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Divorce et changement d’allocataire : dans quelles conditions les paiements de la Caisse d’allocations familiales à l’allocataire qui a perdu cette qualité sont-ils valables ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 avril 2013, R.G. 2011/AB/966

Mis en ligne le mercredi 7 août 2013


Cour du travail de Bruxelles, 29 avril 2013, R.G. n° 2011/AB/966

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 29 avril 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions pour que des paiements effectués par la Caisse à celui qu’elle considérait comme le bon allocataire (mais qui ne l’était plus) soient libératoires.

Les faits

Un couple a cinq enfants. La mère, chômeuse de longue durée, est allocataire d’allocations familiales (taux majoré) depuis le 1er décembre 1995. Dix ans plus tard, soit en 2005, trois des cinq enfants poursuivent leur scolarité à l’étranger et il en va de même du quatrième l’année suivante. Seul le cinquième enfant reste scolarisé en Belgique. Le couple se sépare en 2007 et suite aux mesures provisoires ordonnées par le juge de paix dans le cadre d’une procédure sur pied de l’article 223 du Code civil, la Caisse est informée par le conseil de l’époux du fait que la mère continue à percevoir les allocations familiales. Cependant, elle ne réside plus avec son mari et n’a plus d’enfant à charge. Le paiement des allocations est dès lors suspendu.

Suite à l’introduction d’une procédure en divorce à l’initiative du mari, l’épouse va inscrire les enfants à son domicile. L’ordonnance rendue en référé dans le cadre du divorce fixe cependant le domicile des enfants à l’ancienne résidence conjugale. Il est également prévu que les allocations familiales seraient partagées par moitié entre les parties. En exécution de cette décision, et suite aux initiatives prises par le père pour les concrétiser, les enfants sont inscrits avec lui et la Caisse verse les allocations familiales chez lui. Informée de la situation, la mère introduit une procédure devant le tribunal du travail, vu la décision de la Caisse de verser les allocations en totalité au père.

Les enfants étant rentrés en Belgique, le tribunal de la jeunesse décide alors que leur hébergement se fera chez le père. La Caisse va, alors, adresser un courrier à la mère réclamant un important indu, avec une prescription de trois ans. Celui-ci porte sur l’ensemble de la période où les enfants ont poursuivi leur scolarité à l’étranger. La Caisse motive sa décision, considérant qu’ils n’avaient droit pendant cette période qu’aux allocations familiales au montant de l’état où ils se trouvaient et non au taux appliqué en Belgique, et ce vu la convention générale de sécurité sociale entre les deux pays.

Dans le cadre de l’appel de l’ordonnance de référé, la Cour d’appel de Bruxelles rend un arrêt un arrêt le 20 mai 2010, considérant que c’est le père qui doit percevoir seul l’intégralité des allocations familiales, et ce à dater de l’introduction de la procédure en divorce.

Dans la suite des discussions, la Caisse reverra légèrement le montant de la récupération, eu égard à certaines sommes qui étaient restées bloquées.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal va longuement rencontrer de nombreux éléments de fait, l’époux étant intervenu volontairement dans le cadre de la procédure et ayant des demandes distinctes de celles de la mère, dans le cadre de la demande de récupération formée par la Caisse.

Il va, par jugement du 9 septembre 2011, reprendre le détail des paiements effectués, ainsi que des sommes bloquées et constater que la mère avait la qualité d’allocataire jusqu’au 30 septembre 2008 (soit jusqu’à l’intentement de la procédure en divorce) et que le père a eu cette qualité depuis. Il fixe le principe de l’indu dans le chef de la mère pour les périodes concernées et ordonne une réouverture des débats.

La Caisse interjette appel.

Position des parties en appel

L’objet de l’appel est limité, portant notamment sur le taux (écart entre les montants belges et les montants fixés en droit marocain). Elle rappelle que, sous réserve des conventions internationales, les allocations familiales ne sont dues que si les enfants résident et sont élevés en Belgique et que, en l’occurrence s’agissant de la Convention générale belgo-marocaine de sécurité sociale (et de l’Arrangement administratif relatif aux modalités d’application de celle-ci), les allocations doivent être versées à l’exception de toute allocation spéciale ou majorée résultant de la législation belge. Il y a en outre un plafond.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle sur cette question le mécanisme de la convention générale belgo-marocaine de sécurité sociale et de l’Arrangement administratif d’application. Elle se penche sur la question de savoir quand le changement de situation doit prendre effet, dans la mesure où l’article 48, alinéa 4 des lois coordonnées prévoit que tout événement impliquant une modification du montant des allocations familiales donne lieu à l’octroi du montant modifié à partir du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel l’événement en cause est survenu. Or, elle relève que le retour des enfants en Belgique ne fait pas naître un nouveau droit, mais a une incidence sur le montant des allocations. Le changement ne devait, ainsi, intervenir que le premier jour du mois suivant le retour en Belgique, les allocations devant encore être payées normalement pour le mois en cours en vertu de la Convention générale de sécurité sociale belgo-marocaine. Elle fait dès lors droit à l’appel de la Caisse sur cette question.

C’est cependant le caractère libératoire des paiements effectués à la mère qui va requérir davantage de développements.

La désignation de l’allocataire figure en effet à l’article 69, § 1er, alinéa 3 des lois cordonnées, en cas de séparation des conjoints et dans cette hypothèse les allocations sont en principe versées à la mère mais elles sont payées intégralement au père à dater de sa demande si l’enfant et lui-même ont à cette date la même résidence (au sens de la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques). Lorsqu’en cas d’autorité parentale conjointe les enfants sont inscrits au domicile du père et qu’il en fait la demande, il devient l’allocataire. En l’espèce, l’autorité parentale est restée conjointe, comme la cour le constate et les deux conditions requises sont remplies à une date antérieure à celle retenue par la Caisse, étant le mois de mars, vu l’inscription au domicile du père en février (en exécution de l’ordonnance de référé) et la demande adressée début mars par le père afin que la Caisse verse les allocations sur son compte.

La Caisse considérant que l’ordonnance de référé ne lui est pas opposable, la cour rappelle qu’il n’appartient pas à la juridiction des référés chargée de déterminer les mesures provisoires dans une procédure en divorce de modifier (et la cour souligne en l’occurrence en l’espèce avec effet rétroactif en sus) l’allocataire. La Caisse n’étant pas partie à la procédure, la décision ne lui est pas opposable. Il en va de même de l’arrêt de la cour d’appel. En cas de délégation de sommes, c’est la notification par pli judiciaire qui peut rendre celle-ci opposable à la Caisse et cette dernière n’a dès lors aucune obligation de verser rétroactivement les allocations à la personne qu’elle désigne.

La cour examine également l’argument tiré de l’article 1240 du Code civil, selon lequel le paiement fait de bonne foi à celui qui est en possession de la créance est valable, encore que le possesseur en soit par la suite évincé et elle rappelle à cet égard un arrêt de la Cour du travail de Liège du 28 novembre 2006 (C. trav. Liège, sect. Namur, 28 novembre 2006, R.G. n° 7910/05) selon lequel le paiement fait à une personne qui paraît être le créancier est libératoire vis-à-vis du débiteur s’il est de bonne foi. Le paiement d’allocations familiales effectué en faveur d’une personne qui apparaît comme étant l’allocataire est dès lors valable lorsque la Caisse n’est informée qu’ultérieurement du changement d’allocataire et il y a lieu d’apprécier la bonne foi de la Caisse au moment du paiement litigieux et non en fonction d’éléments qui ne seraient connus que plus tard.

La cour va dès lors déterminer, en fonction des périodes, les paiements qui peuvent être considérés comme ayant été faits de bonne foi.

De nouveaux décomptes s’avèrent, par conséquent, nécessaires et la cour ordonne la réouverture des débats à cette fin.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail, dans une affaire très complexe quant aux faits (départs et retours successifs de plusieurs enfants, procédure en séparation de fait suivie d’une procédure en divorce donnant lieu à diverses décisions des juridictions civiles) rappelle essentiellement deux points importants en matière d’allocations familiales des travailleurs salariés :

  • le dispositif de l’article 69, § 1er, alinéa 3 des lois coordonnées qui détermine l’allocataire en cas de séparation des conjoints,
  • la non opposabilité à une Caisse d’allocations familiales de décisions rendues dans le cadre d’une procédure en divorce à laquelle elle n’était pas partie, et ce jusqu’à la notification des mesures décidées.
    La cour rappelle également que la bonne foi s’apprécie au moment du paiement effectué par la Caisse en non en fonction d’éléments qui n’apparaîtraient qu’ultérieurement.

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