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Absences répétées du travailleur et nécessités de fonctionnement de l’entreprise : examen du caractère abusif du licenciement

Commentaire de Cass., 3 février 2014, n° S.12.0077.F

Mis en ligne le jeudi 12 juin 2014


Cour de cassation, 3 février 2014, n° S.12.0077.F

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 3 février 2014, la Cour de cassation rappelle que dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, les absences répétées du travailleur peuvent être invoquées comme nécessités de fonctionnement de l’entreprise mais que l’employeur doit établir les effets négatifs de celles-ci sur l’organisation de l’entreprise.

Rétroactes

La Cour de cassation examine un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Mons du 8 décembre 2011. Cet arrêt avait considéré abusif le licenciement d’un ouvrier, dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, le motif invoqué par l’entreprise étant des nombreuses absences de celui-ci depuis plusieurs années. La cour du travail avait considéré que, examinées à partir du critère de nécessités de fonctionnement de l’entreprise, ces absences devaient correspondre à la condition de nécessités, à savoir que le licenciement devait avoir été rendu nécessaire par celles-ci et que, en conséquence, il appartenait à l’employeur de prouver la perturbation ou la désorganisation invoquée.

La réalité des absences (en majorité liées à une incapacité de travail suite à un accident de travail) n’était pas contestée mais la cour a considéré que l’employeur n’établissait pas les effets négatifs sur l’organisation de l’entreprise ou du service et que par ailleurs il ne donnait aucune précision sur le nombre de membres du personnel capables de remplacer l’intéressé, ainsi que sur d’autres critères, ainsi l’influence éventuelle des absences litigeuses sur la productivité des machines ainsi que sur l’obligation éventuelle pour d’autres membres du personnel d’exécuter des prestations supplémentaires.

La cour du travail avait rejeté d’autres éléments, considérés comme non pertinents dans le cadre de l’examen des motifs invoqués par la société. La cour avait rappelé que celle-ci a la charge de la preuve.

Le pourvoi

Le pourvoi faisait essentiellement valoir que si, en cas de contestation, la charge de la preuve du motif repose sur l’employeur, celui-ci était le seul à pouvoir apprécier l’aptitude du travailleur à exécuter la tâche confiée et que le tribunal ne pouvait exercer un contrôle d’opportunité mais qu’il devait vérifier l’existence du motif. Le contrôle judiciaire est, pour la partie demanderesse en cassation, un contrôle marginal. La société renvoie également à un arrêt du 18 février 2008, qui a considéré que n’est abusif un licenciement fondé sur un motif qui présente un lien avec l’aptitude de l’ouvrier et ce quelles que soient les conséquences de celle-ci sur l’organisation du travail. Le pourvoi fait également grief à la cour du travail d’avoir considéré que l’employeur n’établit pas en quoi les absences auraient des effets négatifs sur l’organisation de l’entreprise et du service et que, ainsi, il met à sa charge les effets du risque de la preuve non faite au sujet d’un élément qui n’est imposé par aucune disposition légale.

Décision de la Cour

La Cour rappelle le prescrit de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, mécanisme contenant une présomption légale de licenciement abusif.

La Cour de cassation constate que la société entend prouver le caractère licite du licenciement non par à partir du critère d’inaptitude du travailleur mais du fait d’absences répétées désorganisant l’entreprise. La Cour de cassation confirme que la cour du travail a dès lors légalement pu examiner la question à partir du critère des nécessités du fonctionnement de l’entreprise et qu’elle a pu, ainsi, vérifier si celles-ci avaient eu des effets négatifs sur l’organisation de l’entreprise.

Par ailleurs, en ce qui concerne le risque de preuve, la Cour suprême rappelle que l’article 63 en son alinéa 2 met à la charge de l’employeur la preuve du motif du licenciement et qu’il y ainsi dérogation aux articles 1315 et 870 du Code judiciaire. Dès lors que la société se fonde sur des absences répétées désorganisant l’entreprise (selon ses propres explications), le juge ne viole aucune des dispositions en la matière s’il met à sa charge la preuve des effets négatifs de ces absences sur son organisation.

En conséquence, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est le premier rendu sur la base du critère des nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, eu égard aux effets d’absences répétées et justifiées sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise.

L’on rappellera que, à très juste titre, dans son arrêt du 18 février 2008 (n° S.07.0010.F), la Cour avait considéré que si le motif invoqué est lié à des absences (justifiées) reflétant un problème d’aptitude au travail, elles pouvaient constituer un motif en elles-mêmes sans qu’il ne puisse être exigé de l’employeur qu’il établisse les perturbations entraînées par celles-ci sur le plan de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise.

Cette exigence n’est en effet nullement reprise dans la disposition légale s’il s’agit de viser l’aptitude du travailleur.

Par contre, si la même situation est présentée comme une nécessité de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, la preuve des perturbations engendrées est légitime, dans la mesure où l’employeur est tenu d’apporter la preuve de l’existence des nécessités invoquées. Dès lors que les absences ne rendent pas le licenciement nécessaire, elles ne peuvent constituer un motif légitime par rapport à ce critère.

L’enseignement de la Cour de cassation dans cet arrêt est certes transposable à la situation actuelle, sauf, bien entendu, pour ce qui concerne le mécanisme de la preuve, puisque la présomption légale a été abandonnée pour les licenciements intervenant à partir du 1er avril 2014 (sauf exceptions).


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