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Interruption de la prescription : validité de la mise en demeure pourvue d’une signature électronique

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 octobre 2013, R.G. 2011/AB/930

Mis en ligne le mercredi 25 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 11 octobre 2013, R.G. n° 2011/AB/930

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 11 octobre 2013, la Cour du travail de Bruxelles examine les conditions de validité d’une mise en demeure interruptive de prescription, eu égard à la circonstance qu’elle est pourvue d’une signature scannée.

Les faits

Cité en paiement d’arriérés de cotisations sociales, un travailleur indépendant fait valoir l’exception de prescription, vu l’ancienneté des périodes concernées. Le tribunal du travail le condamne par jugement du 22 octobre 2010, à un montant provisionnel et il interjette appel.

Position des parties en appel

L’intéressé demande à la cour de réformer le jugement, au motif de prescription pour une partie des cotisations. Il sollicite des termes et délais très larges pour le solde (le tribunal ayant admis ceux-ci mais les ayant fixés à un montant mensuel dont l’intéressé demande qu’il soit réduit).

Quant à la Caisse, elle maintient sa demande originaire, considérant qu’il n’y a pas de prescription pour l’ensemble de la demande.

Décision de la cour du travail

La cour examine dès lors la question de la prescription, en priorité.

Elle reprend les principes qui doivent guider la validité de la mise en demeure, étant qu’elle doit contenir l’expression claire et non équivoque de la volonté du créancier de voir exécuter l’obligation principale. Elle renvoie à divers arrêts de la Cour de cassation sur la question (dont Cass., 28 mars 1994, S.93.0130.F).

C’est ensuite sur la question de la signature que porte l’examen de la cour. En effet, pour interrompre valablement la prescription, la lettre recommandée doit être signée par la personne compétente au nom de l’organisme ou de l’institut, la circonstance qu’il apparaît que celui-ci en est l’expéditeur n’étant pas suffisante. La cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2003 (Cass., 22 septembre 2003, S.03.0014.N).

Elle se pose dès lors la question de la validité d’une mise en demeure susceptible d’interrompre la prescription des cotisations pour la période la plus ancienne, dans la mesure où la lettre n’est pas signée.

Une seconde mise en demeure l’étant, la cour constate alors qu’il s’agit d’une signature scannée, et ce en procédant à la comparaison avec une autre signature. Elle relève que, si elles étaient manuscrites, la similitude, absolue en l’espèce, ne pourrait exister.

La cour se penche dès lors sur la validité de cette signature scannée et reprend le cadre juridique. La loi du 9 juillet 2001 a transposé la directive européenne 1999/93/CE du 13 décembre 1999 qui établit un cadre communautaire pour les signatures électroniques. Elle distingue la signature électronique de la signature électronique avancée, cette dernière devant satisfaire à des exigences complémentaires dont notamment celle d’être liée uniquement au signataire et de permettre son identification. La cour rappelle qu’en vertu de l’article 1322, alinéa 2 du Code civil, peut être admis comme signature un ensemble de données électroniques pouvant être imputé à une personne déterminée et établissant le maintien de l’intégrité du contenu de l’acte. Il appartient au juge d’examiner concrètement si la signature est susceptible de remplir les fonctions décrites par le texte.

Après avoir relevé que dans la pratique les administrations font fréquemment usage d’une telle signature, elle rappelle le processus habituel, étant que la signature manuscrite du fonctionnaire est scannée pour obtenir une image numérique, que celle-ci est ensuite importée dans le document à l’aide d’un logiciel de traitement de texte contenant la décision administrative et que la décision est ensuite notifiée sous forme de copie imprimée du document d’origine. Reprenant la doctrine (E. MONTERO, « La signature électronique au banc de la jurisprudence », DAOR, 20111/2, p. 231), elle souligne que l’approche est résolument pragmatique.

La cour renvoie encore à l’article 2281 du Code civil, qui dispose notamment qu’à défaut de signature valable au sens de l’article 1322 (ci-dessus), le destinataire peut sans retard injustifié demander au notifiant de lui fournir un exemplaire original signé et que s’il ne le demande pas ou si le notifiant fait droit à la demande, le destinataire ne peut invoquer l’absence de signature.

En l’espèce, elle constate que l’on est bien en présence d’une signature électronique au sens de la loi du 9 juillet 2001 et que celle-ci permet d’identifier le signataire et son adhésion à l’acte, garantissant l’intégrité du document. La cour relève cependant que se pose une question, étant de savoir s’il existe des mesures de sécurité suffisantes permettant le respect des garanties prévues par ce mode de signature. Elle renvoie à un arrêt du 19 novembre 2009 du Conseil du contentieux des étrangers (C.C.E., n° 34.364), décision d’ailleurs citée par la Caisse elle-même. Pour la cour, cependant, ne sont pas apportées en l’espèce les explications relatives aux mesures de sécurité prises, question qui avait pu être vérifiée dans cet arrêt du C.C.E.

Aussi, ordonne-t-elle la réouverture des débats, aux fins d’inviter la caisse à fournir des précisions complémentaires à propos de la possibilité pour un tiers de réaliser l’importation de la signature scannée le cas échéant à l’insu de son auteur. Elle demande également qu’il soit conclu sur la portée de l’article 2281, alinéa 3 du Code civil.

Pour le surplus, la cour confirme que les cotisations qui ne sont pas frappées de l’exception de prescription sont dues.

Intérêt de la décision

La question examinée par cet arrêt est peu fréquente, étant que le débiteur des cotisations conteste la validité de l’interruption de la prescription eu égard à la signature scannée figurant sur la lettre interruptive.

Sans encore vider sa saisine, la cour lance cependant des pistes éclairantes, insistant à ce stade des débats pour être pleinement informée sur les mesures de sécurité existant en l’espèce quant à l’usage que pourraient faire des tiers de la signature scannée.


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