Terralaboris asbl

Quelle loi détermine le préavis du travailleur belge occupé au Grand-Duché de Luxembourg ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 mars 2010, inédit, RG 2008/AB/51.438

Mis en ligne le mardi 1er juillet 2014


Cour du Travail de Bruxelles, 17 mars 2010, inédit, R.G. 2008/AB/51.438

TERRA LABORIS ASBL

Dans une affaire où les parties au contrat étaient toutes deux belges mais où les prestations se déroulaient au Grand-Duché de Luxembourg, la cour du travail de Bruxelles vient de condamner l’employeur, qui avait licencié la travailleuse selon des modalités prévues par le code du travail luxembourgeois, à payer une indemnité complémentaire de préavis conformément à l’article 82 § 3 de la loi belge sur les contrats de travail.

Les faits

L’employeur, succursale belge d’une société pharmaceutique de droit néerlandais, a engagé Madame W. à partir du 1er février 2003 pour exercer la fonction de déléguée médicale.

Le contrat de travail signé à Bruxelles précisait que le secteur commercial attribué à la travailleuse ne constituait pas un élément essentiel du contrat ; il s’est avéré que celui-ci a été, pour toute la durée de l’occupation, le Grand-Duché de Luxembourg.

Par lettre recommandée du 27 juillet 2006, se conformant à loi luxembourgeoise, l’employeur a licencié madame W., moyennant un préavis de 2 mois débutant le 1er août 2006 pour se terminer le 30 septembre 2006 et a dispensé madame W. de prester ledit préavis.

Par le biais de son organisation syndicale, madame W. a rappelé qu’une clause de son contrat de travail faisait référence aux modes de cessation prévus par la loi belge du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail, en ce compris l’article 82 § 3 (relatif à l’évaluation par les parties ou, à défaut, par le juge, du préavis des employés dont la rémunération est supérieure à un certain seuil).

Sur cette base, et compte tenu d’un âge de 28 ans, de 3 ans et demi d’ancienneté et d’une rémunération annuelle de 55.000 € bruts, l’organisation syndicale de madame W. a estimé que celle-ci pouvait prétendre à un préavis raisonnablement évalué à un total de 6 mois et a, par conséquent, réclamé le paiement d’une indemnité de préavis de 4 mois, complémentaire au deux mois déjà perçus.
Toutefois, l’employeur a maintenu que seul le droit du travail luxembourgeois était applicable en l’affaire et madame W. a saisi le tribunal du travail de Bruxelles du litige.

La position de l’employeur

L’employeur a fait valoir que la loi grand-ducale devait régir le licenciement et ce, pour les raisons suivantes :

  • C’est avec l’accord implicite mais certain de la madame W. que le licenciement s’est déroulé conformément au droit du travail luxembourgeois, puisque la travailleuse a bénéficié d’un entretien préalable au licenciement ainsi que du respect d’une période de protection contre le licenciement de 4 mois en raison d’une incapacité de travail ; de plus, c’est par application du droit luxembourgeois que madame W a demandé à l’employeur de justifier le licenciement dans le mois qui l’a suivi ;
  • Durant toute l’occupation, madame W. a presté intégralement au Grand-Duché, de sorte que, par exemple, le contrat a été suspendu durant les jours fériés luxembourgeois et non durant les jours fériés belges ;
  • Madame W. a été assujettie à la sécurité sociale luxembourgeoise et a, par conséquent, pu bénéficier des prestations luxembourgeoises d’accident du travail, de maternité, de congé parental et d’incapacité de travail.

Le jugement du tribunal du travail et l’appel

Par jugement prononcé le 10 juin 2008, le tribunal du travail de Bruxelles a estimé que le licenciement relevait du droit belge et a condamné l’employeur à verser une indemnité complémentaire de préavis de 4 mois.

L’employeur a relevé appel en vue, principalement, de mettre le jugement à néant et de dire pour droit que la relation de travail était régie par le droit luxembourgeois et, subsidiairement, dans l’hypothèse où le droit belge devait être appliqué, de réduire l’indemnité complémentaire de préavis au minimum.

La décision de la cour du travail

La cour du travail va, d’emblée, rappeler que le litige est régi par la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et que celle-ci a été approuvée dans l’ordre interne belge par la loi du 14 juillet 1987, entrée en vigueur le 1er octobre 1987. Elle attire l’attention sur le fait qu’aujourd’hui l’application de la convention de Rome est commandée par l’article 98 de la loi du 16 juillet 2004 portant le code de droit international privé, en vigueur depuis le 1er octobre 2004.

Après examen du contrat de travail de madame W., la cour constate qu’il y est fait, de façon explicite et indubitable, référence aux modes de cessation prévus par la loi belge sur les contrats de travail et qu’il ne peut donc être raisonnablement soutenu par l’employeur que les parties ont entendu faire application du code du travail luxembourgeois.

Par ailleurs, pour la cour, l’application par les parties de dispositions luxembourgeoises en matière de jours fériés ou de sécurité sociale n’implique pas automatiquement que les parties aient entendu soumettre le contrat au droit du travail luxembourgeois.

En effet, il est logique que madame W. ait prospecté sa clientèle les jours ouvrables propres au Grand-Duché, vu la situation géographique de son secteur d’activité. L’application de la sécurité sociale luxembourgeoise, quant à elle, ne résulte pas de la volonté des parties mais bien d’une obligation légale, résultant du règlement européen n°1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (J.O.C.E., L 149, 5 juillet 1971, p. 2-50)

Enfin, le fait que, conformément au droit luxembourgeois, madame W. a bénéficié d’un entretien préalablement à la rupture, d’une protection temporaire contre le licenciement en raison d’une incapacité de travail et d’une justification, à sa demande, du motif du licenciement ne REmet pas ce qui précède en question puisque, comme l’article 6 § 1er de la convention de Rome le prévoit, le fait pour les parties d’opter pour la loi belge ne pouvait avoir pour effet de priver madame W. de la protection des dispositions impératives du droit du travail luxembourgeois.

Pour tous ces motifs, la cour du travail conclut qu’il y a lieu de se référer à l’article 82 § 3 de la loi belge sur les contrats de travail.

Face à l’employeur qui prétendait qu’un délai de préavis proche du minimum légal de 3 mois pouvait suffire vu les circonstances ayant entouré le licenciement, la cour du travail réitère que, lorsque le préavis est donné, il revient au juge du fond de prendre en compte les possibilités pour l’employé de trouver rapidement un nouvel emploi adéquat et équivalent et d’apprécier celles-ci au moment où le congé est donné en fonction des éléments propres à la cause.

Elle considère en l’espèce que ni l’incapacité de travail de 4 mois ni la réorganisation de l’équipe ne sont des éléments propres à la cause de nature à influencer l’évaluation des possibilités de reclassement de madame W.

Dès lors, compte tenu d’une ancienneté de 3 ans et demi, d’un âge de 28 ans et d’une rémunération annuelle de 55.000 €, la cour du travail estime que le préavis de madame W. peut raisonnablement être évalué à un total de 6 mois et, partant, lui accorde une indemnité complémentaire de préavis de 4 mois.

L’intérêt de cette décision

Dans un contexte où les relations de travail ont tendance à s’internationaliser, l’arrêt rendu par la cour du travail de Bruxelles a le mérite de rappeler quelles sont les dispositions de droit international privé applicables et met en évidence que le choix d’une loi nationale n’oblitère pas la protection des normes impératives d’une l’autre loi nationale qui aurait été applicable à défaut de choix par les parties.

Ainsi, comme la cour du travail l’a souligné, même dans l’hypothèse où les parties avaient opté pour la loi luxembourgeoise (ce qui n’était pas le cas en l’espèce), la loi belge aurait tout de même, par application de l’article 6 § 1er de la convention de Rome, prévalu, étant donné que l’article 82 de la loi belge sur les contrats de travail est impératif en faveur du travailleur (Cass. 7 avril 2008, J.T.T., 2008, 207 note Cl. WANTIEZ ; Chr. D.S., 2009, 245 note V. VANNES).


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