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Accident du travail : définition du marché du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/366

Mis en ligne le jeudi 24 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 24 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/366

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les critères du marché du travail, dans le cadre de la législation sur les accidents du travail, ceux-ci excluant les possibilités de reclassement en entreprise de travail adapté.

Les faits

Un travailleur a été victime d’un grave accident du travail en décembre 1993, accident qui a entraîné l’incapacité temporaire jusqu’au 1er février 1997. L’assureur propose alors une consolidation sur la base d’un taux d’incapacité permanente de 80%, et ce par projet d’accord-indemnité transmis à la victime.

Un litige se posant sur la date de consolidation, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Louvain. L’expertise ordonnée par le tribunal aboutit à un taux de 45% d’incapacité permanente. L’expert est réinterrogé par le tribunal et il modifie alors ses conclusions, l’IPP étant portée à 50%.

Le tribunal constate, par jugement du 13 mai 2008, qu’il n’est pas en mesure de fixer les séquelles de l’accident et considère que l’expert n’a pas permis de comprendre tous les éléments à prendre en compte, et notamment vu un état antérieur (troubles de l’audition). Une nouvelle expertise est ordonnée.

L’assureur interjette appel de ce jugement. La cour, saisie de celui-ci, conclut par arrêt du 8 juin 2009, à son absence de fondement et renvoie la cause devant le premier juge.

Le Tribunal du travail de Louvain, qui a désigné un deuxième expert, va cependant s’écarter des conclusions de ce dernier. L’expert ayant retenu une incapacité permanente de 75%, le tribunal considère que celle-ci doit être de 100%, par jugement du 15 janvier 2013. Il constate également qu’il y a nécessité d’aide de tiers et redésigne l’expert sur les conditions de celle-ci.

Nouvel appel est interjeté par l’assureur, qui demande à la cour de retenir le pourcentage d’incapacité permanente de 75% fixé par l’expert judiciaire, ainsi que de faire remonter la date de consolidation au 1er décembre 1997, le tribunal ayant pour sa part retenu celle du 18 mars 2010 (date admise par l’expert).

Décision de la cour du travail

La cour est dès lors saisie de deux questions importantes, étant la notion de consolidation ainsi que celle d’incapacité permanente.

Elle reprend sur ces questions les principes tant législatifs que jurisprudentiels.

Il ne peut y avoir de consolidation tant qu’il n’y a pas de stabilisation, ceci ne signifiant pas qu’il ne peut y avoir des soins médicaux postérieurs à celle-ci. La cour confirme la conclusion de l’expert, qui a constaté qu’après la date du 1er décembre 1997 (date que l’assureur-loi demande de retenir), il y a encore eu de nombreuses interventions chirurgicales, susceptibles de modifier l’état de l’intéressé.

En ce qui concerne l’incapacité permanente, la cour reprend ici également d’importants principes, étant d’abord les critères pris en compte pour déterminer celle-ci, à savoir l’incapacité physique, l’âge, la qualification professionnelle, les facultés d’adaptation, la possibilité de nouvelles formations ainsi que la capacité de concurrence sur le marché général du travail.

Il y a incapacité permanente totale si la victime a perdu toute possibilité sur le marché du travail de se procurer des revenus réguliers, et ce même si elle conserve une légère capacité physique. La cour rappelle également l’arrêt de la Cour de cassation du 30 octobre 2006 (Cass., 30 octobre 2006, RG n° S.06.0035.N), selon lequel l’incapacité doit être appréciée dans son ensemble, sans tenir compte d’un état antérieur, et ce pendant et aussi longtemps que l’accident reste au moins en partie la cause de cette incapacité.

L’expert ayant, dans son rapport, constaté que l’intéressé pouvait peut-être se voir affecté à un travail dans une institution telle qu’un atelier protégé, la cour rappelle avec le Tribunal du travail de Gand (Trib. trav. Gand, 26 février 2001, T.G.R., 2002, p. 199) que la possibilité de mise au travail dans un atelier protégé ne fait pas partie du marché général du travail et par conséquent qu’elle ne peut constituer un critère d’appréciation des chances pour la victime de retrouver un emploi sur le marché général du travail.

La cour souligne ici qu’il ne faut pas s’en tenir à l’appréciation d’une incapacité médicale théorique mais qu’il faut examiner les possibilités réelles de mise au travail.

Il en découle, pour la cour, qu’il faut conclure à 100% d’incapacité permanente, comme retenu par le tribunal.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle très justement les critères d’évaluation de l’incapacité permanente dans le secteur des accidents du travail, étant qu’il y a lieu d’apprécier non une perte de capacité théorique mais les possibilités réelles pour la victime d’être remise sur le marché général du travail, tenant compte de son âge, sa formation, ses facultés de réadaptation et de réinsertion. La cour du travail exclut de ce marché du travail la possibilité de reclassement en atelier protégé, et ce conformément aux principes généraux.

L’on peut encore rappeler que dans un arrêt du 27 janvier 2012 (C. trav. Liège, 27 janvier 2012, R.G. n° 2011/AL/168 – précédemment commenté), la Cour du travail de Liège avait considéré, dans le cas d’un ouvrier peu qualifié, ayant presté dans des postes où la charge physique était très lourde (port de charges, position fatigante, travail en hauteur) que, si de telles contraintes étaient exclues suite à l’accident du travail et que l’absence de formation et les difficultés d’acquisition de qualifications nouvelles excluaient un nouveau marché du travail, la mise au travail dans une ETA ne pouvait être prise en compte, l’intéressé n’ayant jamais travaillé dans le cadre d’un emploi protégé.


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