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Accident du travail dans le secteur public et reprise du travail : une question est posée à la Cour constitutionnelle sur l’indemnisation de l’incapacité temporaire partielle subsistante

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 15 octobre 2013, R.G. 10/13.359/A

Mis en ligne le jeudi 15 mai 2014


Tribunal du travail de Bruxelles, 15 octobre 2013, R.G. 10/13.359/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 15 octobre 2013, le Tribunal du travail de Bruxelles interroge la Cour constitutionnelle sur une question récurrente : le travailleur qui conserve une incapacité temporaire partielle, suite à un accident du travail, et qui a repris son emploi n’est-il pas victime d’une discrimination, vu l’absence d’indemnisation des séquelles de l’accident pendant cette période ?

Rétroactes

Le Tribunal du travail de Bruxelles est amené à statuer sur les séquelles d’un accident sur le chemin du travail survenu à un travailleur du secteur public, en date du 3 septembre 2007. Celui-ci a subi un traumatisme de la cheville droite.

L’expert désigné par un jugement avant dire droit du 18 janvier 2010 dépose son rapport, dont il ressort qu’il y a une incapacité temporaire totale de 4 jours, du 3 au 6 septembre. Un travail léger adapté a été repris le 7 septembre et des traitements complémentaires ont été poursuivis dans le courant de l’année 2008. L’expert en conclut qu’il faut admettre une incapacité temporaire partielle de travail de 15% pendant 4 mois et de 10% pendant un peu plus d’un an. A l’issue de cette période, il fixe la date de consolidation des lésions et retient une incapacité permanente de 8% eu égard aux séquelles, à l’âge de la victime, au moment de la consolidation, ainsi qu’à son expérience professionnelle et ses facultés de réadaptation.

L’affaire revient devant le tribunal.

Position des parties

Pour le travailleur, la seule question litigieuse est celle de l’indemnisation pour la période précédant la consolidation, l’incapacité permanente n’étant pas en cause.

Il retient que celle-ci a été acquise près d’un an et demi après l’accident et considère que, si, pendant cette période, il a perçu sa rémunération, il n’a cependant pas été indemnisé des séquelles de celui-ci. Il demande dès lors une indemnisation sur la base des taux retenus par l’expert (15% et 10% ensuite). Il plaide que, si aucune indemnisation n’était retenue, il y aurait situation discriminatoire, les séquelles de l’accident étant d’ailleurs plus importantes pendant cette période que dans le cadre de l’incapacité permanente. Une discrimination existerait ainsi entre les personnes dont les lésions sont rapidement consolidées et les autres.

Quant à l’autorité, elle se réfère à la réglementation dans le secteur privé, l’article 23, alinéa 2 de la loi du 10 avril 1971 ne prévoyant l’indemnisation d’une incapacité temporaire partielle que dans le cadre de la reprise du travail à temps partiel. Dans cette hypothèse, l’indemnisation consiste dans la différence entre la rémunération à temps plein et celle à temps partiel.

Au cas où il y aurait reprise à temps plein pendant cette période, il n’y a pas d’indemnisation, et ce eu égard à l’article 23, auquel l’employeur se réfère par analogie. Il n’y a pas de différence entre la rémunération avant l’accident et après celui-ci.

Sur la discrimination invoquée, l’employeur considère que les catégories visées ne sont pas comparables, l’une subissant une perte de rémunération et l’autre non. En outre, la différence de traitement est liée à ce critère objectif, qui est la perte de rémunération.

Décision du tribunal

Le tribunal se penche essentiellement sur la question de l’indemnisation de l’incapacité temporaire dans le secteur public, où l’article 3 de la loi du 3 juillet 1967 prévoit que, pendant la période d’incapacité temporaire jusqu’à la reprise complète du travail, les membres du personnel auxquels la loi a été rendue applicable bénéficient des règles applicables dans le secteur privé, soit à l’article 23 de la loi du 10 avril 1971. Ce texte est applicable, sauf dispositions légales ou réglementaires plus favorables (le tribunal renvoyant, sur cette exception, à l’arrêté royal du 24 janvier 1969, ainsi qu’à divers statuts locaux, qui prévoient le maintien du bénéfice de la rémunération due en raison du contrat de travail ou du statut légal ou réglementaire du personnel visé).

Le tribunal reprend les hypothèses visées en cas d’indemnisation de l’incapacité temporaire partielle à l’article 23 de la loi du 10 avril 1971. Ces hypothèses visent les cas où le travailleur a repris le travail, où il n’a pas été remis au travail ou a refusé cette remise au travail pour motif valable, ou encore s’il y a eu refus ou interruption sans raison valable de la remise au travail ou du traitement proposé en vue de sa réadaptation.

Le tribunal constate qu’aucune indemnisation n’est prévue dans l’hypothèse où il y a reprise complète, le travailleur prestant à temps complet et continuant à percevoir sa rémunération, dans l’attente de la fixation de la consolidation.

Le tribunal relève que, si la situation n’a pas été envisagée, c’est qu’elle ne correspond pas à la notion d’incapacité temporaire, étant le cas où la victime est dans l’impossibilité (totale ou partielle) d’exercer sa profession habituelle. Dès lors qu’il y a reprise du travail, il n’y a plus incapacité temporaire, quand bien même des séquelles de l’accident sont présentes, séquelles qui seraient indemnisables dans le cadre de l’incapacité permanente. Il y a lieu d’indemniser l’incapacité temporaire en cas de préjudice économique réel, c’est-à-dire en cas de perte de rémunération. Par contre, dans le cadre de l’incapacité permanente, il peut y avoir cumul avec les revenus du travail. L’appréciation de l’incapacité est différente dans les deux situations.

Le tribunal relève que, si la consolidation était intervenue plus tôt, l’on aurait pu cumuler ou cumuler plus rapidement la rémunération perçue (vu la reprise du travail) avec l’indemnisation des séquelles. Le tribunal considère dès lors qu’il y a une différence de traitement, justifiant d’interroger la Cour constitutionnelle. Les éléments avancés par l’employeur sont, selon le jugement, à apprécier par la Cour constitutionnelle et non par le tribunal du travail.

Deux questions sont dès lors posées, à la Cour constitutionnelle, sur une discrimination possible eu égard à la différence de traitement des victimes d’un accident du travail ayant repris complètement leur emploi en dépit de la persistance de séquelles, selon que la situation médicale est ou non rapidement consolidée (question 1) et sur la différence de traitement entre les victimes d’un accident ayant repris complètement leur travail en dépit de la persistance de séquelles selon que la situation n’est pas encore ou est déjà consolidée (question 2). Dans la première hypothèse, la première catégorie peut prétendre rapidement à l’indemnisation des séquelles en sus de sa rémunération, tandis que la seconde n’y a droit qu’après un plus long délai, et, dans la seconde, la première catégorie ne peut prétendre à l’indemnisation des séquelles de l’accident tandis que la seconde y a droit en sus de sa rémunération.

Intérêt de la décision

La Cour constitutionnelle est ainsi interrogée sur une difficulté régulièrement rencontrée dans le cadre de l’indemnisation de l’incapacité temporaire de travail consécutive à un accident du travail. Il n’échappera pas que l’expert a retenu un taux d’incapacité partielle, constaté malgré la reprise du travail, et que, vu les effets du mécanisme légal, cette incapacité ne fait pas l’objet d’une indemnisation. Un intérêt particulier du jugement est également de rappeler les règles fixant l’indemnisation dans le cadre de l’incapacité temporaire (référence à la profession habituelle de la victime) et de l’incapacité permanente (marché général qui lui est accessible).


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