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Travailleur indépendant et incapacité de travail : critères de l’évaluation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 juin 2013, R.G. 2012/AB/677

Mis en ligne le lundi 9 septembre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 21 juin 2013, R.G. n° 2012/AB/677

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles reprend les critères d’évaluation de l’incapacité de travail des travailleurs indépendants, après la première année d’incapacité : pour la cour, les fonctions dont le travailleur indépendant peut être équitablement chargé ne peuvent pas être illusoires et il ne peut non plus s’agir de petits boulots.

Les faits

Un indépendant travaille comme garagiste pendant près de vingt ans (1982-2000). Il reprend alors un salon lavoir, qu’il exploite les six années qui suivent. Il tombe en incapacité de travail, notamment due à de gros problèmes au coude droit.

Il est admis dans le secteur des soins de santé et indemnités jusqu’en septembre 2009 où le médecin conseil de la mutuelle estime qu’il n’est plus incapable de travailler au sens de la réglementation.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Bruxelles, qui désigne un expert par jugement du 20 juillet 2011.

Selon l’expert, l’organisme assureur a à bon droit considéré que l’intéressé ne présentait plus une incapacité au sens de l’article 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971. L’expert décrit les professions qui sont encore accessibles à l’intéressé.

Le rapport est entériné par jugement du 24 mai 2012.

L’intéressé interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle, dans un premier temps, les articles 19 et 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant une assurance indemnités pour les travailleurs indépendants. Les critères dégagés par cette disposition distinguent la première période d’incapacité et la période ultérieure. Aux conditions de l’article 19, qui exige que l’indépendant ait dû mettre fin à l’accomplissement de ses tâches d’indépendant en raison de lésions ou de troubles fonctionnels et qu’il n’exerce aucune activité pendant son incapacité, s’ajoute, après la première année, la condition qu’il soit incapable d’exercer une activité professionnelle quelconque dont il pourrait être chargé équitablement. Les critères relatifs à celle-ci sont sa condition, son état de santé et sa formation professionnelle.

La cour en vient alors à la nature des activités qu’il faut prendre en compte. Ce n’est pas uniquement celles qui ont été exercées précédemment, ni même un secteur déterminé qu’il faut retenir et elle renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, sect. Namur, 17 décembre 2002, R.G. n° 7.039/2001), qui a retenu ce principe, surtout lorsqu’il s’agit d’un travailleur indépendant encore jeune et dont l’état de santé devrait lui permettre de travailler dans d’autres secteurs permettant notamment d’exercer un emploi plus léger avec des efforts physiques moins soutenus.

Elle relève toutefois que le critère de l’arrêté royal en son article 20 est l’équité. Ceci doit être compris comme atténuant l’exigence de l’inaptitude à toute activité professionnelle. Elle renvoie sur ce point de la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 13 mars 1996, R.G. n° 11.613). Rappelant encore que la notion d’incapacité totale à 100% prévue par la réglementation est une notion purement théorique et qui ne se rencontre que dans des cas extrêmes (Cass., 20 décembre 1993, Pas., 1993, n° 553), elle en vient à l’appréciation des possibilités de reprise, soulignant que celles-ci doivent être réelles et qu’il faut se référer à un poste de travail concret et convenable et non illusoire ou chimérique. En outre, doit être rejetée, par exemple, la possibilité de travail à temps partiel, l’activité visée devant permettre au travailleur indépendant de gagner sa vie et ne pouvant pas être assimilée à un passe-temps.

Ces principes ainsi dégagés au travers du renvoi à une jurisprudence importante, la cour examine la pathologie de l’intéressé, étant une chrondropathie sévère du coude droit ainsi que d’autres affections (neuropathie au même coude, syndrome du canal carpien et discopathies pluri-étagées). Cette situation a été admise par l’expert et c’est sa conclusion, à partir de ce tableau, qu’elle examine ensuite, celui-ci admettant la réduction importante du périmètre de marche et l’impossibilité de travailler comme garagiste ou de gérant de salon lavoir (les deux activités exercées par l’intéressé). La cour constate également que l’expert a exclu les travaux de force.

Elle examine ce qui lui reste comme marché du travail et constate que l’expert a visé, dans les professions toujours accessibles, la représentation commerciale ou encore la fonction de conseiller technique en grande surface.

Le travailleur avait chargé son médecin de recours, dans le cadre de l’expertise, de faire des observations quant à ces propositions de l’expert et celui-ci y avait répondu par le constat que cette reconversion ne pouvait apparaître non équitable. Or, les contestations de l’intéressé sur les propositions de l’expert portent sur le fait que ces professions ne se rencontrent pas dans la pratique et qu’elles ne peuvent dès lors constituer une reconversion possible.

La cour suit les objections du travailleur indépendant, et ce eu égard aux éléments de l’espèce : (i) il est âgé de 55 ans, (ii) il n’a pas suivi de formation spécialisée, (iii) son expérience professionnelle est limitée à deux secteurs qui lui sont fermés, (iv) son périmètre de marche est limité et (v) il lui est impossible d’exécuter des travaux de force.

La cour conclut qu’elle n’aperçoit pas dans quelle profession il pourrait gagner sa vie, vu ces conditions.

Elle conclut dès lors au caractère non réaliste des conclusions de l’expert, qui a à tort estimé qu’un travailleur de plus de 55 ans pouvait du jour au lendemain se reconvertir dans une fonction commerciale exigeant un sens des relations ainsi que de l’argumentation et des contacts.

Elle note encore que l’intéressé a été assujetti au statut social pendant plus de 25 ans et l’on ne peut par ailleurs exiger de lui une reconversion dans des « petits boulots ».

Intérêt de la décision

C’est par une analyse concrète des possibilités pour le travailleur indépendant de se reconvertir sur le marché du travail que cet arrêt est intéressant. Il s’écarte de la conclusion par trop théorique de l’expert judiciaire, qui, sans examiner les possibilités réelles pour l’intéressé d’opérer une reconversion, avait estimé que constituaient encore un marché du travail accessible équitablement des fonctions d’une toute autre nature et qui n’avaient jamais été exercées.

La cour a dans cet arrêt apprécié très adéquatement les critères à prendre en cause, étant la condition de l’intéressé, son état de santé et sa formation professionnelle.


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