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Employeur public : obligation de motivation formelle et examen du caractère abusif du licenciement

Commentaire de Cass., 12 mai 2014, R.G. n° S.13.0092.F

Mis en ligne le vendredi 18 juillet 2014


Cour de cassation, 12 mai 2014, R.G. n° S.13.0092.F

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 12 mai 2014, la Cour de cassation se prononce sur la question de la combinaison de l’obligation de motivation formelle des actes administratifs avec l’absence de la même motivation dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Rétroactes

Dans un arrêt du 8 février 2012, la Cour du travail de Mons avait rappelé, dans le cadre de l’examen du caractère abusif du licenciement d’une ouvrière, que du fait de l’existence d’une présomption réfragable, et de l’obligation de preuve qui en découle dans le chef de l’employeur, il est admis que celui-ci n’est pas lié par les motifs repris dans la lettre de licenciement ou même dans le certificat de chômage (C4). Vu l’absence d’exigence d’une motivation formelle, dans le cadre de cette disposition légale, l’employeur peut établir dans le cours de la procédure les motifs qui, bien que non invoqués antérieurement, sont à la base du licenciement.

La cour du travail avait relevé que la situation était un peu différente lorsque l’employeur est une autorité publique. Celui-ci a en effet des obligations supplémentaires, par rapport à l’employeur privé, dont la motivation du congé, au sens de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. Cette obligation vise le licenciement du personnel contractuel.

La cour avait repris la controverse suscitée par ces dispositions, étant de savoir si l’employeur peut apporter la preuve a posteriori d’autres motifs que ceux qu’il avait invoqués dans la lettre de congé. A supposer d’ailleurs que celle-ci ne soit pas motivée, la question se pose de savoir s’il peut ultérieurement remédier à cette carence. La cour du travail avait relevé l’absence de décision de la Cour suprême sur la question et, rappelant la doctrine, dont J. JACQMAIN (J. Jacqmain, « Attention, il mord : le contrat de travail dans les services publics », in Les trente ans de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, Ed. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2008), la cour avait souligné qu’une partie de celle-ci considère que l’employeur ne peut plus produire d’autres motifs ultérieurement, alors que d’autres auteurs retiennent que la motivation a posteriori n’est pas exclue. Il est en effet admis que dans sa rédaction actuelle, la disposition légale autorise que la preuve du motif soit apportée ultérieurement et même pour la première fois devant le juge (L. DEAR, « L’audition préalable et la motivation du congé », in Le licenciement abusif, notions, évolutions, questions spéciales, Actes du Colloque du 6 mars 2009 organisé par la Conférence du Jeune barreau de Charleroi, Anthémis, 2009, p. 112).

La cour du travail avait conclu qu’elle devait se rallier à la position prise par deux chambres de la même cour, qui avaient toutes deux opté pour le rejet de la possibilité dans le chef de l’employeur de tenter de renverser la présomption légale par d’autres motifs que ceux repris dans la lettre de congé. La cour du travail avait, pour justifier sa position, renvoyé à un arrêt du Conseil d’Etat du 9 décembre 2003 (C.E., 9 décembre 2003, n° 126.215) qui a considéré que l’obligation de motivation de la décision doit être concomitante à la prise de celle-ci, ce qui exclut la communication tardive du motif.

Le pourvoi

L’employeur public, étant en l’occurrence une administration communale, a introduit un pourvoi, faisant notamment référence à un arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1988 (Cass., 15 juin 1998, Pas., 1988, I, p. 1230), dans lequel la Cour suprême a admis que le juge peut fonder sa décision, dans le cadre de l’examen du caractère abusif du licenciement, non seulement sur les motifs allégués et prouvés par l’employeur mais également sur d’autres motifs, régulièrement produits mais qui n’ont pas été présentés par celui-ci comme motif de licenciement, dans la mesure où ils ont contribué à la décision.

Le pourvoi précise, en ce qui concerne l’employeur public, que si le juge doit écarter, sur la base de l’article 159 de la Constitution, les actes administratifs individuels qui ne respectent pas l’obligation de motivation de la loi du 29 juillet 1991, ce principe ne l’empêche pas d’établir a posteriori le motif du licenciement au moyen d’autres éléments, mécanisme intervenant dans le cadre de l’article 63 tel qu’il est interprété par l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessus.

Décision de la Cour

La cour accueille le pourvoi.

Elle reprend les règles de l’article 63, alinéas 1er et 2, étant la définition du licenciement abusif, avec la présomption légale qui y est attachée. Elle précise que dès lors que l’article 63, alinéa 2, dispose que la charge de la preuve des motifs incombe à l’employeur en cas de contestation, ceci n’exclut pas que le juge fonde sa décision que le licenciement n’est pas abusif sur tout élément qui serait régulièrement produit aux débats et ce s’il a contribué au licenciement, bien qu’il n’ait pas été invoqué par l’employeur comme motif. La Cour précise, reprenant les règles contenues à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991, qu’il ne découle pas de l’obligation de motivation des actes administratifs qu’en cas de licenciement décidé par une autorité administrative, celle-ci ne pourrait en cas de contestation faire la preuve du caractère non abusif de celui-ci nonobstant l’éventuelle irrégularité de la notification eu égard à l’obligation de motivation.

La Cour de cassation conclut qu’en refusant d’apprécier le caractère abusif à la lumière de tout élément étranger au motif figurant dans la lettre de congé ou dans le formulaire C4, la cour du travail a violé la loi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de cassation met un terme à la controverse soulevée depuis de nombreuses années sur la question.

Il existait, en effet, une contradiction évidente entre l’obligation contenue dans la loi du 29 juillet 1991 sur l’exigence de motivation dans l’acte (et non ultérieurement) et la possibilité qu’offre l’article 63 de préciser le motif en cours de procédure, vu l’absence d’obligation de motivation formelle.

Cet arrêt confirme dès lors la position de la Cour de cassation telle que dégagée déjà dans l’arrêt du 15 juin 1988 cité, qui permet au juge de fonder sa décision sur l’ensemble des motifs qu’il pourra découvrir au dossier.


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