrôle judiciaire des décisions de l’ONSS en matière de renonciation aux sanctions civiles », in La sécurité sociale des travailleurs salariés. Assujettissement, cotisations, sanction., Larcier, 2010, p. 466).

La cour se lance, ensuite, dans une très longue analyse de l’évolution jurisprudentielle sur la question, revenant aux décisions rendues par la Cour constitutionnelle ainsi que par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat lui-même, qui ont affiné, depuis 2004, leur jurisprudence sur la question et ont admis que les articles 580 et suivants du Code judiciaire, qui fondent la compétence des juridictions du travail, ont une portée générale. Ils organisent, selon la cour, à côté de la compétence pour les litiges dont l’objet réel est un droit subjectif en matière de sécurité sociale, un recours spécial, qui paralyse pour les décisions des institutions de sécurité sociale mettant en œuvre une compétence discrétionnaire la compétence supplétive du Conseil d’Etat.

La cour reprend de manière très complète les grandes étapes de cette évolution jurisprudentielle et, revenant à la doctrine (citée), pose la question de savoir si les tribunaux du travail ont un pouvoir de juridiction sur les décisions de la Commission de dispense, étant de savoir si ce point n’est pas resté à l’écart de la large évolution jurisprudentielle décrite.

Le Conseil d’Etat s’était déclaré incompétent dans une telle espèce et, un pourvoi ayant été dirigé contre cet arrêt, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 8 mars 2013 (Cass., 8 mars 2013, C.12.0408.N) qu’en cas de contestation sur cette question, il nait entre l’indépendant et l’Etat belge une contestation sur l’obligation de payer les cotisations, qui découle des lois et règlements en la matière. Celle-ci est de la compétence matérielle du tribunal du travail, en vertu de l’article 581, 1° du Code judiciaire et, partant, relève du pouvoir de juridiction des cours et tribunaux. La Cour de cassation y a précisé que la question de l’étendue du contrôle qu’exerce le juge est étrangère à la détermination de sa compétence.

La cour du travail va dès lors partir de ces principes pour rencontrer les arguments du SPF Sécurité sociale, étant que (i) la Commission statue sans appel, (ii) il n’y a pas de droit subjectif à la dispense et (iii) il ne s’agit pas d’une contestation relative aux obligations de payer les cotisations au statut social.

La cour du travail considère, en effet, que

  • l’absence d’appel administratif n’a pas pour effet de soustraire le recours au pouvoir de juridiction des cours et tribunaux,
  • il en va de même pour l’argument selon lequel il n’y a aurait pas de droit subjectif à la dispense,
  • il s‘agit bien d’une contestation relative aux obligations de payer les cotisations au statut social et à cet égard la circonstance que la Commission de dispense (non plus que le SPF Sécurité sociale) n’a qualité pour poursuivre le recouvrement de ces cotisations n’a d’intérêt.

La cour du travail rappelle encore, renvoyant à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière d’allocations aux personnes handicapées (C. const., 15 février 2006, arrêt n° 26/2006), que la disposition légale qui exclut tout recours judiciaire contre une décision administrative n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, et ce eu égard à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle renvoie ensuite à la jurisprudence de la Cour européenne et précise expressément que l’accès à un juge indépendant et impartial fait partie des garanties prévues par celle-ci.

Elle va, ensuite, se pencher sur la nature et la portée du contrôle exercé par les juridictions du travail, le contrôle de légalité (tant externe qu’interne) ne permettant pas de pouvoir de substitution. Elle renvoie ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 11 décembre 2006 (Cass., 11 décembre 2006, S.06.0016.N). Le juge ne peut faire preuve « d’administration active » comme le précise expressément la cour, et empiéter sur l’appréciation des motifs d’intérêt général à la base de l’octroi ou du refus de la dispense de cotisations.

Relevant que la dispense permet de maintenir certains droits (l’exemple cité par la cour étant l’autorisation de séjour accordé pour circonstances exceptionnelles – loi du 15 décembre 1980, article 9bis), ceci n’implique pas qu’il existe un droit subjectif à celle-ci. Il appartient dès lors au juge de vérifier l’état de besoin, ceci ne s’identifiant pas avec la reconnaissance du droit subjectif à une prestation (et la cour renvoie ici à la matière de l’aide sociale). Le contrôle judiciaire va porter sur la question de savoir dans quelle mesure un travailleur indépendant peut être déchargé d’une dette de cotisations à laquelle il est tenu par l’effet de la loi.

L’intéressée invoquant ici une violation de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, la cour reprend les principes en la matière et, particulièrement, l’exigence d’une motivation adéquate.

Relevant que le refus de dispense a été motivé par l’absence d’éléments démontrant l’état de besoin actuel de l’intéressée, elle conclut que la décision n’indique pas les circonstances concrètes, à savoir les éléments de fait, qui ont amené la Commission à refuser la dispense, s’agissant en l’espèce d’une motivation vague et stéréotypée.

La cour va dès lors annuler pour violation de la loi du 29 juillet 1991 la décision de la Commission de dispense et inviter celle-ci à statuer sur la demande.

Dans l’attente, elle ordonne la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est capital dans la mesure où il admet le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux du travail sur les décisions de la Commission de dispense de cotisations pour travailleurs indépendants.

Fortement documenté, l’arrêt reprend l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2013, déterminant sur la question. Il dessine également les contours du contrôle judiciaire, qui est un contrôle de légalité. S’agissant d’une décision administrative au sens de la loi du 29 juillet 1991, la décision de la Commission de dispense doit respecter l’ensemble des obligations qui sont fixées par la loi en ce qui concerne la motivation.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be