Terralaboris asbl

Récupération d’allocations de chômage en cas de refus rétroactif d’une dispense : conditions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 avril 2014, R.G. n° 2012/AB/234

Mis en ligne le mardi 2 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 9 avril 2014, R.G. n° 2012/AB/234

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les diverses hypothèses prévues par l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 relatives à la limitation de la récupération d’allocations de chômage suite au refus d’une dispense par l’ONEm.

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations de chômage introduit une demande de dispense en vue de suivre une formation, en application de l’article 94 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Il s’agit d’une formation sous la tutelle d’une Asbl active dans le secteur de la coiffure. Sont prévus une journée de formation par semaine au sein de celle-ci et un stage en entreprise, exécuté suite à un contrat individuel d’insertion en entreprise auprès d’une société exploitant un salon de coiffure.

La dispense est accordée pendant une période de dix mois et demi, les allocations d’attente étant maintenues.

Une seconde demande est alors introduite pour l’année suivante et l’intéressée produit les mêmes documents. La dispense est alors refusée, au motif que la formation s’avère directement intégrée dans l’activité commerciale d’un indépendant. Sont également reprochés le manque de précision quant au contenu des programmes, l’absence d’encadrement sérieux des stages, etc.

L’intéressée complète son dossier et réintroduit une demande quelques mois plus tard. Celle-ci est à nouveau refusée. Malgré des précisions apportées ultérieurement, l’ONEm maintient sa décision de refus, explicitant les motifs déjà donnés précédemment.

L’intéressée conclut alors un contrat de travail avec la société.

L’ONEm rejette ensuite les dépenses relatives aux allocations de chômage versées pendant un an par l’organisme de paiement. Celui-ci demande à l’intéressée le remboursement des allocations et une procédure est introduite devant le tribunal du travail.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 7 février 2012, celui-ci confirme la décision administrative et conclut dès lors à l’existence d’un indu. L’intéressée ayant formé une demande incidente en garantie contre l’office de paiement, celui-ci est condamné à garantir l’assurée sociale pendant une partie de la période.

Appel est interjeté par l’intéressée.

Position des parties devant la cour

L’appelante demande de dire pour droit qu’elle pouvait bénéficier des allocations de chômage perçues et que les demandes de récupération de l’organisme de paiement doivent être mises à néant. Elle développe à titre plus subsidiaire des demandes de condamnation des parties intimées à des dommages et intérêts pour faute. Elle souligne qu’il n’y a pas eu d’audition préalable et que la décision intervenue n’est pas motivée comme de droit (la motivation via le formulaire C94A étant insuffisante). Elle plaide également qu’il y a absence de compétence dans le chef de l’auteur de l’acte.

Elle développe en outre des moyens quant au fond – tirés de l’absence de délai raisonnable dans lequel la décision est intervenue et du fait que la dispense devait dès lors être considérée comme acceptée, la carte d’allocations ayant été maintenue.

Elle fait encore grief à l’Office de ne pas avoir procédé à une appréciation individuelle du cas d’espèce et conteste la régularité de l’effet rétroactif du retrait, au regard des instructions administratives, la Charte de l’assuré social permettant par ailleurs de ne pas conférer un effet rétroactif à la totalité de la demande de remboursement, dans la mesure où elle considère qu’il y a eu erreur dans le chef du bureau de chômage.

Enfin, elle considère que les activités exécutées dans le cade de la formation ne peuvent être considérées comme une activité pour compte de tiers.

L’office de paiement considère pour sa part que les paiements ont été effectués sur la base d’une autorisation de paiement valable et que l’ONEm ne pouvait dès lors rejeter ces dépenses ultérieurement. Il conteste que sa responsabilité soit engagée.

Quant à l’ONEm, il demande la confirmation du jugement.

Position du Ministère public

Le Ministère public relève qu’il n’y a pas de litige entre l’Office et l’organisme de paiement, étant cependant à acquis que l’Office avait informé ce dernier d’une enquête menée au niveau national en ce qui concerne les formations organisées au sein de ladite Asbl et que l’Office aurait pu être plus diligent dans la gestion du dossier.

Il conclut par ailleurs à la bonne foi de l’intéressée et à la limitation, par voie de conséquence, de la récupération aux 150 dernières allocations.

Décision de la cour du travail

La cour reprend les termes de l’article 94, §§ 1 et 2 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, relatif à la procédure de demande de dispense en vue de suivre une formation ou des études (non visées aux articles 91 à 93).

Constatant que, sur le plan de la procédure administrative, il est exact que l’intéressée n’a pas été entendue, que la motivation du refus est sommaire et qu’il y a dès lors de graves lacunes formelles, la cour considère que ceci ne signifie pas pour autant que l’intéressée devait avoir la dispense et percevoir les allocations, le juge devant vérifier que les conditions d’octroi des allocations sont remplies.

La cour relève que la situation visée à l’article 94, § 1er de l’arrêté royal est particulière, puisqu’aucune indication précise n’est donnée quant aux formations permettant d’obtenir ladite dispense et que le directeur du bureau régional dispose sur cette question d’un certain pouvoir d’appréciation. Dans la mesure où la décision peut avoir une incidence sur le droit aux allocations, il y a lieu pour l’administration, comme le relève la cour, de prendre en compte la situation individuelle du chômeur. Même s’il n’a pas été suffisamment tenu compte de la situation spécifique de l’intéressée, la cour conclut cependant que la dispense pouvait être refusée, et ce eu égard aux lacunes de la formation proposée. Elle reprend les éléments du dossier, insistant sur le fait qu’il y avait intégration du chômeur dans un processus de production, le but de ladite formation n’étant pas l’acquisition de conséquences professionnelles mais au contraire l’exécution d’un travail. En outre, un dossier pénal avait été ouvert, confirmant la chose.

La cour conclut dès lors à une mise au travail au service d’un employeur, celle-ci entraînant d’ailleurs la perte de la disponibilité de l’intéressée pour le marché de l’emploi. Elle confirme dès lors que l’intéressée ne pouvait bénéficier de la dispense.

En ce qui concerne la récupération de l’indu, renvoyant aux articles 169 et 170 de l’arrêté royal dont elle reproduit le texte, la cour retient qu’il faut scinder la période en cause en deux, étant dans un premier temps celle pour laquelle les paiements ont été faits par l’organisme de paiement sur la base d’une autorisation délivrée par l’ONEm, période pour laquelle l’organisme ne peut récupérer les allocations. Celles-ci restent dès lors acquises, l’ONEm n’ayant pour sa part pas pris de décision en ce sens.

Pour la période ultérieure, elle considère que l’intéressée et de bonne foi. Elle n’avait en effet aucune raison de penser que la dispense lui serait refusée. Le revirement de l’ONEm est, en effet, dû à des circonstances indépendantes d’elle-même, s’agissant de l’enquête globale menée sur les activités de l’Asbl à l’époque.

En ce qui concerne la restitution, la cour considère enfin qu’il faut appliquer en l’espèce l’article 169, alinéa 5 de l’arrêté royal, qui prévoit que, lorsque le chômeur prouve qu’il a perçu de bonne foi des allocations auxquelles il n’avait pas droit, le montant de la récupération peut dans certaines hypothèses être limité au montant brut des revenus dont le chômeur a bénéficié et qui n’étaient pas cumulables avec les allocations. C’est dès lors un montant de l’ordre de 1.200€ que l’intéressée doit rembourser.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler que les dispenses accordées en vue de formations en entreprise doivent être des formations permettant l’acquisition de compétences et qu’elles ne peuvent – comme en l’espèce – camoufler un travail effectif intégré dans le circuit productif.

L’intéressée étant, en l’espèce, manifestement de bonne foi, la cour a retenu celle-ci. Sur le plan de la récupération, il peut être rappelé que, en vertu de l’article 169 de l’arrêté royal, il appartient au chômeur de prouver sa bonne foi afin d’obtenir la limitation de la récupération aux 150 dernières allocations. En l’espèce, l’intéressée demandait à la cour de retenir qu’elle n’avait travaillé que pendant certains jours et sollicitait que la récupération soit limitée à ceux-ci. La cour a substitué à cette demande un autre alinéa du même article 169, étant que le montant de la récupération peut être limité au montant brut des revenus dont le chômeur a bénéficié et qui n’étaient pas cumulables avec les allocations de chômage. Cette possibilité suppose soit que le chômeur établisse sa bonne foi, soit que le directeur du bureau de chômage décide de faire usage de la possibilité de ne donner qu’un avertissement (article 157bis de l’arrêté royal).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be