Terralaboris asbl

La protection légale suppose l’existence d’un contrat de travail - examen concret (rémunération et lien de subordination)

Commentaire de C. trav. Liège, 7 août 2007, R.G. 32.803/04, 33.016/05, 33.639/05

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Liège, 7 août 2007, R.G. 32.803/04, 33.016/05, 33.639/05

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 7 août 2007, la Cour du travail, saisie de la question de l’existence d’un contrat de travail en vue de l’application de la loi sur les accidents du travail, se prononce sur les éléments constitutifs, réservant des considérations très intéressantes sur les notions de rémunération convenue et d’autorité.

Les faits

La société X possède un site immobilier, ancien hôpital désaffecté, composé, outre du bâtiment principal, d’un immeuble de deux étages voué à la démolition. La société soeur Y, active dans le domaine des travaux de génie civil, se charge de la réhabilitation du site, transformé en maison de repos.

Pour ce qui est de la démolition de l’immeuble annexe, la société Y fait appel à Monsieur J.C., chômeur possédant une immatriculation au registre de commerce et exerçant des activités secondaires de récupération de métaux. Il est convenu entre eux que la démolition serait achevée le 30 avril 1998 et, que, en contrepartie de la tâche, J.C. se paierait sur les matériaux récupérés.

Celui-ci débute sa tâche le 1er avril 1998. A mi-parcours, il s’aperçoit que, sans aide, les délais ne pourraient être tenus. C’est ainsi qu’il s’adjoint Monsieur V.H., chômeur ne possédant que quelques notions de maçonnerie. Ce dernier est véhiculé de son domicile au chantier par J.C.

Le 17 avril 1998, alors qu’il est occupé à desceller des briques d’un mur, V.H. fait une chute de 3,5 mètres, suite à l’affaissement de celui-ci. La chute occasionne de graves lésions.

A la suite de l’accident, diverses enquêtes sont menées à l’initiative de l’Auditorat du travail, du F.A.T. et du Ministère des Affaires sociales. L’absence de toute mesure de sécurité est constatée. Une action pénale est également menée, aboutissant au renvoi de Monsieur J.C. en correctionnelle, où il subit une peine d’amende pour défaut d’immatriculation à l’ONSS, d’assurance et de tenue d’un registre du personnel.

De leur côté, la victime ainsi que son organisme assureur (mutuelle) sollicitèrent l’intervention du F.A.T., Monsieur J.C. n’étant pas assuré contre les accidents du travail. Le F.A.T. refuse son intervention, au motif que l’existence d’un contrat de travail entre J.C. et V.H. n’était pas démontrée.

Les parties comparaissent volontairement devant le Tribunal du travail, aux fins que ce dernier tranche la contestation. Dans le cadre de cette procédure, le F.A.T. cite en intervention forcée Monsieur J.C. (déclaration de jugement commun et demande de condamnation au remboursement des débours du F.A.T.) ainsi que les deux sociétés X et Y (uniquement en déclaration de jugement commun, le F.A.T. voulant rendre opposable le jugement, vu la possibilité de se retourner contre eux sur la base du droit commun). L’assurance responsabilité civile des deux sociétés intervient volontairement.

La décision du tribunal

Le Tribunal déboute les parties de leur demande, estimant que la preuve d’un contrat de travail n’est pas apportée, faute d’accord sur la rémunération.

La décision de la cour

Quoique le Tribunal correctionnel ait admis l’existence d’un contrat de travail, la Cour examine cette question, rappelant en effet qu’aucune autorité de chose jugée ne peut être attachée à cette décision, faute d’avoir été rendue entre les parties litigantes. Par ailleurs, la Cour rappelle que toutes les questions d’interprétation de la loi sur les accidents du travail relèvent de la compétence exclusive des juridictions du travail.

La Cour examine dès lors si peut être constatée la réunion des trois éléments caractéristiques d’un contrat de travail : prestations de travail, rémunération et pouvoir patronal d’autorité.

Quant aux prestations de travail, il s’agissait pour la victime de fournir, pour le compte de J.C., une activité de démolition.

Sur la rémunération, la Cour, après un rappel des décisions rendues sur la question par la Cour de cassation, dégage le principe selon lequel il suffit qu’il ait été convenu entre les parties que les prestations seraient rémunérées et que la rémunération soit déterminable. Sur ce dernier point, la Cour cite des extraits de l’arrêt de la Cour suprême du 22 novembre 2004 (J.T.T., 2005, p. 25), selon lequel la rémunération ne doit pas nécessairement être stipulée par les parties, dès lors qu’elle est à tout le moins due suivant les barèmes fixés au niveau sectoriel ou national.

Or, la Cour relève du dossier que J.C. et V.H. étaient convenus que le travail serait rémunéré. Cette rémunération est déterminable, ainsi qu’en attestent les calculs établis par l’Inspection des lois sociales, qui a dressé un tableau des arriérés de rémunération dus sur la base du barème applicable aux manœuvres dans le secteur de la construction. Aussi, vu l’accord des parties sur le principe du caractère rémunératoire des prestations et la fonction, la Cour retient l’accord sur rémunération. Elle rejette d’ailleurs les considérations développées par le F.A.T. sur la prétendue impossibilité pour J.C. de payer effectivement cette rémunération, l’obligation contractée restant valable dès lors qu’elle est réalisable, même si celui qui la contracte n’en est pas capable.

Sur la question de l’autorité, la Cour reconnaît la possibilité d’une autorité de J.C. sur les actes de V.H., et ce sur la base de la fixation unilatérale des horaires (déterminées par les obligations de J.C. vis-à-vis de la société Y), la possibilité pour J.C. de donner des ordres et des instructions à V.H., vu la proximité des intéressés, l’ancienneté de J.C., l’absence de connaissance de V.H. quant à la tâche et enfin le fait que c’est J.C. qui répondait de la bonne fin des travaux (ce qui témoigne de ce que il avait vocation à déterminer le contenu des prestations et les conditions de leur exécution). La Cour constate par ailleurs qu’aucun élément du dossier n’indique que les deux intéressés auraient formé une association momentanée pour la démolition confiée à J.C., à pied d’égalité.

Vu l’existence du contrat de travail et la survenance incontestable d’un événement soudain (la chute) survenu au cours et par le fait de l’exécution du contrat, événement ayant causé des lésions, la Cour reconnaît l’existence d’un accident du travail. Elle désigne un médecin expert pour la fixation du dommage.

Elle fait par ailleurs droit à la demande de la mutuelle (dirigée contre le F.A.T. en remboursement des débours) et du F.A.T. (dirigée contre J.C. en remboursement des prestations à allouer à la victime ainsi qu’en paiement de la cotisation d’affiliation d’office). Quant à la demande du F.A.T. à l’encontre des deux sociétés, la Cour y fait droit, reconnaissant que le F.A.T. a un intérêt à demander que la décision leur soit déclarée opposable, l’intérêt à agir pouvant consister en la possibilité d’une action ultérieure. En l’espèce, le F.A.T. se fondait sur la possibilité d’une action future sur la base des articles 1382 et 1386 du Code civil.

Intérêt de la décision

Les considérations réservées aux éléments caractéristiques du contrat de travail constituent l’essentiel de l’intérêt de cet arrêt. Les principes, ainsi que leur application, sont clairement énoncés et reflètent la jurisprudence actuelle. Sur la question de la rémunération convenue, il met d’ailleurs en exergue l’intéressant arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2004.

L’arrêt rappelle également l’absence d’autorité de chose jugée du pénal sur le civil en la matière ainsi que les règles en matière de recevabilité des demandes de déclaration de jugement commun et opposables.


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