Terralaboris asbl

Prestations familiales garanties et conditions de séjour : encore une question à la Cour constitutionnelle

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 mai 2014, R.G. n° 2010/AB/333

Mis en ligne le jeudi 24 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 21 mai 2014, R.G. n° 2010/AB/333

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles poursuit son examen de conventionalité de l’article 1er, alinéa 6 de la loi du 20 juillet 1991 sur les prestations familiales garanties, à la lumière de la toute récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les faits

Une mère de nationalité congolaise, qui a introduit une demande d’asile, a deux enfants, l’un congolais et l’autre belge (née en Belgique d’un père belge). Titulaire d’un CIRE, depuis mars 2008, elle sollicite le bénéfice des prestations familiales garanties. Ne remplissant pas la condition de cinq ans, elle essuie un refus. Elle introduit alors une demande de dérogation auprès du SPF Affaires sociales, demande également refusée.

Ayant ultérieurement une activité salariée, elle peut régulariser son droit pendant une période de six mois, suite à laquelle elle a introduit une nouvelle demande, qui aboutit.

Elle introduit cependant une procédure, eu égard au premier refus, qui va porter sur une période de sept mois.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 2 mars 2010, le tribunal du travail fait partiellement droit à la demande, à savoir qu’il accorde les prestations familiales garanties pour l’enfant belge. Il les rejette pour l’enfant congolais.

Appel est interjeté.

Les décisions de la cour du travail

Arrêt du 22 décembre 2011

Dans cet arrêt (précédemment commenté), la cour du travail a décidé de poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle, rappelant les divers arrêts de celle-ci en la matière. Le dernier, en date du 25 mars 2009 (C. const., 25 mars 2009, arrêt n° 62/2009) portait précisément sur la condition de 5 ans de résidence ininterrompue dans le chef de la personne physique qui demande les prestations familiales garanties pour un enfant né en Belgique et y résidant depuis lors. La Cour avait jugé qu’il y avait violation des articles 10 et 11 de la Constitution, eu égard à la nationalité belge et à la résidence effective de l’enfant en Belgique.

La cour du travail avait dès lors considéré dans son arrêt du 22 décembre 2011 que la condition de résidence ininterrompue de 5 ans constitue une exigence disproportionnée lorsqu’un lien suffisant avec l’Etat belge résulte de divers éléments, dont la nationalité belge de l’enfant et sa résidence. Dans cet arrêt, la cour du travail a posé une question à la Cour constitutionnelle, sur la violation de l’article 1er, alinéa 6 de la loi du 20 juillet 1971, lu en combinaison avec l’article 191 de la Constitution ainsi que les articles 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et 14 de celle-ci ou encore avec les articles 2, §2, et 26, §1, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La question posée a reçu une réponse négative, la Cour constitutionnelle ayant répondu dans un arrêt du 21 février 2013 (C. const., 21 février 2013, arrêt n° 12/2013) qu’il n’y a pas violation dans l’hypothèse où il s’agit d’un demandeur étranger autorisé à séjourner en Belgique qui bénéficie de prestations familiales garanties pour son enfant belge, dans la mesure où il sollicite les prestations familiales garanties pour un autre enfant, ressortissant d’un Etat tiers à l’Union.

Arrêt du 21 mai 2014

La cour reprend dès lors la discussion, eu égard à la réponse donnée par la Cour constitutionnelle. Elle relève que, si son arrêt est rendu sur la conformité de l’article 1er, alinéa 6 de la loi avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lu en combinaison avec les dispositions énoncées ci-dessus, le contrôle de la Cour n’a pas porté sur cette conformité avec l’article 22 de la Constitution ainsi que l’article 8 de la CEDH. La cour poursuit dès lors son examen eu égard au principe relatif à la protection du droit à la vie familiale, essentiel en l’espèce et qui distingue le problème posé de celui déjà examiné par la Cour européenne des droits de l’homme dans le cas de prestations de chômage ou d’allocations aux personnes handicapées adultes. Ainsi, rentre notamment dans l’article 8 la question du congé parental (la cour citant CEDH, 27 mars 1998, Pétrovic c. Autriche, arrêt n° 20458/92, §27).

Il est également renvoyé à d’autres affaires concernant plus précisément les allocations familiales et notamment à l’arrêt du 8 avril 2014 rendu par la Cour européenne (CEDH, 8 avril 2014, Dhahbi c/ Italie, arrêt n° 17120/09), dont la cour du travail reprend de larges extraits. La Cour européenne a constaté qu’il s’agissait en l’espèce d’un refus d’allocations familiales fondé uniquement sur le constat que le demandeur ne possédait pas la nationalité d’un Etat membre de l’Union alors que si ceci avait été le cas, l’allocation lui aurait été accordée. Elle a rappelé que seules des considérations très fortes peuvent justifier une différence de traitement exclusivement fondée sur la nationalité. Elle a conclu en l’espèce à l’absence de rapport raisonnable de proportionnalité susceptible de rendre la décision critiquée conforme à l’article 14 de la Convention.

La cour du travail en conclut qu’il lui appartient de procéder au contrôle de conventionalité, étant de confronter la loi belge à l’article 8 de la CEDH. Il faut dès lors, selon la cour, réinterroger la Cour constitutionnelle sur la conformité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 lus en combinaison avec l’article 22 de la Constitution. Des éléments spécifiques sont en effet à prendre en compte, étant que le rattachement avec la Belgique doit viser non seulement l’adulte mais également l’enfant et la cellule familiale, qui a vocation à se trouver durablement en Belgique vu la nationalité belge de celui-ci. Dès lors, distinguer les enfants selon leur nationalité ne se justifie pas.

En outre, il existe certes une distinction avec le régime contributif des travailleurs salariés, vu la spécificité du financement des prestations familiales garanties mais la cour relève que la situation en cause a également une incidence sur le taux mensuel des allocations, puisque celui-ci est aligné sur les articles 40 et 42bis des lois cordonnées. Le montant des allocations varie donc en fonction de la place de l’enfant dans le rang et si un enfant est exclu, ceci a une incidence sur le rang des enfants plus jeunes qui peuvent bénéficier des allocations, eu égard à leur nationalité belge.

Pour l’ensemble de ces motifs, la cour réinterroge dès lors la Cour constitutionnelle, visant plus particulièrement la réduction des allocations entraînée par l’exclusion d’un enfant dans les rangs.

Intérêt de la décision

Le premier arrêt rendu par la cour du travail était déjà important, puisque la cour tentait le contrôle de conventionnalité avec l’article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que l’article 14 du même texte et la Convention relative aux droits de l’enfant. La question posée actuellement a une portée plus restreinte, mais est susceptible d’être plus efficace, puisqu’il s’agit de mesurer l’incidence de l’exclusion d’un enfant dans les rangs sur la réduction du droit des autres enfants plus jeunes remplissant - eux - les conditions requises pour bénéficier des prestations familiales.

Affaire à suivre …


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