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Pour conclure qu’un accident est survenu dans le cours de l’exécution du contrat, le juge doit exprimer sa certitude que cette circonstance est établie

Commentaire de Cass., 5 décembre 2011, n° S.11.0001.F

Mis en ligne le lundi 14 juillet 2014


Cour de cassation, 5 décembre 2011, n° S.11.0001.F

Les faits de la cause

M. F. est administrateur délégué d’une société exploitant un commerce et est lié à cette société par un contrat de travail d’employé.

Il fait une chute dans les locaux de cette société le 6 janvier 2011 à 18h55 et décède quelques jours plus tard.

L’assureur-loi refuse de prendre le cas en charge au motif que les lésions constatées résultent d’un processus purement interne à l’organisme de l’intéressé et qu’il n’y a pas de cause extérieure.

Par jugement du 20 octobre 2009, la huitième chambre du tribunal du travail de Dinant fait droit à l’action en réparation de la veuve en son nom personnel et au nom de ses enfants.

L’assureur-loi interjette appel de ce jugement.

Par un arrêt du 24 juin 2010 (R.G. n° 8875/09 sur Juridat), la douzième chambre de la cour du travail de Liège, section de Namur, confirme ce jugement.

Sur l’événement soudain, la cour du travail retient que la chute est établie, que sa cause ne doit pas être extérieure à l’organisme de la victime, en sorte que le défaut de toute cause extérieure (et notamment la conformité de l’escalier emprunté aux normes de sécurité) ne justifie pas le refus ; que la circonstance que le sieur F. était sous l’emprise de l’alcool n’est pas en soi exclusive de la notion d’accident du travail et que rien ne permet de retenir l’existence d’une faute intentionnelle.

La cour du travail retient que les lésions sont établies et son présumées trouver leur origine dans la chute.

Sur la survenance de l’accident au cours de l’exécution du contrat, la cour du travail retient :

  • que les fonctions du sieur F. justifiaient qu’il n’ait pas été tenu de respecter un horaire strict de travail et qu’il « pouvait fréquemment arriver que (celui-ci) soit présent en début de soirée, notamment en vue d’assurer des opérations de clôture et de vérification de caisse » ;
  • que, compte tenu de ce que la victime était invitée à prendre son repas du soir à proximité immédiate du magasin, « il se conçoit qu’après la fermeture du magasin, elle ait pu faire le choix de poursuivre son activité plutôt que de regagner son domicile » ;
  • que l’on ne peut « considérer que celle-ci aurait fait le choix de demeurer sur les lieux de son travail (...) dans le but unique d’y consommer des boissons alcoolisées et ainsi d’interrompre le cours de l’exécution de son contrat et que (...) aucune argumentation, autre que celle articulée au départ de l’état d’imprégnation alcoolique de la victime, n’est soutenue qui permettrait de considérer une telle interruption comme acquise ».

L’accident est donc présumé être survenu par le fait de cette exécution nonobstant le taux d’alcoolémie constaté par la suite et dont il n’est au demeurant pas établi qu’il soit la cause de la chute.

La procédure devant la Cour de cassation

L’assureur-loi critique la décision de l’arrêt que l’accident est survenu dans le cours de l’exécution du contrat au sens de l’article 7 de la loi du 10 avril 1971, ce qui implique que l’accident soit survenu à un moment où la liberté personnelle de la victime était limitée en raison de l’exécution de son contrat. La preuve de cette circonstance doit être établie à l’exclusion de tout doute. Or, par aucun motif, l’arrêt n’écarte avec certitude la possibilité qu’à l’heure de l’accident, le sieur F. ait déjà interrompu l’exécution de son contrat de travail soit pour exercer ses fonctions d’administrateur, soit pour s’adonner à des excès de boisson. L’arrêt viole ainsi les articles 1315, alinéa 1er, du Code civil et 7 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

La Cour de cassation, après avoir rappelé qu’il lui appartient de vérifier si les faits constatés par l’arrêt attaqué justifient la conséquence qu’il en déduit en droit, à savoir la survenance de l’accident au cours de l’exécution du contrat, casse l’arrêt : la charge de la preuve pesant sur la victime implique que le juge soit convaincu de la réalité du fait à prouver. Or, les motifs de l’arrêt impliquent que la cour du travail a seulement considéré la circonstance que l’accident est survenu dans le cours de l’exécution du contrat comme possible et non comme établie.

L’arrêt attaqué n’a donc pu, sans violer l’article 7, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971, présumer que l’accident était survenu par le fait de l’exécution du contrat.

Intérêt de la décision

Cette décision permet de rappeler l’importance des règles relatives à la charge de la preuve en accident du travail. Lorsque la preuve pèse sur la victime (événement soudain, lésions, survenance au cours de l’exécution du contrat), le juge doit exprimer une certitude et non des possibilités (voir à cet égard Guide social permanent Commentaires, Droit de la sécurité sociale, partie I-livre II, titre II, chapitre III, section III, La preuve).

Cette preuve peut certes être apportée par toutes voies de droit et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes mais à la condition que celles-ci lui apportent la certitude quant à l’existence du fait recherché qu’il déduit d’un fait connu. La manière dont le juge s’exprime est donc déterminante.


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