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Emploi des langues et procédure interne de licenciement : conséquences du non respect du décret du 19 juillet 1973

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 juin 2013, R.G. 2012/AB/765

Mis en ligne le lundi 9 septembre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 4 juin 2013, R.G. n° 2012/AB/765

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 4 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes en vigueur en matière d’emploi des langues dans les relations sociales concernant les entreprises ayant un siège d’exploitation sur le territoire flamand. Elle renvoie également à l’arrêt du 16 avril 2013 de la Cour de Justice de l’Union Européenne, non applicable dans les situations non transfrontalières.

Les faits

Une représentante de commerce engagée pour compte d’une société ayant son siège à Zaventem reçoit un avertissement écrit en septembre 2008 (adressé en langue française), avertissement qui fait suite à un entretien tenu quelques jours plus tôt.

Un deuxième avertissement lui est encore adressé quelques semaines plus tard, dans les mêmes circonstances. L’intéressée répond en français par lettre recommandée. La société notifie par courrier recommandé rédigé en néerlandais la rupture du contrat sur le champ un mois plus tard, se référant à une procédure fixée par convention collective d’entreprise en cas de « dysfonctionnement individuel ». Elle paie une indemnité de préavis de quatre mois et une indemnité d’éviction de trois mois. Sur le C4 figure la mention « chiffre d’affaires insuffisant ».

Une mise en demeure est alors adressée par l’intéressée, en langue française, portant sur l’indemnité spéciale de protection prévue dans la convention collective d’entreprise.

Une procédure est alors introduite par l’employée, devant le Tribunal du travail de Bruxelles, en langue néerlandaise.

Cette procédure porte uniquement sur l’indemnité spéciale.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 16 décembre 2001, le tribunal du travail constate le non respect de la procédure prévue dans la convention collective d’entreprise au motif que les avertissements adressés avant le licenciement devaient être considérés comme nuls, vu le non respect du décret (décret du Conseil Flamand du 19 juillet 1973) sur l’emploi des langues. Ils avaient en effet été adressés en français.

Appel est interjeté par la société.

Position des parties en appel

Pour la société, les avertissements, adressés par voie recommandée, doivent être pris en compte et ils ne peuvent être considérés comme nuls, dans la mesure où l’intéressée a admis les avoir reçus et y a d’ailleurs répondu. La procédure interne a dès lors été respectée. Elle fait également valoir la mauvaise connaissance du néerlandais par une majorité des travailleurs de l’entreprise – dont l’intéressée – raison pour laquelle la correspondance a eu lieu en français.

Quant à l’intimée, elle considère que, l’entreprise ayant son siège d’exploitation sur le territoire flamand, seul le néerlandais pouvait être utilisé dans les relations sociales. L’usage du français rend les avertissements nuls et ceux-ci ne peuvent être pris en compte.

La nullité ne peut pas par ailleurs être couverte. Vu l’absence d’avertissements réguliers, la procédure de licenciement prévue par convention collective n’a dès lors pas été respectée.
Elle fait également valoir que ce non respect découle également d’autres circonstances.

Décision de la cour du travail

La cour examine essentiellement la question de l’emploi des langues.

Elle rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 22 avril 2002, S.01.0090.N) selon laquelle le siège d’exploitation est tout établissement ou tout centre présentant une certaine permanence auquel est rattaché un membre du personnel et où se déroulent en principe les relations sociales entre l’employeur et le travailleur : c’est là que le membre du personnel est normalement chargé de ses tâches, que lui sont données des instructions, que toutes les communications lui sont faites et qu’il s’adresse à son employeur.

En l’espèce, le siège auquel l’intéressée est liée est situé en territoire flamand et l’article 2 du décret sur l’emploi des langues prévoit que l’employeur doit utiliser exclusivement le néerlandais dans les relations sociales entre travailleurs et employeurs dans les actes et documents prescrits par la loi, ceci valant tant (article 3) pour les communications orales qu’écrites.

La cour rejette l’argument de la société tiré d’un récent arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (C.J.U.E., 16 avril 2013, C-202/11) au motif que cette jurisprudence concerne les situations transfrontalières.

La cour précise également que la société a manqué à son obligation d’aviser la délégation syndicale de la procédure de licenciement et elle reprend, de manière circonstanciée, les manquements intervenus à cet égard. Elle en conclut qu’il y a non respect de la convention collective, son article 4 précisant expressément que le licenciement ne peut être régulier que si l’ensemble des éléments de la procédure ont été respectés.

Parmi ceux-ci figurait notamment l’obligation d’informer la délégation syndicale lors de chaque avertissement, s’intégrant dans la procédure de « dysfonctionnement individuel », obligation devant en sus intervenir le jour même. Elle en conclut que l’appel de la société doit être rejeté, l’indemnité spéciale étant due.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est l’occasion de revenir à l’arrêt du 16 avril 2013 de la Cour de Justice de l’Union Européenne, arrêt dans lequel la Grande Chambre a conclu que l’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’une entité fédérée d’un Etat membre telle que celle dont elle avait été saisie (étant précisément le décret du Conseil Flamand du 19 juillet 1973 réglant l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs ainsi qu’en matière d’actes et de documents d’entreprises imposés par la loi et les règlements), qui impose à tout employeur ayant son siège d’exploitation sur le territoire de cette entité de rédiger les contrats de travail à caractère transfrontalier exclusivement dans la langue officielle de cette entité fédérée, sous peine de nullité de ces contrats, relevée d’office par le juge. En l’occurrence, l’acte dont la nullité était vantée était le contrat de travail.


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