Terralaboris asbl

Conditions de l’action en cessation d’une discrimination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 mars 2014, R.G. n° 2012/CB/15

Mis en ligne le lundi 7 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 6 mars 2014, R.G. n° 2012/CB/15

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 mars 2014, saisie d’une demande d’action en cessation d’un acte discriminatoire fondé sur les convictions religieuses, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que cette action ne peut être accueillie si l’acte discriminatoire a cessé et si tout risque de récidive est exclu.

Les faits

Une étudiante postule pour un travail d’étudiant auprès d’un pouvoir public. Un contrat de travail lui est proposé pour un mois d’été et l’intéressée est conviée à une réunion d’information. Elle résume la teneur d’un entretien qui s’est déroulé après la signature de son contrat de travail, au cours duquel il lui a été exposé que, comme elle portait le voile, ceci constituait un problème. Il lui fut demandé de ne pas le porter, sans quoi elle ne pourrait effectuer son contrat d’étudiant. Elle sollicita une attestation à l’issue de l’entretien et celle-ci mentionne que l’intéressée a constaté elle-même son impossibilité à respecter le règlement de travail, de telle sorte qu’il a été convenu de ne pas conclure le contrat en cause. Celui-ci n’a dès lors pas reçu d’exécution.

L’intéressée s’adresse alors à un avocat, ainsi qu’à une parlementaire et au Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Le Centre signale à l’employeur par courrier qu’il y a violation de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme (les faits constituant par ailleurs une discrimination directe/indirecte sur la base de la conviction religieuse de l’intéressée) et de l’ordonnance du 4 septembre 2008 visant à promouvoir la diversité et à lutter contre la discrimination dans la fonction publique régionale.

Suite à d’autres interpellations, il est décidé de prendre les dispositions nécessaires afin que l’intéressée puisse effectivement exercer le job pour lequel le contrat avait été signé. Il est précisé que le port du foulard ne constituerait pas un obstacle à l’exercice du contrat d’étudiant.

Un courrier est dès lors adressé à l’intéressée en ce sens, précisant qu’il s’agit d’une dérogation exceptionnelle de l’application du règlement de travail (celui-ci rappelant le principe de neutralité des services publics). Il est également précisé que la mesure dont elle a fait l’objet relève d’une norme appliquée « de manière générale à l’ensemble du personnel du ministère » sans intention quelconque de lui porter un préjudice.

L’intéressée refuse la proposition, estimant qu’elle ne répare nullement la discrimination dont elle a fait l’objet.

En conséquence, elle mandate son conseil pour solliciter des « mesures de réparation » étant des excuses officielles, le paiement de la rémunération correspondant au mois en cause et l’indemnité spéciale prévue par l’article 18, § 2, 2° de la loi du 10 mai 2007.

Elle introduit ensuite sa demande devant le président du Tribunal du travail siégeant comme en référé, vu l’absence de règlement amiable.

Dans le cadre de la procédure, elle sollicite de constater la violation de la loi du 10 mai 2007 et de l’ordonnance du 4 septembre 2008, étant la rupture du contrat de travail qui avait été signé (mais non exécuté), rupture fondée soit directement soit indirectement sur sa conviction religieuse, ainsi que d’ordonner la cessation immédiate du manquement aux normes précitées, avec astreinte. Elle sollicite également le paiement de l’indemnité forfaitaire.

Sur la question de la recevabilité le président du tribunal considère par ordonnance du 24 septembre 2012 que l’intéressée conserve un intérêt personnel et direct à l’action, au motif qu’il n’est pas exclu qu’existe un risque de récidive. Il la déboute cependant de sa demande et elle interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’intéressée formule devant la cour les mêmes demandes qu’en première instance, sollicitant la réformation complète de l’ordonnance rendue par le président du tribunal du travail.

Quant à l’autorité publique, elle plaide que l’action originaire est irrecevable en raison d’un défaut d’intérêt et/ou d’un défaut d’objet. Elle considère que l’appelante n’a plus d’intérêt né et actuel à obtenir la cessation d’un acte dont elle a déjà obtenu la cessation par ses propres démarches. Elle fait valoir que l’acte considéré comme discriminatoire a cessé dès lors que l’intéressée a été autorisée à travailler. L’action en cessation est dès lors sans objet puisqu’il s’agit de demander la cessation d’un acte qui a pris fin avant que l’action ne soit exercée. Tout risque de récidive est par ailleurs exclu. Elle développe d’autres arguments à titre subsidiaire.

Décision de la cour du travail

La cour va essentiellement statuer sur la recevabilité de l’action originaire.

Elle reprend l’avis de l’auditorat général, qui a conclu à l’irrecevabilité de l’action, au motif de l’absence d’intérêt au sens des articles 17 et 18 du Code judiciaire. Cet intérêt existait certes initialement mais l’autorité publique a changé d’avis et l’a fait savoir à l’appelante. Le substitut général renvoie également à l’article 20, § 1er, dernier alinéa de la loi, selon lequel le président du tribunal peut ordonner la levée de la cessation dès qu’il est prouvé qu’il a été mis fin à l’infraction. Par ailleurs, s’il n’est pas absolument certain que l’intéressée se verrait accorder une nouvelle dérogation à l’avenir, la cour constate que, pour l’auditorat général, le risque est seulement probable et qu’il ne peut s’agir d’un droit gravement menacé, ainsi qu’exigé par l’article 18, 2e alinéa du Code judiciaire.

Dans son examen, la cour relève que sont visées, dans ce type de situation, à la fois une action en constatation d’un acte discriminatoire interdit et une action en cessation de cet acte et que les deux actions sont indissolublement liées. La cour renvoie à un arrêt de la Cour du travail d’Anvers (C. trav. Anvers, 18 janvier 2008, Chron. D.S., 2009, p. 93). Elle s’appuie également sur un arrêt de la Cour de cassation du 17 juin 2005 (Cass., 17 juin 2005, R.G. C.04.0274.N) rendu en matière de pratiques du commerce, qui a considéré, dans le cadre d’une action en cessation, que le juge de la cessation ne peut en règle constater l’existence d’une infraction sans en prononcer ensuite la cessation.

En conséquence, pour la cour, une action qui viserait seulement à dire qu’un acte constitue un manquement à la loi sans à en ordonner la cessation ne pourrait être admise. Cette demande serait irrecevable, n’ayant pas d’incidence concrète sur la situation des parties.

Cependant, renvoyant encore à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 juin 2005 ci-dessus, la cour constate que ceci n’exclut pas que le juge peut ordonner la cessation de pratiques illicites qui sont à la base d’un acte illégal dûment constaté, et ce afin d’en éviter la répétition.

Elle rappelle sur ce point, en premier lieu, que s’il a été définitivement mis fin à l’acte dont la cessation est demandée, l’action est sans objet. Ainsi, plus particulièrement, en matière de licenciement (qui a déjà eu lieu).

La cour examine ensuite s’il y a un risque de réitération de l’acte et, reprenant l’ensemble des échanges épistolaires, conclut, contrairement au premier juge, que tel n’est pas le cas.

Elle estime dès lors que la demande n’avait plus d’objet au moment où elle a été formée, la cour ne pouvant ordonner la cessation de l’acte ni son interdiction dans le futur, tout risque de récidive étant considéré comme exclu.

La cour conclut au non fondement de l’appel mais déclare l’action irrecevable à défaut d’objet et/ou d’intérêt.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles contient un enseignement important, sur la question de l’action en cessation, dans la mesure où, s’appuyant sur la matière des pratiques du commerce et d’information et de protection du consommateur, la cour renvoie à la jurisprudence commerciale pour en tirer un enseignement dans le cadre de la loi du 10 mai 2007 en ce qui concerne le pouvoir du juge de la cessation. La cour précise, rappelant la jurisprudence en la matière que l’action en cessation contient deux facettes, étant à la fois une action en constatation d’un acte discriminatoire interdit et une action en cessation de cet acte et que les deux actions sont indissolublement liées, ce qui a des effets évidents sur le plan de la recevabilité de la demande.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be