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Rupture d’un commun accord – abandon d’emploi convenable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2013, R.G. n° 2013/AB/68

Mis en ligne le jeudi 6 mars 2014


Cour du travail de Bruxelles, 5 septembre 2013, R.G. n° 2013/AB/68

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 septembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la fonction constitue un élément essentiel du contrat de travail et que, si l’employeur ne peut plus offrir celle-ci, à la suite d’une suspension (en l’occurrence crédit-temps) du contrat de travail et qu’un autre emploi moins qualifié est proposé, il y a emploi non convenable, le travailleur ne devant en conséquence pas être sanctionné au motif d’abandon d’emploi sans motif légitime.

Les faits

Engagée comme employée depuis 1998, Madame J. prend un crédit-temps en 2006, devant se terminer fin décembre 2010. Elle souhaite à ce moment réintégrer sa fonction chez son employeur (juriste) Il s’avère qu’elle a été remplacée dans celle-ci. Un autre poste de juriste est recherché et, entretemps, soit pendant un mois, l’intéressée reste au domicile. À l’issue de cette période, le choix lui est donné d’accepter une fonction de gestionnaire (fonction sans dimension juridique et supposant comme qualification un diplôme de l’enseignement secondaire), soit de rompre le contrat d’un commun accord. L’intéressée opte pour cette seconde solution, l’autre branche de l’alternative, qui consiste à travailler comme simple gestionnaire, ne lui offrant plus de possibilité de poste de juriste pour la suite.

Elle sollicite le bénéfice des allocations de chômage.

Par décision du 28 mars, elle est exclue pour une période de 13 semaines à partir de son inscription, soit le 1er février, au motif qu’elle n’est pas chômeuse pour des raisons indépendantes de sa volonté.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles qui, par jugement du 17 décembre 2012, fait droit à la demande de l’intéressée, considérant que, vu les circonstances dans lesquelles l’abandon d’emploi est intervenu, l’exclusion du droit des allocations de chômage pour une période de 13 semaines devait être remplacée par un avertissement.

L’ONEm interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour l’ONEm, le premier juge a, à tort, remplacé la sanction par un avertissement. Pour être chômeur involontaire, il faut en effet qu’existent des circonstances indépendantes de la volonté de l’intéressé. En l’espèce, les motifs invoqués par l’intéressée ne sont pas sérieux. Le caractère moins spécialisé de la fonction n’est pas établi, non plus que le fait que celle-ci serait définitive. Pour l’ONEm, l’intéressée aurait dû avant de quitter son emploi être plus prudente eu égard aux possibilités de réaffectation offertes. L’ONEm fait essentiellement grief à l’intéressée de ne pas apporter la preuve de ses affirmations.

Quant à celle-ci, elle renvoie à l’article 51, § 1er, 2e alinéa, 1° de l’arrêté royal et à l’article 23 de l’arrêté ministériel relatif à l’emploi convenable. La question à déterminer est de savoir si l’emploi proposé avait ce caractère, dans la mesure où l’employeur ne pouvait plus la réaffecter dans ses fonctions de juriste. Pour l’intéressée, l’article 23 de l’arrêté ministériel, qui détermine les conditions de l’emploi convenable dispose que, pendant les six premiers mois de chômage, l’emploi est réputé avoir ce caractère s’il ne correspond ni à la profession à laquelle préparent les études ou l’apprentissage ni à la profession habituelle ni à une profession apparentée et que tel était le cas en l’espèce.

Décision de la cour du travail

La cour va reprendre les dispositions réglementaires, rappelant les dispositifs des articles 22 et 23 de l’arrêté ministériel. Elle souligne que l’article 22, qui chapeaute la section, précise que le caractère convenable s’apprécie notamment (nous soulignons), selon les critères fixés aux dispositions qui le suivent.

L’article 24, 2° vise parmi celles-ci l’hypothèse où l’employeur persiste à ne pas respecter les dispositions légales et réglementaires en matière de paiement de la rémunération, de durée ou de conditions de travail. Il renvoie également aux obligations de l’employeur à cet égard dans le cadre de l’article 20 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail.

Examinant les éléments qui lui sont soumis, la cour se considère suffisamment informée quant aux questions de fait, étant que le choix proposé par l’employeur est bien celui que l’intéressée avait exposé.

La cour croit cependant utile de préciser la portée exacte de l’article 23, étant qu’aucune distinction n’est faite entre la situation du chômeur qui se voit proposer une affectation et celui qui a quitté un emploi parce qu’il n’était pas convenable. Il faut, pour la cour, faire une lecture combinée de cette disposition avec l’article 51, § 1er, 2e alinéa, 1° de l’arrêté royal, à savoir qu’un travailleur peut quitter un emploi lorsque celui-ci sort de ses compétences, qui ne correspond plus à sa profession habituelle ou à une profession apparentée, et ce sans perdre le droit aux allocations. Après les six premiers mois, il peut cependant se voir proposer un emploi qui ne correspond plus à ces exigences de profession habituelle ou apparentée.

La cour constate également que l’intéressée pourrait se prévaloir de l’article 24, 2° ci-dessus, puisqu’après un mois, l’employeur était toujours en défaut de respecter les conditions du contrat.

Elle considère également que la fonction de juriste était un élément essentiel du travail convenu, de telle sorte que celle-ci ne pouvait être modifiée. L’intéressée aurait même eu intérêt à aller vers une rupture de contrat dans le chef de l’employeur et à demander le paiement d’une indemnité de rupture, possibilité dont la cour constate qu’elle en ignorait l’existence.

Il n’y avait donc pas motif légitime au sens de l’article 51, § 1er, 2e alinéa, 1° de l’arrêté royal, dans la mesure où après le refus de l’employeur de permettre la poursuite du contrat dans la fonction exercée précédemment, la fonction proposée n’avait plus le caractère d’emploi convenable.

La cour va dès lors réformer la décision administrative dans toutes ses dispositions.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles donne l’occasion de revenir sur les conditions de l’article 23 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 en matière de chômage, qui définit l’emploi non convenable pendant les six premiers mois de chômage, étant celui qui ne correspond ni à la profession à laquelle préparent les études ou l’apprentissage ni à la profession habituelle ni encore à une profession apparentée. La cour y relève encore qu’en vertu de l’article 22 du même arrêté ministériel, les critères de l’emploi convenable qui sont énumérés le sont à titre non limitatif.


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