Terralaboris asbl

Travailleurs indépendants : réduction de la pension prise par anticipation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 novembre 2013, R.G. 2009/AB/51.953

Mis en ligne le mercredi 21 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 13 novembre 2013, R.G. 2009/AB/51.953

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 novembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la Cour constitutionnelle a admis la légalité de la réduction de la pension de retraite des travailleurs indépendants en cas d’anticipation. Elle conclut dès lors que, en application de l’article 3, § 2 de l’arrêté royal du 30 janvier 1997 relatif au régime de pension des travailleurs indépendants, celle-ci doit faire l’objet d’une réduction de 5% par année.

Les faits

Un travailleur indépendant prend sa pension de retraite à l’âge de 60 ans. Ses droits en matière de pension sont revus ultérieurement, à l’occasion du décès de son épouse.

L’I.N.A.S.T.I. fixera alors la pension dans le régime indépendant à un montant de l’ordre de 4.350 € par an (l’intéressé ayant une carrière de 15/45es dans le régime des travailleurs salariés), refusant par ailleurs l’octroi d’une pension de survie.

Recours est introduit par l’intéressé, qui fait valoir que la réduction de sa pension (25%) ne se justifie pas au motif qu’il a cotisé pendant 46 ans alors qu’il suffit de 45 ans pour que la carrière soit complète et que, par ailleurs, il a arrêté son activité à 60 ans à cause d’un problème de santé (asthme aggravé).

Les décisions rendues

L’arrêt de la cour du travail du 8 janvier 2010

Dans ce premier arrêt, la cour du travail avait considéré, pour ce qui est de la réduction pour anticipation, qu’elle ne pouvait être écartée pour le seul motif des raisons de santé (qui ont amené l’intéressé à prendre sa pension à 60 ans). La cour avait également repris la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui a, dans plusieurs arrêts, examiné la question d’une discrimination éventuelle entre travailleurs salariés et travailleurs indépendants, ainsi qu’avec les fonctionnaires. Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a considéré, comme le rappelle la cour du travail, que les différences existantes ne permettent pas de comparer ces catégories de travailleurs à tous égards, mais que peut cependant faire l’objet d’une comparaison l’examen de questions communes. S’agissant en l’espèce d’une disposition d’un arrêté royal (arrêté royal n° 72, pris sur la base de la loi du 31 mars 1967, attribuant certains pouvoirs au Roi en vue d’assurer la relance économique, l’accélération de la reconversion régionale et la stabilisation de l’équilibre budgétaire), la cour s’est posé la question de savoir si les dispositions qu’il contient émanent d’un acte du législateur ou d’un acte réglementaire.

Elle a rouvert les débats sur la question de savoir s’il n’existe pas une différence de traitement injustifiée entre le régime des indépendants et celui des salariés, dans la mesure où, dans celui-ci, la réduction pour anticipation a été supprimée par la loi du 20 juillet 1990 instaurant un âge flexible de la retraite pour les travailleurs salariés. En outre, un arrêt de la Cour constitutionnelle était attendu sur la constitutionalité de la réduction pour anticipation.

L’arrêt de la cour du travail du 13 novembre 2013

La cour en vient en premier lieu à l’arrêt de la Cour constitutionnelle rendu entre-temps, suite à une question posée par la même cour du travail (R.G. 2009/AB/52.372). Il s’agissait de comparer les régimes légaux de pension dans le secteur des indépendants et dans le secteur des salariés, eu égard à la réduction pour anticipation dans le secteur des indépendants en cas de prise de cours de la pension de retraite avant l’âge de 65 ans (réduction inexistante dans le secteur des salariés).

La cour du travail rappelle que, dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a répondu négativement à la question, celle-ci visant une violation possible des articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

La cour du travail rappelle que, dans sa motivation, la Cour constitutionnelle a essentiellement fait valoir des motifs budgétaires, motifs pouvant justifier la différence de traitement constatée.

La cour du travail conclut qu’il n’y a pas lieu, eu égard à la décision de la Cour constitutionnelle, de poser une nouvelle question et que la réduction pour anticipation doit être maintenue. L’article 3, § 2 de l’arrêté royal du 30 janvier 1997 relatif au régime de pension des travailleurs indépendants doit dès lors être appliqué et la demande originaire est non fondée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est une conclusion logique, eu égard à la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle en matière de comparaison des régimes en cause. Dans le cadre du régime de pension des travailleurs indépendants, une réduction de 5% du montant de la pension par année de prise de la pension à partir de l’âge de 60 ans est appliquée, réduction qui n’existe plus dans le régime des travailleurs salariés depuis 1990.

Dans son arrêt du 31 mai 2011 (C. const., 31 mai 2011, arrêt n° 93/2011), la Cour constitutionnelle a renvoyé à des arrêts précédents, arrêts des 16 novembre 2000 (n° 116/2000), rendu en matière de cotisations spéciales des travailleurs indépendants, et 28 novembre 2001 (n° 152/2001), rendu en matière d’optimisation en cas de revenus professionnels inférieurs au revenu minimum mensuel moyen garanti. Dans ces arrêts, elle a considéré qu’au point de vue du principe de légalité et de non-discrimination, une comparaison peut être faite entre les différents régimes lorsqu’une même mesure commune à ceux-ci produit des effets sensiblement différents dans l’un et dans l’autre.

En l’espèce, le calcul de l’âge auquel un travailleur peut bénéficier de sa pension sans réduction est une mesure commune à ces différents régimes de pension susceptible d’avoir des effets différents selon le régime considéré. Ils peuvent dès lors être comparés. La loi du 20 juillet 1990, qui instaure un âge flexible de la retraite dans le régime des salariés, entend offrir à ceux-ci une flexibilité dans le choix de l’âge de prise de cours de la retraite. La cour souligne que les travaux préparatoires de la loi du 20 juillet 1990, ainsi que ceux de la loi du 26 juillet 1996, visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne, confirment que la différence de traitement en cause est justifiée par le souci d’assurer la pérennité du système de sécurité sociale. Elle relève encore que les pensions les plus faibles dans le secteur des travailleurs indépendants ont été relevées à un moment voisin de la suppression de la mesure en cause en ce qui concerne les travailleurs salariés, et ce afin d’atteindre le montant du revenu garanti aux personnes âgées. Le régime des travailleurs indépendants n’était pas en mesure de supporter à la fois le relèvement de la pension minimum et la suppression de la réduction pour prise anticipée de la pension. Elle renvoie encore à une ordonnance du 30 avril 2004 de la Cour de Justice de l’Union Européenne (C.J.U.E., Ord., 30 avril 2004, aff. C-172/02), qui a notamment considéré qu’il est normal que la possibilité offerte d’anticiper la prise de cours de la retraite s’accompagne de conséquences financières. Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour constitutionnelle a dès lors conclu à l’absence de violation des dispositions visées.

La situation reste donc en l’état.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be