Terralaboris asbl

Critères d’appréciation in concreto de l’existence d’un transfert d’entreprise

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 août 2014, R.G. 2012/AB/1.008

Mis en ligne le jeudi 25 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 12 août 2014, R.G. n° 2012/AB/1.008

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 12 août 2004, la Cour du travail de Bruxelles, saisie de demandes de régularisation de primes de fin d’année et de pécules de vacances, rappelle la notion d’unité d’employeur ainsi que les conditions du transfert d’entreprise au sens de la CCT 32bis.

Les faits

Une société exploitant un magasin de nuit « Night Shop » engage un vendeur dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel. La société (initialement SCRIS) se transforme (SPRL) et son ancien gérant devient gérant unique statutaire. L’employé passe, ultérieurement, à temps plein, un nouveau contrat étant signé à cette occasion.

Une nouvelle société (SPRL) est constituée ultérieurement, avec le même siège social, ainsi que le même gérant (celui-ci étant détenteur de 40 parts sur 100). Un nouveau contrat est alors conclu entre cette troisième société et l’intéressé.

Un différend intervient entre parties, amenant à la fin des prestations de l’intéressé. Les circonstances de la rupture, ainsi que la date exacte de fin, resteront peu claires.

L’intéressé réclame, ultérieurement, via son organisation syndicale, une indemnité compensatoire de préavis, ainsi que diverses sommes (pécules et primes de fin d’année) et ce à l’égard de la troisième société.

Décision du tribunal

Par jugement du 21 juin 2010, le tribunal du travail constate que l’occupation de l’intéressé a été ininterrompue, depuis le début et qu’il y a eu continuité d’entreprise, les activités de la société, qui avait initialement engagé l’intéressé, ayant été transférées conventionnellement au dernier employeur. Celui-ci est dès lors lié par le non respect des engagements de cette dernière, et ce par application de la CCT 32bis.

Des enquêtes sont ordonnées, en ce qui concerne la réalité des prestations de travail, ainsi que les circonstances de la rupture.

La société interjette appel, après la tenue des enquêtes, le tribunal du travail n’ayant, de ce fait, pas l’occasion de statuer quant au fond.

Position des parties devant la cour

La société demande à la cour de dire pour droit que l’occupation n’a pas été ininterrompue pendant la période concernée et qu’il n’y a pas eu de transfert d’entreprise. En conséquence, elle demande à être déchargée des obligations contractuelles de la SPRL à l’égard de l’employé et à être libérée de toute condamnation.

Quant au travailleur, il demande confirmation du jugement en ce qu’il a condamné son employeur au paiement des primes de fin d’année pour la totalité de la période ainsi qu’aux pécules de vacances (en ce compris le pécule de sortie). Il demande également à la cour, statuant par évocation, de se prononcer sur son droit à une indemnité compensatoire de préavis.

Décision de la cour

La cour est dès lors saisie, en premier lieu de la question de savoir s’il y a eu entre la première société (SCRIS) et la deuxième (SPRL) une seule et même entreprise. Elle conclut à l’affirmative, eu égard aux éléments de fait produits, étant essentiellement qu’il y a eu changement de structure sociale et que, s’il y avait eu interruption de l’activité pendant une période déterminée, la société devrait l’établir à suffisance de droit, - ce qu’elle ne fait pas. L’absence de déclarations ONSS pendant une partie de la période ne suffit pas à établir ce fait, non plus que la production d’un document C4 que l’intéressé conteste au demeurant avoir reçu. La cour rappelle qu’il y aurait lieu, pour la société, de déposer la Dimona de sortie, le décompte de fin de contrat, la preuve de paiement du pécule de vacances de départ ainsi que les documents sociaux correspondant à une rupture, tous éléments non produits. Par contre l’intéressé établit par des procès-verbaux d’audition de la police (réalisés à l’occasion d’incidents survenus pendant l’ouverture du magasin la nuit) qu’il a presté pendant les périodes contestées. Il s’agit pour la cour de présomptions précises et concordantes d’une occupation ininterrompue.

Plus délicate est la question de savoir si entre la deuxième société (SPRL) et la troisième (étant une autre SPRL constituée en cours de route), il a pu y avoir transfert conventionnel d’entreprise. L’examen de l’existence de ce transfert doit intervenir, pour la cour, en fait.

Elle conclut à l’affirmative. Elle rejette d’abord l’ensemble des éléments de l’employeur, à savoir l’affirmation selon laquelle il n’aurait pas repris le commerce ainsi que la conclusion d’un nouveau contrat de bail commercial (contrat non enregistré et dont les mentions ont permis au tribunal de retenir que l’activité exercée était identique à l’activité précédente). Elle considère ensuite que les éléments pertinents pour conclure à l’existence du transfert sont (i) le même gérant, (ii) le même objet social à la même adresse, (iii) l’absence de preuve de l’exercice d’une autre activité, (iv) les mentions du contrat de bail quant à la nature du commerce envisagé et (v) les factures produites par la société quant aux achats de marchandises. A ces éléments, la cour ajoute l’absence de dépenses d’équipement liées à l’installation d’un nouveau commerce, impliquant la cession des actifs.

Il y a dès lors reprise de l’exploitation du commerce auquel le travailleur avait été affecté. De ce fait, eu égard au changement d’employeur, les règles de la CCT 32bis imposent que les droits et obligations qui résultent pour le cédant des contrats de travail existant à la date du transfert sont, du fait de celui-ci, transférés au cessionnaire.

La cour admet dès lors le droit de l’intéressé aux arriérés réclamés.

Elle déboute cependant celui-ci de sa demande relative à une indemnité compensatoire de préavis, dans la mesure où il n’établit pas avoir été licencié.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’il y a lieu, dans l’examen de l’existence d’un transfert d’entreprise, de rechercher dans les faits les éléments concrets permettant ou non de conclure à la cession d’une entité économique. En l’espèce, les éléments retenus sont liés à la nature même de l’activité (étant la nature du commerce) ainsi qu’à tous éléments liés au bail, aux factures d’achat de biens d’équipement et, de même, à toute indication pertinente permettant de déterminer s’il y a eu ou non cession d’actifs.

Un autre intérêt de la décision est d’aborder également une autre notion, étant celle de l’identité de l’employeur. Cette situation vise, comme en l’espèce, l’hypothèse de la transformation juridique de l’employeur et non la cession de l’entreprise (ou d’une partie de celle-ci) à une société tierce.


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