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AMI : la décision du médecin-conseil d’une mutuelle est une décision administrative au sens de la loi sur la motivation formelle des actes administratifs

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 mars 2014, R.G. 2012/AB/282

Mis en ligne le lundi 25 août 2014


Cour du travail de Bruxelles, 27 mars 2014, R.G. n° 2012/AB/282

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 27 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles annule une décision prise par le médecin-conseil d’une mutuelle relative à un refus d’indemnités, et ce vu une motivation insuffisante, eu égard aux exigences de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs.

Les faits

Suite à des problèmes de santé au travail, une employée décida de démissionner, en juin 2009. Elle ne reprit pas d’activité professionnelle et ne s’inscrivit ni au chômage ni auprès de son organisme assureur AMI.

Ses problèmes de santé persistant, elle continua à consulter divers spécialistes et, en décembre 2010, fut alors posé un diagnostic de syndrome de fatigue chronique.

En janvier 2011, l’intéressée prit l’initiative d’exposer sa situation au médecin-conseil de la mutuelle, et ce en vue d’obtenir les indemnités avec effet rétroactif au 1er juillet 2009. Elle joignait un dossier médical. Aucune suite ne fut donnée à ce courrier et, en mars 2011, l’intéressée fit une nouvelle demande, cette fois accompagnée d’une attestation de son médecin-traitant, précisant qu’il y avait incapacité de travail depuis le 30 juin 2009 suite à un syndrome de fatigue chronique.

Le médecin-conseil refusa de reconnaître l’incapacité par décision du 18 mars 2011. Celle-ci se borna à mentionner que les données lui communiquées étaient insuffisantes pour permettre d’accepter une incapacité de travail.

Un recours fut introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui rejeta la demande par jugement du 2 mars 2012.

Le premier juge considéra en effet qu’au moment de déclaration d’incapacité, l’intéressée ne satisfaisait pas aux conditions de l’article 86, § 1er des lois coordonnées (assurabilité).

Position des parties devant la cour

La partie appelante fait en premier lieu grief à la décision administrative de ne pas respecter l’obligation de motivation formelle des actes administratifs, telle qu’exigée par la loi du 29 juin 1991.

Elle considère en outre avoir communiqué assez de documents permettant au médecin-conseil de prendre sa décision.

Elle fait également valoir une situation de force majeure, justifiant la tardiveté de sa déclaration. La force majeure réside pour elle dans l’impossibilité pour les médecins consultés à l’époque de poser un diagnostic correct. Elle sollicite la désignation d’un expert, afin de donner un avis sur l’état d’incapacité à la date du 30 juin 2009.

L’organisme assureur considère, pour sa part, que l’intéressée ne travaille plus depuis le 30 juin 2009 et qu’elle n’est donc plus soumise au régime de sécurité sociale des travailleurs salariés. Elle ne satisfait pas davantage aux conditions de l’article 86, § 1er de la loi coordonnée. L’organisme assureur signale également que l’intéressée n’a pas tout à fait mis un terme à ses activités, ayant entrepris d’écrire des livres pour enfants. Il relève également que, dans les éléments médicaux produits, il n’y a pas d’attestation médicale faisant état d’une perte de capacité de deux tiers ou plus.

La décision de la cour

Sur le plan de la motivation formelle, la cour rappelle que la décision du médecin-conseil d’un organisme assureur relative à la reconnaissance ou au refus d’une incapacité de travail est un acte administratif au sens de la loi du 29 juillet 1991, cette décision étant prise sous le contrôle de l’INAMI et ayant des effets en droit. La cour renvoie à diverses décisions de jurisprudence (dont C. trav. Brux., 4 juin 2009, C.D.S., 2012, p. 265). La cour annule la décision, pour motivation insuffisante, précisant que le médecin-conseil aurait au moins dû expliquer pourquoi il ne reconnaissait pas l’incapacité de travail ou indiquer clairement quels éléments médicaux complémentaires il souhaitait.

Elle aborde ensuite les conséquences de cette nullité, étant que l’intéressée n’a pas de ce fait droit aux indemnités. Il appartient en effet au juge de déterminer si le demandeur répond aux conditions légales exigées pour bénéficier de la prestation (renvoyant ici à Cass., 27 juin 2005, n° S.04.0187.N). Le juge doit dès lors, après avoir annulé la décision, se mettre à la place de l’autorité qui l’a prise et statuer sur le droit subjectif de l’assuré social.

Il y a lieu d’examiner si, en l’occurrence, l’intéressée peut se prévaloir d’une force majeure eu égard au caractère tardif de la déclaration d’incapacité. La cour rappelle qu’une déclaration tardive n’est plus sanctionnée par la perte du droit aux indemnités pour la période antérieure, la sanction actuelle étant la réduction de 10% des indemnités relatives à celle-ci. Elle rejette cependant que les difficultés de poser le diagnostic correct puissent constituer une telle force majeure et relève que la prise en compte d’une incapacité de travail à titre rétroactif ne peut se justifier que dans certaines hypothèses, ainsi en cas d’hospitalisation, de prise en charge dans une institution psychiatrique ou encore en cas d’évaluation d’un handicap physique important requérant la reconnaissance d’une incapacité de travail de plus de 66%.

La cour rappelle encore que, en vertu de l’article 100, § 1er, alinéa 1er de la loi coordonnée, la cessation de travail doit être en lien de cause à effet avec l’apparition ou l’aggravation de lésions, chose non démontrée en l’espèce.

Elle reprend ensuite les éléments de la chronologie du dossier pour aboutir à la confirmation de la décision administrative, déjà entérinée par le tribunal dans le jugement a quo.

En ce qui concerne la deuxième déclaration d’incapacité, faite en mars 2011, la cour relève ici que, si un élément médical nouveau est produit par rapport au dossier initial, celui-ci doit faire état d’une perte de capacité de deux tiers ou plus. La cour constate également que la déclaration ne contient aucune description des symptômes et qu’elle n’est nullement motivée.

L’appelante n’apportant pas les éléments suffisants susceptibles de faire admettre une incapacité de travail au sens légal, la cour ne fait pas droit à sa demande de désignation d’expert.

Elle souligne, enfin, qu’en vertu de l’article 137 de la loi, les indemnités d’incapacité de travail ne sont dues qu’à la condition qu’il ne se soit pas écoulé une période ininterrompue de plus de 30 jours entre le début de l’incapacité et le dernier jour d’une période pendant laquelle l’assuré social avait la qualité de titulaire visée par la loi (article 86, § 1er) ou était reconnu incapable de travailler au sens de la loi.

Il appartient par ailleurs au titulaire qui veut continuer à bénéficier des prestations qu’il fournisse la preuve que, pour les deuxième et troisième trimestres précédant celui au cours duquel ils font appel au secteur AMI, ils ont conservé à un titre quelconque cette qualité pendant un nombre de jours ouvrables égal au nombre de jours de travail de référence. L’intéressée n’étant pas en mesure d’apporter la preuve de son assurabilité, l’appel est rejeté.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail est un rappel utile des conditions d’assurabilité en cas de cessation d’une activité professionnelle salariée. Il reprend également l’exigence du secteur, relative à l’obligation pour l’assuré social de faire valoir dans les éléments médicaux produits, non seulement des problèmes de santé de manière générale, mais également l’existence d’une perte de capacité de travail de deux tiers ou plus.

Enfin, l’arrêt reprend le principe généralement admis de l’obligation de motivation, obligation applicable aux décisions du médecin-conseil de l’organisme assureur.


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