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Une convention collective d’entreprise peut-elle, sans être inconciliable avec la CCT n° 17, prévoir une indemnité complémentaire calculée sur une rémunération non plafonnée ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 juillet 2013, R.G. 2012/AB/46

Mis en ligne le mercredi 25 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 16 juillet 2013, R.G. n° 2012/AB/46

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 16 juillet 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la délicate articulation entre des normes de droit collectif de rangs différents : la CCT n° 17, une CCT sectorielle, une CCT d’entreprise et une convention individuelle.

Les faits

Une convention collective concernant la prépension conventionnelle est conclue au sein d’une entreprise relevant de la commission paritaire 307 (entreprises de courtage et d’agences d’assurances), et ce en date du 20 janvier 2007.

En juin 2008, une employée, âgée à ce moment de 59 ans, reçoit son licenciement avec préavis de 15 mois à prester. Une convention est conclue, réduisant la durée du préavis, organisant d’autres modalités de paiement d’une indemnité compensatoire et admettant l’intéressée au système de prépension à partir du 1er avril 2009, celle-ci étant âgée de 60 ans à ce moment. Il est prévu que l’indemnité à charge de la société sera payée conformément aux conditions de la convention d’entreprise.

Elle bénéficie alors d’un montant de l’ordre de 500 € bruts par mois, basé sur son dernier salaire, plafonné. L’intéressée demande régularisation de l’indemnité complémentaire, basée sur le salaire non plafonné.

L’année suivante, une nouvelle convention collective de travail est conclue au niveau de l’entreprise, prévoyant que la rémunération à prendre en compte est la rémunération plafonnée visée à la CCT n° 17 (article 6). Cette convention collective a un effet rétroactif.

L’intéressée maintient son point de vue, selon lequel il faut prendre en compte le salaire non plafonné. Elle introduit une demande devant le tribunal du travail, sollicitant la différence, montant indexé.

La décision du tribunal

Par jugement du 3 octobre 2011, le Tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la demande. Il déboute en conséquence la société d’une demande de dommages et intérêts introduite pour procédure téméraire et vexatoire.

Celle-ci interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine les textes applicables, étant d’une part la CCT n° 17 du 19 janvier 1974, la convention collective de travail sectorielle du 9 janvier 2006 et les deux conventions collectives d’entreprise, étant celle du 20 janvier 2007 et celle du 28 janvier 2010.

Elle constate que la CCT du 20 janvier 2007 est claire sur l’indemnité complémentaire de prépension, la rémunération de référence étant la dernière rémunération mensuelle brute proméritée ou celle qui aurait dû l’être si le contrat de travail avait été suspendu. La CCT exclut tout autre élément ou avantage rémunératoire.

La cour du travail constate qu’il n’est ni expressément ni implicitement question d’un plafond et que limiter la rémunération ajouterait au texte de la convention collective une restriction qu’il ne contient pas.

Examinant ensuite le plafonnement de la CCT n° 17, la cour constate que la CCT d’entreprise fixe le montant de l’indemnité complémentaire selon des règles plus favorables aux travailleurs que celle-ci. Pour la cour, celle-ci complète sans la contredire la CCT nationale. Elle rappelle ensuite que deux normes ne sont pas inconciliables lorsque la norme supérieure est une norme minimale qui ne s’oppose pas à l’existence de normes inférieures préférables. Elle relève par ailleurs qu’il n’est pas requis que le caractère minimal de la norme supérieure soit stipulé expressément.

Elle souligne avec le tribunal que la convention collective sectorielle indique d’ailleurs expressément qu’il s’agit d’une norme minimale, puisqu’elle précise qu’elle ne porte pas préjudice aux conventions collectives prises au niveau de l’entreprise.

Elle se penche, ensuite, sur les termes de la CCT d’entreprise du 28 janvier 2010. Celle-ci rétroagit, et ce précisément à la date d’entrée en vigueur de la CCT de 2007 et elle mentionne que les parties « précisent et confirment » ce qu’il faut entendre par rémunération du travailleur pour le calcul de l’indemnité complémentaire, ce pourquoi elle renvoie… à la CCT n° 17 et la législation subséquente.

La cour se pose dès lors la question de savoir si la convention collective à un caractère interprétatif et si elle peut rétroagir.

Pour la cour, elle n’est pas interprétative et ne peut être considérée comme faisant corps avec la première convention, de telle sorte que celle-ci aurait toujours eu le sens que la seconde lui confère.

Sur la rétroactivité, la cour constate que, n’étant pas rendue obligatoire par arrêté royal, la CCT en cause peut avoir un tel effet. Elle renvoie aux travaux préparatoires de la loi du 5 décembre 1968 et à la doctrine sur la question. Cette convention collective peut dès lors affecter une situation née et définitivement accomplie avant son adoption.

Examinant, cependant, les droits que l’intéressée puise dans la convention individuelle de prépension conclue entre les parties, elle rappelle que l’accession à la prépension présente pour partie un aspect contractuel et que celui-ci est fortement accentué dans le cas d’espèce, vu les termes de la convention d’entreprise, qui requièrent pour l’accession à la prépension à l’âge de 58 ans l’accord de l’employé sur le délai de préavis minimum légal. L’intéressée, qui se trouvait dans cette situation, ne pouvait dès lors obtenir la prépension qu’à la condition de renoncer à une partie du préavis auquel elle avait droit. La cour rappelle qu’elle a effectivement renoncé à 6 mois en contrepartie. Elle va conclure que, même si la convention collective du 20 janvier 2007 a été modifiée ultérieurement avec effet rétroactif, cette modification ne peut affecter l’accord des parties, la norme rétroactive ne faisant pas corps avec la norme qu’elle modifie avec effet rétroactif. Cet effet oblige en effet uniquement la partie liée par la norme à l’exécuter à partir de la date de son entrée en vigueur et la convention individuelle de prépension ne peut être modifiée par celle-ci. Elle reste intacte, et ce dans les termes convenus au moment de sa signature. La cour relève encore que l’on se trouve face à deux normes dont la teneur diffère et qui étaient toutes deux applicables à partir du moment où l’intéressée pouvait accéder à la prépension : (i) la convention individuelle de prépension, qui prévoit le droit à une indemnité calculée sans plafond de rémunération et (ii) la convention collective d’entreprise, contenant un tel plafonnement.

Pour la cour, il n’y a pas de contradiction entre les deux normes, la convention collective d’entreprise contenant une norme minimale et ne pouvant s’opposer à une convention individuelle de prépension plus favorable.

En conséquence, elle va confirmer le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, très documenté sur le plan théorique, envisage le sort à réserver à deux normes, apparemment contradictoires, mais conciliables en fin de compte, si l’on admet, avec le tribunal et comme la cour, que la norme supérieure renferme une règle minimale et qu’une norme inférieure fixe des règles plus favorables.

La cour rappelle encore, dans cet arrêt, les règles permettant de déterminer si une disposition a une portée interprétative et, également, les conditions dans lesquelles une convention collective de travail peut avoir un effet rétroactif.


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