Terralaboris asbl

Contrôle de la recherche active d’un emploi : rétroactivité d’une décision de revision ?

Commentaire de C. trav. Mons, 5 février 2014, R.G. 2012/AM/415

Mis en ligne le jeudi 15 mai 2014


Cour du travail de Mons, 5 février 2014, R.G. n° 2012/AM/415

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt 5 février 2014, la Cour du travail de Mons rappelle les conditions dans lesquelles la réglementation chômage permet la rétroactivité d’une décision de l’ONEm. Reprenant également les hypothèses prévues par l’arrêté royal du 31 mai 1933, elle en fait une application combinée, s’agissant d’un cas de fraude à la réglementation.

Les faits

Dans le cadre de la procédure de suivi du comportement de recherche active d’emploi (procédure d’activation), un bénéficiaire d’allocations d’insertion est convoqué. L’évaluation est jugée négative. En conséquence, un premier contrat est signé, par lequel il prend quatre engagements à réaliser dans les mois qui suivent.

Lors du deuxième entretien de la procédure, il est constaté qu’aucun des engagements n’a été réalisé, ce qui entraîne une évaluation négative et une décision d’exclusion des allocations pendant quatre mois. Un deuxième contrat est alors signé, reprenant divers engagements spécifiques.

Lors du troisième entretien, la facilitatrice constate le respect des engagements souscrits et remet une évaluation positive.

Il apparaît ultérieurement que celle-ci n’est cependant autre que sa compagne, ce qu’elle reconnait, lors d’un entretien avec sa hiérarchie.

Une plainte est alors déposée à son encontre par l’ONEm, pour faux et usage de faux dans l’exercice de sa fonction. Lors de son audition, elle s’explique sur l’évaluation donnée ainsi que la raison pour laquelle elle était intervenue. L’ONEm licencie alors l’intéressée pour motif grave.

Une enquête est ensuite diligentée par les services de l’ONEm sur les démarches entreprises par le chômeur vis-à-vis des agences d’intérim auprès desquelles il était supposé se présenter. Vu les informations fournies, il prend une nouvelle décision, annulant la précédente et exclut l’intéressé du bénéfice des allocations d’attente sur pied des articles 59sexies, § 5 et § 6, alinéa 1er , 1°, ainsi que 149, § 1er, 2° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La décision est motivée par la confirmation du non respect des engagements souscrits, obtenue après vérification du dossier. L’ONEm conclut que, en outre, la fréquence des actions demandées n’avaient davantage pas été respectées pour certains engagements. Il conclut dès lors que l’évaluation du deuxième contrat doit être négative.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Charleroi.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 5 octobre 2012, le tribunal du travail considère que la décision administrative est motivée à suffisance de droit et que l’ONEm était autorisé à revoir la décision initiale, étant entachée d’erreur, et ce vu l’absence de limite dans le temps prévue à l’article 149 de l’arrêté royal.

L’intéressé interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant reprend les arguments développés devant le premier juge, étant en premier lieu le caractère insuffisant de la motivation de la décision. Il fait également valoir que le directeur de l’ONEm dispose d’un délai de 10 jours pour prendre une décision négative et fait valoir qu’il n’est pas établi que la première décision était entachée d’une erreur justifiant la revision du dossier. Par ailleurs, il considère qu’il y avait prescription du contrôle, celui-ci étant subordonné à l’exigence la prise d’une décision négative dans les dix jours (article 59, § 5 de l’arrêté royal) et il conteste, enfin, que les engagements souscrits n’aient pas été respectés.

Quant à l’ONEm, il sollicite la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions.

Décision de la cour du travail

La cour va longuement reprendre, dans un premier temps, les principes applicables quant à la motivation formelle de la décision administrative et, ensuite, examiner la question du délai de revision ainsi que l’exception de prescription.

Sur le premier point, elle rappelle que l’insuffisance de la motivation doit s’apprécier eu égard aux critères cumulés de la loi du 29 juillet 1991, étant qu’il faut une motivation adéquate (avec les considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision) et de la Charte de l’assuré social, qui exige une motivation dans un langage compréhensible pour le public.

Elle conclut que la décision ne réunit pas les conditions légales et qu’elle doit être annulée. Cette annulation pour vice de forme n’entraîne cependant aucune conséquence sur le droit à la prestation sociale, le juge devant statuer sur le fondement des droits postulés par le demandeur. Lorsqu’il y a motivation inexistante ou insuffisante, l’acte administratif doit être considéré comme nul, vu la violation d’une formalité substantielle. La cour constate cependant qu’il y a réduction considérable de la portée pratique de la nullité, puisqu’il revient au juge de statuer alors sur le fondement des droits postulés.

En l’espèce, examinant la décision administrative, la cour constate qu’elle se fonde sur des considérations objectives et qu’elle est motivée en droit. Elle est dès lors adéquatement motivée.

En ce qui concerne le délai de revision, elle rappelle le libellé de l’article 59sexies, § 4 et 5 de l’arrêté royal, qui prévoient un délai de 10 jours pour informer le chômeur suite à l’évaluation (positive ou négative). En l’espèce, le délai de 10 jours a été respecté suite à l’évaluation considérée comme positive mais il y a eu fraude et l’ONEm a appliqué la possibilité de revision prévue à l’article 149, § 1er de l’arrêté royal. La cour rappelle les hypothèses dans lesquelles la revision d’une décision peut intervenir d’initiative. La rectification peut toujours intervenir avec effet rétroactif (sauf en cas d’octroi d’un indu total ou partiel en raison d’une erreur du bureau de chômage, où elle prend effet le premier jour qui suit le troisième jour ouvrable après la remise à la poste de la décision portée à la connaissance du chômeur ou à l’organisme de paiement).

L’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne prévoit dès lors pas la possibilité de faire rétroagir les effets de la décision. Cependant, cette règle de non rétroactivité peut trouver à céder en cas d’application de l’arrêté royal du 31 mai 1933, à savoir si des allocations ont été payées alors que l’assuré social n’y avait pas droit et qu’il les a conservés de mauvaise foi et qu’il savait ou devait savoir qu’il n’y avait pas (plus) droit.

La cour rappelle également que l’article 149 de l’arrêté royal ne prévoit aucune limite dans le temps pour revoir une décision, la réaction de l’ONEm devant être prise dans un délai raisonnable, délai qui doit être déterminé en fonction de la complexité de l’affaire, des recherches nécessaires et de l’urgence. La cour confirme sur ce point également le jugement du tribunal.

Enfin, elle va se livrer à un examen approfondi des démarches effectuées par l’intéressé dans le cadre des engagements souscrits, rappelant que l’exigence de démarches réparties sur toute la période évaluée a pour effet de maintenir le chômeur dans un processus d’effort continu de recherche d’emploi et d’éviter qu’il ne s’agisse que d’actions de pure forme.

La cour confirme dès lors le jugement en ce qui concerne l’évaluation négative du second contrat d’activation. Elle renvoie cependant l’affaire au rôle en ce qui concerne la légalité de la sanction prise sur pied de l’article 59sexies, § 6, alinéa 1er, 1° de l’arrêté royal, eu égard à l’existence d’un pourvoi devant la Cour de cassation contre un arrêt rendu par elle en date du 17 octobre 2012 (C. trav. Mons, 17 octobre 2012, R.G. n° 2011/AM/59), qui avait considéré que cette disposition est contraire à la Constitution, au motif où ne peut s’organiser un régime d’exclusion différent de celui-ci de l’article 51 de l’arrêté royal, les deux catégories de chômeurs se trouvant dans une situation comparable.

Intérêt de la décision

Cet arrêt se prononce sur diverses dispositions réglementaires intervenant dans le cadre du contrôle de la recherche active d’emploi. Il examine la question de la rétroactivité de la décision administrative, eu égard aux hypothèses prévues à l’article 149 de l’arrêté royal. Il laisse, cependant, sans réponse la question de l’application de l’article 59sexies, § 6, alinéa 1er, 1°, disposition qui fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation (arrêt précédemment commenté).


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