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Procédure en revision d’un accident du travail : Charte de l’assuré social et obligations de l’entreprise d’assurances

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 février 2013, R.G. 2011/AB/141

Mis en ligne le mardi 1er octobre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 18 février 2013, R.G. n° 2011/AB/141

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 18 février 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations mises à charge des institutions de sécurité sociale en matière d’accident du travail en ce qui concerne les conditions d’introduction d’une procédure en revision des séquelles d’un accident et la possibilité pour l’assuré social d’obtenir la réparation en nature de la faute commise par celle-ci dans ce cadre.

Les faits

Les séquelles d’un accident du travail sont fixées par un jugement du 26 août 2005 du Tribunal du travail de Bruxelles, jugement signifié à l’intéressé le 14 octobre.

Le 16 février 2008, un courrier est adressé par l’entreprise d’assurances à la victime (courrier rédigé en néerlandais), l’informant du délai pour introduire une demande de revision, et ce « avant le 16 novembre 2008 ».

L’intéressé, victime d’une recrudescence des douleurs, retombe en incapacité de travail pendant la même année et son médecin de recours fixe, dans le courant du mois d’avril 2008, un taux d’aggravation de l’IPP (15%).

Certains documents sont adressés par l’intéressé lui-même à l’assureur, faisant état de l’aggravation en cause (n’étant cependant pas établi que le rapport circonstancié rédigé par le médecin de recours l’ait été). L’assurance invite l’intéressé à s’adresser à sa mutuelle dans l’attente de la décision à intervenir. Entretemps le délai de revision vient à échéance et, suite à celui-ci, l’assurance signale qu’elle n’indemnisera pas la rechute en incapacité temporaire. Le médecin de recours établit à ce moment un nouveau rapport médical, confirmant ses constations de l’année précédente et une procédure de revision est alors introduite. Dans le cadre de celle-ci, une nouvelle aggravation est constatée et un taux encore supérieur est retenu.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 13 octobre 2010, le tribunal du travail déboute l’intéressé de sa demande d’indemnisation des périodes d’incapacité temporaire survenues après l’expiration du délai de revision. Quant à la rechute pour la période se situant dans ce délai, le tribunal l’invite à établir que les conditions de l’article 25 de la loi du 10 avril 1971 sont réunies.

Il interjette appel.

Position des parties en appel

L’appelant demande que soit constatée l’aggravation des séquelles de l’accident et que l’assureur soit condamné à l’indemniser sur la base de celle-ci. A titre subsidiaire, il vise une demande de dommages et intérêts, évaluée, au stade de la demande, à 1 euro provisionnel. Pour la période située après le délai de revision, il demande que le taux soit fixé conformément au dernier rapport médical établi, à ce moment (et ayant conclu à 18% au lieu de 15%). Avant dire droit il sollicite la désignation d’un expert.

Quant à l’entreprise d’assurances, elle conclut à la tardivité de la demande et conteste avoir commis une faute.

Décision de la Cour

La cour va constater dans un premier temps que la demande en revision a été introduite après l’expiration du délai légal, cette demande devant être formée devant le tribunal du travail et non auprès de l’assureur. L’intéressé avait, en vertu de l’article 72, alinéa 1er de la loi du 10 avril 1971, la possibilité d’introduire celle-ci dans un délai de trois ans à dater du jour où le jugement a été coulé en force de chose jugée et ce délai était expiré lors de l’introduction de la demande.

En ce qui concerne la réparation d’une faute, telle que demandée à titre subsidiaire, la cour l’examine attentivement eu égard aux obligations de la Charte de l’assuré social. La faute est identifiée comme étant un manquement aux obligations d’information et de conseil pesant sur l’assureur.

La cour rappelle les articles 3 et 4 de la Charte, et ce particulièrement eu égard aux obligations spécifiques en matière d’accident du travail. Sont considérées comme informations utiles au sens de la Charte toutes les informations susceptibles de fournir à l’assuré social dans le cadre de sa demande des éclaircissements sur sa situation individuelle eu égard à l’accident. Ceci concerne la reconnaissance de l’accident, les conditions d’octroi des prestations, les éléments pris en compte pour l’établissement de leur montant et pour l’application des règles de cumul.

La cour souligne qu’avant l’entrée en vigueur de ce texte a été reconnu comme faute dans le chef de l’entreprise d’assurances le fait de s’abstenir d’attirer l’attention de la victime en temps utile sur le fait que ses prétentions pouvaient se prescrire. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 20 juin 1997 (Cass., 20 juin 1997, R.G. C.96.0195.N). Elle reprend également la jurisprudence qui a retenu la responsabilité d’entreprises d’assurance en cas d’informations inexactes et notamment lorsque l’assureur était au courant de l’aggravation des séquelles de l’accident. Elle rappelle également la circulaire n° 265 de la Ministre de l’Emploi du 23 juillet 2008, qui invite l’assureur qui a connaissance d’une modification possible du taux d’incapacité à prendre lui-même des mesures nécessaires pour diligenter une procédure devant le tribunal du travail, à défaut pour l’intéressé de l’avoir fait.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour constate en premier lieu que le recours à la langue néerlandaise dans une procédure où tout a été fait en français ne satisfait pas à l’exigence de la Charte relative à l’usage d’un langage compréhensible pour le public. L’intéressé n’a pu, vu l’ensemble des éléments de fait, comprendre exactement l’étendue de ses droits quant à l’introduction de l’action en revision.

La cour constate également que l’assureur n’a pas réagi adéquatement lorsqu’il a reçu les informations communiquées par l’intéressé en temps utile et qu’il avait, dès lors, l’obligation d’informer et de conseiller l’intéressé de manière adéquate. Il a, à tort, traité le dossier comme une demande d’indemnisation d’une rechute et a ainsi failli à ses obligations telles que découlant des articles 3 et 4 de la Charte.

Quant au préjudice, la cour considère qu’il faut vérifier quelle aurait été la situation de l’intéressé si l’assureur n’avait pas manqué à ses obligations. De toute évidence elle constate qu’il aurait introduit une demande en revision avant l’expiration du délai et que les effets de la faute ont été de l’amener à introduire cette demande avec retard.

Sur la réparation du préjudice subi, la cour rappelle que la réparation en nature doit primer, lorsqu’elle est possible, la réparation par équivalent et qu’il faut dès lors examiner la demande en revision en dépit de sa tardiveté. Si la demande s’avère fondée, la revision de l’indemnisation réparera complètement le préjudice et l’intéressé obtiendra ni plus ni moins que ce qu’il aurait eu si la faute n’avait pas été commise.

La cour constate encore que ce mode de réparation ne se heurte pas à une impossibilité juridique déduite du principe de légalité, le délai de revision envisagé sous l’angle procédural n’ayant pas le caractère d’une condition d’octroi. Il peut dès lors être écarté dans plusieurs cas, étant (i) lorsque la demande en revision est introduite par voie reconventionnelle avant la clôture des débats et (ii) lorsqu’une erreur invincible ou un autre cas de force majeure a placé la victime dans l’impossibilité absolue d’introduire l’action en revision dans le délai.

En recourant à une réparation en nature, la cour constate ainsi qu’elle ne déroge pas aux conditions d’octroi des indemnités revisées mais permet au contraire que celles-ci soient dûment examinées.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles admet au titre de réparation d’une faute le principe de la réparation en nature en cas d’expiration d’un délai. L’on notera que la partie demanderesse avait également sollicité l’octroi de dommages et intérêts à titre subsidiaire, étant une réparation par équivalent. La cour constate qu’elle peut faire droit à la demande comme si elle avait été introduite dans le délai, considérant que l’examen de la demande malgré sa tardiveté peut intervenir dans le cadre de la réparation en nature du préjudice causé par la faute de l’assureur.


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