Terralaboris asbl

Contrat de travail : effets d’une convention de transaction obtenue par violence morale et dol

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 juin 2013, R.G. 2011/AB/1.194

Mis en ligne le lundi 16 septembre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 4 juin 2013, R.G. n° 2011/AB/1.194

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 4 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles, reprenant les principes en matière de vices de consentement, conclut à l’écartement d’une convention de transaction obtenue en fin de contrat de travail par vice de consentement.

Les faits

Un employé occupant les fonctions d’assistant-gérant d’une grande surface est licencié pour motif grave après trois ans d’occupation. Lui sont reprochées diverses malversations (détournement, mensonges dans les explications données, non-respect des procédures de dépôt de la recette au coffre et disparition de sommes). Son collègue, coresponsable de la gérance est également licencié pour motif grave. Une procédure est introduite devant le tribunal du travail. La société propose d’en terminer moyennant paiement de trois mois de rémunération. Estimant le licenciement abusif, l’employé rejette cette offre.

Une réunion a lieu ultérieurement, entre parties au cours de laquelle est signée une transaction concernant les modalités de la rupture du contrat de travail. Celle-ci prévoit le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de trois mois ainsi que les renonciations d’usage et une « procuration irrévocable » données aux conseils respectifs des parties en vue de la radiation de l’affaire pendante.

Le conseil de l’employé conteste immédiatement la validité de la transaction.

Le tribunal du travail va, par jugement du 7 octobre 2011, rejeter celle-ci au motif de nullité.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

La société plaide que les juridictions sociales n’ont pas la compétence matérielle pur déclarer ladite transaction nulle et qu’elles ne peuvent plus statuer sur la demande.

Elle formule d’autres arguments en ordre subsidiaire et plus subsidiaire, au cas où son moyen d’appel principal serait rejeté. En tout état de cause elle conclut qu’elle ne doit rien à l’intéressé.

Décision de la cour

La cour, statuant sur sa compétence, rappelle que celle-ci est déterminée en fonction de l’objet de la demande. S‘agissant en l’espèce d’une demande de paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, les juridictions sociales sont compétentes en vertu de l’article 578, 1° du Code judiciaire. La cour précise qu’elle est également compétente pour connaître des incidents et questions préalables, même si celles-ci relèveraient de la compétence d’une autre juridiction si elles avaient été introduites à titre principal.

En ce qui concerne la convention de transaction, elle reprend le cadre juridique, étant les règles en matière de vices de consentement reprises aux articles 1109 et suivants du Code civil. En ce qui concerne la violence (article 1112), la cour rappelle que, pour être un vice de consentement, elle doit présenter quatre caractéristiques, étant (i) d’avoir été déterminante du consentement, (ii) d’être de nature à faire impression sur la personne concernée, (iii) de faire naître la crainte d’un mal considérable, de nature physique ou morale et (iv) d’être injuste ou illicite.

S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, elle précise que la violence n’a pas un caractère injuste ou illicite si elle consiste en une menace motivée par l’exercice normal d’un droit (Cass., 23 mars 1998, R.G. S.97.0031.F). Afin d’examiner si l’on est en présence d’une violence injuste ou illicite, il y a lieu de déterminer les conditions dans lesquelles l’employeur a obtenu la signature du travailleur. Celles-ci sont déterminantes (Cass., 24 mars 2003, R.G. S.02.0092.F).

La cour aborde également la question du dol, dont elle rappelle qu’il consiste en des manœuvres d’une partie, manœuvres telles qu’il est évident que sans celles-ci l’autre partie n’aurait pas contracté. Ici, deux conditions sont requises, étant (i) que la manœuvre intentionnelle et malicieuse émane d’une partie au contrat et que (ii) ces manœuvres aient déterminé le consentement de l’autre.

La cour examine dès lors les circonstances dans lesquelles la convention a été soumise à l’employé.

La société admet avoir pris l’initiative d’un contact direct avec celui-ci, alors que précédemment toutes discussions avaient eu lieu entre avocats. L’employé a répondu à l’invitation de la société et s’est trouvé en présence de trois personnes au rendez-vous fixé, étant trois responsables et directeurs de l’entreprise. La cour constate que ce fait est de nature à avoir fait impression sur lui, l’intéressé n’étant pas rompu aux négociations et s’étant trouvé confronté seul à trois supérieurs hiérarchiques. À cette circonstance s’ajoute le fait que le texte de convention proposé était celui qui avait été initialement refusé et que la clause y figurant, par laquelle les parties donnent procuration irrévocable à leurs avocats en vue de faire radier l’affaire témoigne de la volonté de la société d’éviter l’intervention des conseils juridiques. Pour la cour, qui relève également que ces derniers ont contesté immédiatement et que la société n’a pas réservé de suite à cette réaction, il y a pression morale injuste. Le fait d’écarter les conseils constitue une manœuvre pouvant être qualifiée de dol. C’est en effet celle-ci qui a été déterminante pour obtenir la signature de l’employé sur un texte précédemment rejeté, quand il était assisté de son avocat.

La cour considère dès lors devoir écarter cette convention et elle passe à l’examen du motif grave. Reprenant l’un après l’autre les griefs formulés, la cour constate qu’ils ne sont nullement établis. Elle alloue dès lors l’indemnité compensatoire de préavis visé à l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978.

Elle ne va, cependant, pas faire droit à la demande de dommages et intérêts pour abus de droit. Elle rappelle les principes en cas de licenciement pour motif grave, ainsi que les liens de celui-ci avec le licenciement abusif : tout licenciement pour motif grave, irrégulier ou injustifié donne lieu au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, qui est censée couvrir tout le préjudice, tant matériel que moral, découlant de la rupture irrégulière du contrat.

Revenant à l’important arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, J.T.T., 2006, p. 155), elle renvoie au comportement de l’employeur prudent et diligent, comportement qui n’est pas dépassé du seul fait que le motif grave est rejeté par les juridictions du travail.

C’est la conclusion qu’elle appliquera en l’espèce, considérant que, si l’appréciation du juge est différente de celle de l’employeur, ceci ne confère pas au licenciement un caractère abusif.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail est intéressant sur les faits et circonstances retenus comme constitutifs de violence morale et de dol : en l’occurrence, le fait de court-circuiter l’intervention des conseils juridiques gérant le dossier devant les juridictions du travail, aux fins d’obtenir l’accord du travailleur sur un texte précédemment rejeté est constitutif d’un dol. Par ailleurs, la confrontation du travailleur avec trois directeurs de l’entreprise est considérée comme de nature à faire impression sur lui et entraîner une violence morale injuste ou illicite.


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