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Ouvriers : et la présomption de licenciement abusif ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 février 2014, R.G. 2012/AB/432

Mis en ligne le mardi 3 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 5 février 2014, R.G. n° 2012/AB/432

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 5 février 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 (dans la formulation où il ne visait que les ouvriers), et ce eu égard notamment à la présomption légale y contenue.

Les faits

Un ouvrier communal (jardinier) est licencié en juin 2007. Son employeur précise les motifs comme étant d’ordre relationnel (altercations, agressivité, violence verbale). Un refus de mutation est également pointé.

Un courrier est fait après le licenciement par l’organisation syndicale du travailleur, contestant ledit refus et donnant quelques explications sur un incident précis, d’ordre à la foi privé et professionnel. Celle-ci demande à être mieux informée sur les motifs du licenciement. La commune refuse de préciser davantage.

Un recours étant formé devant le Tribunal du travail de Nivelles, celui-ci condamne la commune, qui interjette appel.

Position des parties

La partie appelante demande à la cour d’écarter le caractère abusif du licenciement et, à titre subsidiaire, sollicite l’audition de témoins.

Le travailleur demande, pour sa part, confirmation du jugement, qui lui a donné gain de cause.

Décision de la cour

La cour rappelle l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, dans sa formulation applicable à l’époque des faits, étant que le licenciement de l’ouvrier (engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée) est considéré comme abusif lorsqu’il est effectué pour des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite de celui-ci ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. La charge de la preuve des motifs du licenciement incombe à l’employeur et, en cas de licenciement abusif, la sanction légale est une indemnité forfaitaire de six mois de rémunération.

La cour rappelle la portée du contrôle judiciaire, étant qu’il faut que l’employeur prouve la réalité des faits qu’il invoque ainsi que le lien de causalité entre ceux-ci et le licenciement. Elle rappelle également le caractère marginal du contrôle, étant qu’il s’agit de vérifier si le motif donné est un motif valable, ou en d’autres termes, si un employeur raisonnable licencierait ou non pour celui-ci. Il n’appartient pas, comme le rappelle la cour, au juge de décider si le travailleur est apte à exercer sa fonction ou si son comportement devait ou non convenir à l’employeur.

Le juge doit dès lors vérifier trois choses, étant (i) la preuve de l’existence de faits ayant fondé le licenciement, (ii) le lien de cause à effet entre ces faits et la rupture et (iii) le caractère légitime de la décision, étant de savoir si l’employeur pouvait raisonnablement licencier pour le motif invoqué. La cour rappelle qu’il s’agit ici de l’enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010, R.G. n° S.09.0092.N).

La cour reprend également d’autres principes dégagés par la Cour suprême dans l’application de cette disposition : la conduite de l’ouvrier ne doit pas être constitutive d’une faute et, sur le plan de la preuve, le motif peut être donné dans le cours de la procédure. La cour s’attache plus longuement aux règles relatives à l’étendue de la charge de la preuve, rappelant l’exigence que la preuve doit être certaine et que l’on ne peut en conséquence se fonder sur de simples allégations. Il en découle qu’en cas d’incertitude, le doute doit profiter au travailleur, l’employeur supportant le risque de preuve.

La cour applique ces principes au cas qui lui est soumis. Relevant qu’un seul motif est invoqué, à savoir la conduite, elle relève que les éléments de preuve produits par la commune ne peuvent étayer les griefs invoqués. Elle relève notamment que certains faits sont anciens (n’ayant ainsi pas un lien suffisant avec la décision de licenciement) et que d’autres reproches ont un caractère improuvable. Il s’agit de griefs relatifs à des « altercations », ainsi qu’au « refus de suivre des instructions » ou encore à « l’agressivité et aux violences verbales ».

Il suit de ces doubles constatations (faits anciens ou improuvables) que la cour rejette la demande d’enquête. Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle le mécanisme mis en place par le législateur du 3 juillet 1978 aux fins de remédier, en faveur de l’ouvrier, à la distorsion existant en matière de préavis par rapport à l’employé. Le contrôle du motif du licenciement a ainsi été introduit, la rupture du contrat n’étant autorisée que pour des motifs énoncés par la loi. L’arrêt de la cour du travail annoté reprend les principales étapes du contrôle de la Cour de cassation sur ce mécanisme spécifique. Suite à l’arrêt du 22 novembre 2010, le motif de licenciement retenu est le motif valable, à savoir celui retenu par un employeur raisonnable.

Cette disposition va encore toucher tous les ouvriers licenciés avant l’entrée en vigueur de la Convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail le 12 février 2014. Cette Convention collective de travail concernant la motivation du licenciement prévoit un mécanisme général du contrôle du motif, pour tout travailleur. Cette modification des règles implique notamment que le travailleur qui souhaite connaître les motifs concrets qui ont conduit à son licenciement doit adresser sa demande à l’employeur par lettre recommandée dans un délai de deux mois après la fin du contrat. L’employeur qui reçoit cette demande doit communiquer au travailleur les motifs concrets qui ont conduit à son licenciement, et ce par lettre recommandée dans les deux mois de la réception de la lettre du travailleur. A défaut, il est redevable d’une amende civile forfaitaire correspondant à deux semaines de rémunération. En cas de licenciement considéré comme manifestement déraisonnable, l’employeur est redevable d’une indemnité allant de 3 semaines à un maximum de 17 semaines de rémunération. D’après le commentaire de la Convention collective elle-même, le montant de l’indemnisation dépend de la gradation du caractère manifestement déraisonnable. Par ailleurs, enfin, il y a dans ces nouvelles règles un partage de la charge de la preuve, la présomption légale n’étant pas maintenue.


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