Terralaboris asbl

Chômage : absence de mention sur le C1 de l’exercice d’un mandat de société et conséquences sur la prescription

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/189

Mis en ligne le lundi 15 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 22 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/189

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles conclut qu’il y a lieu d’appliquer le délai de prescription de cinq ans pour la restitution d’allocations de chômage perçues indument, dans l’hypothèse où l’assuré social a omis à deux reprises sur le C1 de faire référence à l’exercice d’une activité pendant le chômage.

Les faits

Une agente statutaire d’une intercommunale est placée en disponibilité pour défaut d’emploi en juillet 1988. Elle perçoit un traitement d’attente pendant près de dix ans et est, ensuite, mise en disponibilité sans indemnisation. Elle sollicite alors les allocations de chômage. Celles-ci lui sont refusées au motif qu’en tant que statutaire, elle n’a jamais cotisé dans ce régime.

En août 2008, elle introduit une demande nouvelle, avec effet rétroactif au 1er mai 1997. Sa demande s’appuie sur une décision rendue par la Cour du travail d’Anvers dans une affaire concernant un de ses collègues. Suite à cette demande, les allocations lui sont accordées rétroactivement à partir de la date de la demande, une partie étant payée, avec l’accord de l’intéressée, à l’ONP. L’époux de celle-ci avait, par ailleurs, bénéficié d’une pension de retraite au taux ménage pendant une partie de la période, situation à revoir eu égard à la perception des allocations.

Une enquête administrative est effectuée dans le courant de l’année 2010 et il s’avère que l’intéressée est administrateur-délégué d’une S.A. dont elle est par ailleurs le principal actionnaire. L’enquête révèle également qu’une activité y a été exercée par celle-ci, comme interprète et qu’elle a été défrayée régulièrement (indemnités de frais et de déplacements).

Une décision est alors prise par le directeur du bureau régional, excluant celle-ci depuis le 1er mai 1997. L’indu depuis cette période est réclamé, dans les limites cependant des règles de prescription. L’intéressée fait également l’objet d’une exclusion pour une période de 16 semaines, ayant omis de biffer sa carte de pointage avant d’entreprendre une activité non compatible avec les allocations.

Une requête est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Par jugement du 14 janvier 2013, celui-ci déboute l’intéressée et confirme en totalité la décision administrative.

Position des parties devant la cour

L’appelante fait valoir sa bonne foi, quant aux mentions du formulaire C1. Elle plaide que, vu la gratuité du mandat, elle a pensé qu’elle n’avait pas l’obligation de le déclarer. Elle fait valoir que cette qualité n’a jamais été celée et que l’ONEm aurait pu, par la consultation de la Banque carrefour des entreprises, avoir connaissance beaucoup plus tôt de ce mandat. Eu égard à la bonne foi, elle demande la limitation aux 150 dernières allocations. Elle fait également valoir qu’elle se retrouverait davantage pénalisée du fait qu’une partie des allocations a dû être versée à l’ONP aux fins de régulariser la pension de retraite de son époux et qu’elle ne peut pour celle-ci obtenir de remboursement.

Quant à l’ONEm, il plaide que la bonne foi suppose l’absence de toute faute dans le chef de l’intéressée et que tel n’est pas le cas en l’espèce, faisant au contraire valoir qu’il y eu volonté frauduleuse, et ce d’autant qu’elle a dû remplir le document C1 à deux reprises.

Décision de la cour du travail

La cour reprend les principes applicables eu égard à l’évolution de la jurisprudence depuis l’arrêt du 3 novembre 2004 de la Cour constitutionnelle (C. const., 3 novembre 2004, n° 176/2004). Elle souligne que celle-ci a mis un terme à la jurisprudence antérieure, confirmée par la Cour de cassation, relative au renversement de la présomption légale, celle-ci étant actuellement considérée comme réfragable.

La cour rappelle ensuite l’arrêt de la Cour de cassation du 3 janvier 2005 (Cass., 3 janvier 2005, R.G. n° S.04.0091.F), selon lequel l’exercice du mandat d’administrateur d’une société commerciale constitue une activité effectuée pour compte propre au sens de l’article 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Une telle activité est exercée dans un but lucratif même si elle ne procure pas de revenus. Elle n’est dès lors pas une activité limitée à la gestion normale des biens propres au sens de la même disposition. La cour du travail considère que tel est le cas même en cas de mandat gratuit, l’activité étant toujours exercée – voire de manière indirecte - dans l’objectif de percevoir des revenus. Le chômeur est dès lors tenu d’apporter les éléments susceptibles de renverser cette présomption.

Elle examine, ensuite, les conditions d’exercice du mandat, ainsi que la position de l’intéressée au sein de la société. Bénéficiaire de 75% des parts au début, elle l’est devenue à concurrence de 97% en 2001, suite à une augmentation de capital. La cour relève que le chiffre d’affaires dégagé varie entre 17.000 et 30.000€ par an à partir de l’année 2006. Elle retient qu’il y a travail au sens des articles 44 et 45 de l’arrêté royal. Elle rejette que l’activité ait pu être exercée par le conjoint, ainsi que l’intéressée le soutient et ce, vu que celui-ci approchait les 80 ans. La cour relève également de très importants frais de déplacement effectués avec le véhicule personnel de l’intéressée, et ce même à l’étranger. Elle constate également des mouvements de fonds sur le compte de la société opérés par l’intéressée ainsi que des revenus en tant que traductrice-interprète.

Elle confirme dès lors la position de l’ONEm.

Quant à la bonne foi, qui eut permis de limiter la récupération aux 150 dernières allocations, la cour rappelle que, pour être présente, la bonne foi suppose que le chômeur n’ait pas pu raisonnablement savoir qu’il bénéficiait de prestations auxquelles il n’avait pas droit. Ceci suppose que l’appelante n’ait pu raisonnablement savoir que l’exercice de cette profession accessoire ainsi que les revenus qui ont été générés par celle-ci ne devaient pas être déclarés à l’ONEm. Or, à deux reprises un C1 a été rempli et les circonstances particulières de la cause (allocations octroyées avec effet rétroactif) ne font pas exception à la règle. Si le C1 avait été correctement rempli, les allocations n’auraient pas été octroyées. L’intéressé n’établit dès lors pas sa bonne foi.

En ce qui concerne le délai de prescription, la cour retient également – et ce toujours sur la base des deux documents C1 – qu’il y a eu manœuvre frauduleuse et que le délai est celui de cinq ans.

Enfin, la sanction d’exclusion est également confirmée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’importance pour le demandeur d’allocations de chômage de remplir correctement le document C1.

La réglementation autorise en effet l’exercice de l’activité accessoire, mais dans les conditions qu’elle spécifie. A défaut de déclaration ou à défaut pour l’activité elle-même de répondre aux conditions requises, il y a activité au sens des articles 44 et 45 de l’arrêté royal et celle-ci est incompatible avec les allocations de chômage. En l’occurrence, non seulement l’absence de bonne foi mais également l’existence de manœuvres frauduleuses sont retenues du fait des déclarations de l’assurée sociale sur le document C1, document dont l’on rappelle que, s’il détermine l’octroi des allocations de chômage (ainsi que leur taux) sur la base des déclarations de l’assuré social sans contrôle systématique de celles-ci, les sanctions qui interviendront en cas de déclaration inexacte peuvent, comme en l’espèce, être lourdes.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be