Terralaboris asbl

Intégration des personnes handicapées : intervention de la COCOF en cas d’hébergement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 juin 2014, R.G. 2012/AB/1.266 et 2012/AB/1.280

Mis en ligne le jeudi 21 août 2014


Cour du travail de Bruxelles, 2 juin 2014, R.G. 2012/AB/1.266 et 2012/AB/1.280

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 2 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles s’interroge sur la conformité des aides de la COCOF aux personnes handicapées, eu égard à la convention de New York du 13 décembre 2006.

Les faits

L’intervention de la COCOF est demandée par le représentant légal d’une personne handicapée, âgée de 44 ans et bénéficiant du statut de minorité prolongée. Il s’agit de frais relatifs à l’installation d’un monte-escaliers avec siège (mono-lift). La COCOF refuse, au motif que l’intéressé vit dans un centre d’hébergement et qu’il ne remplit dès lors pas la condition requise pour la prise en charge au titre d’intégration sociale et professionnelle.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui condamne la COCOF à octroyer une somme de 11.000 € environ, montant correspondant à l’achat du mono-lift avec siège demandé.

La COCOF interjette appel de cette décision.

La décision de la cour

La cour reprend, assez longuement, les dispositions applicables, étant la Convention de New-York relative aux droits des personnes handicapées, ainsi que le décret du 4 mars 1999 de l’Assemblée de la Commission communautaire française relatif à l’intégration sociale et professionnelle des personnes handicapées et l’arrêté du 25 février 2000 du Collège de la Commission communautaire commune, déterminant les conditions d’intervention, conformément à l’article 24 du décret.

La cour constate que le litige se cristallise sur l’article 28 de cet arrêté, qui prévoit les modes de réalisation de l’intégration sociale ou professionnelle. Ceux-ci sont énumérés dans le texte et visent (i) l’exercice d’un emploi rémunéré, (ii) le suivi d’une formation professionnelle, (iii) le suivi d’études ou d’une forme d’apprentissage, (iv) l’accomplissement de démarches soutenues en vue de l’intégration sur le marché du travail, (v) la gestion du ménage, (vi) la fréquentation d’un centre de jour avec maintien à domicile à l’exclusion de tout hébergement en institution et (vii) la participation à des activités sociales dans des conditions déterminées.

Cet article prévoit également que, si le handicap ne prévoit pas de réaliser une de ces activités, il y aura néanmoins intervention dans la mesure où l’aide favorise le maintien à domicile, à l’exclusion de tout hébergement en institution.

Il y a dès lors une condition de finalité à l’octroi d’une aide individuelle.

La cour fait grief au premier juge de ne pas avoir pleinement vérifié si l’ensemble de ces conditions sont réunies en l’espèce, précisant que les conditions légales sont cumulatives. En conséquence, il faut apprécier la condition de nécessité (obligation pour l’aide de couvrir des frais supplémentaires indispensables à l’intégration de la personne), de finalité (le but étant soit de permettre une des activités visées, soit de favoriser le maintien à domicile sans hébergement en institution) et, enfin, vérifier les aides pouvant être accordées ainsi que le montant susceptible d’être alloué.

La cour va, dès lors, examiner plus particulièrement les critères du maintien à domicile et de la notion d’hébergement en institution.

Elle rappelle la modification de l’arrêté du 25 février 2000 par rapport à sa mouture initiale. Le sens de l’ajout du dernier alinéa est donné par les auteurs du projet, étant que les modifications souhaitées visent à favoriser le maintien à domicile en permettant l’intervention du Service bruxellois francophone pour une personne qui ne peut réaliser aucune des activités reprises au texte initial eu égard à ses handicaps. Suite à l’intervention du Conseil d’Etat, une légère modification est intervenue et la cour relève que le texte est actuellement clair, puisqu’il s’agit d’élargir le droit à une aide individuelle si les personnes ne sont pas en mesure de réaliser une des activités visées, sauf si elles sont hébergées en institution. La cour relève que le texte vise tout hébergement en institution, sans distinction.

Elle reprend ensuite la notion d’hébergement en institution, dans le cadre du décret du 4 mars 1999, et conclut que, même si l’intéressé est en l’espèce resté domicilié chez son père et qu’il y retourne très régulièrement, il ne peut être contesté qu’il est hébergé en institution. Il se trouve dès lors exclu du bénéfice d’une aide individuelle.

La cour va dès lors entreprendre un examen de constitutionalité de cet article 28, alinéa 2 de l’arrêté. Constatant une différence de traitement en fonction de la réalisation d’une activité, elle retient qu’il s’agit d’un critère objectif, mais que reste à vérifier si celui-ci, qui prévoit une différence de traitement, est raisonnablement justifié, tenant compte du but et des effets de la mesure (exclusion de l’aide individuelle des personnes handicapées répondant aux conditions visées). La cour ordonne une réouverture des débats sur ce point.

Elle se pose également d’autres questions. La première est de vérifier si le but, qui est de favoriser le maintien à domicile, est respecté, étant que, si l’on veut décourager l’hébergement en institution, alors que celui-ci ne résulte pas d’un libre choix mais de contraintes objectives, la privation du droit à l’aide individuelle dans une telle hypothèse constitue une mesure raisonnablement proportionnée à l’objectif poursuivi.

Elle rejette, ensuite, un argument tiré des limites budgétaires, relevant que, dans un arrêt du 23 septembre 2011 (C.E., arrêt n° 215.309 du 23 septembre 2011), le Conseil d’Etat a jugé que la limitation du degré de protection des personnes handicapées pour des raisons budgétaires doit être justifiée par un impératif budgétaire particulier. Elle invite dès lors la COCOF à s’expliquer sur ces points.

Elle aborde ensuite la question du cumul des interventions, étant qu’il faut vérifier dans quelle mesure l’institution d’hébergement est subsidiée par l’AWIPH et si cette Agence est effectivement intervenue dans les frais d’hébergement de l’intéressé.

Enfin, elle relève que l’exclusion est sans nuance, constatant que toute aide individuelle est refusée quelle que soit sa nature ou son importance et qu’il n’est tenu aucun compte, notamment, du nombre de jours d’hébergement de l’intéressé en institution. D’où un paradoxe évident, souligné par l’arrêt, étant que le but affiché est de favoriser le maintien à domicile, mais que l’aide individuelle destinée à permettre le séjour régulier dans celui-ci est refusée.

Elle considère également qu’il y a lieu de vérifier s’il n’y a pas ici atteinte excessive portée aux possibilités de l’intéressé, en fonction de la nature et de la gravité de son handicap, à son autonomie, ainsi qu’à sa participation à la vie en société.

La cour ordonne dès lors une réouverture des débats, après avoir précisé un ensemble de questions sur lesquelles elle attend une réponse documentée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, particulièrement fouillé, examine la réglementation à la lumière des droits figurant dans la Convention de New-York relative aux droits des personnes handicapées. Celle-ci a reçu l’assentiment du législateur par une loi du 13 mai 2009. La cour relève que les états doivent prendre des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées dans la plus grande autonomie possible, ceci visant des aides à la mobilité, des appareils, accessoires, etc. Tout en soulignant que ces dispositions n’ont pas d’effet direct, la cour rappelle que l’Etat belge s’est engagé à remplir les objectifs de la Convention et que le juge peut – et doit même – en tenir compte lorsqu’il applique le droit national. Celui-ci doit être appliqué dans toute la mesure du possible, de manière à être conforme aux dispositions de droit international liant la Belgique.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be