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Licenciement d’un travailleur à l’occasion d’un transfert conventionnel : sanction

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 juin 2014, R.G. 2011/AB/68

Mis en ligne le mercredi 12 novembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 19 juin 2014, R.G. n° 2011/AB/68

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’objectif de protection des travailleurs poursuivi par la doctrine européenne n° 77/187/C et la convention collective de travail n° 32bis : un licenciement intervenu peu avant le transfert est irrégulier et peut être sanctionné dans le cadre de l’abus de droit.

Les faits

Un grand hôtel de la capitale (A) confie à une société externe (B) le nettoyage du service « chambres » ainsi que la prise en charge des petits déjeuners. Un membre du personnel de l’hôtel est amené à signer une convention de rupture d’un commun accord mettant fin à son occupation au service de l’hôtel en vue de la reprise du contrat par une troisième société (C) pour laquelle l’intéressé preste pendant six semaines, période suite à laquelle les contrats de service conclus précédemment avec la société (B) sont repris par (C). Le membre du personnel (au service de (C) est licencié moyennant préavis de sept jours trois semaines avant la signature de cette convention. Le motif donné est une « réorganisation ».

Une procédure est introduite aux fins d’obtenir condamnation de la société (C) (qui a licencié) au paiement d’une indemnité complémentaire de préavis ainsi que de dommages et intérêts pour non respect de la CCT n° 32bis.

Par jugement du 18 juillet 2006, le tribunal du travail a fait droit aux deux chefs de demande. En ce qui concerne les dommages et intérêts, la condamnation porte sur un montant de l’ordre de 8.350€ (soit l’équivalent de six mois de rémunération).

Position des parties devant la cour

L’affaire oppose, ainsi, la société (A) et la société (C) ainsi que le membre du personnel.

En cours de procédure, il y a faillite de la société (C), faillite clôturée faute de tout actif. Le curateur fait défaut. La société (A), appelée en intervention forcée demande également confirmation du jugement, en ce qu’il l’a mise hors cause.

Décision de la cour du travail

Après avoir constaté que la société faillie était bien l’employeur du membre du personnel, ce qui ressort de nombreux éléments au dossier, la cour examine plus longuement les conditions d’application de la CCT n° 32bis au cas d’espèce.

La société faillie soutient en effet qu’il n’y a pas eu de transfert d’entreprise et qu’elle n’est dès lors pas tenue de payer l’indemnité complémentaire de préavis postulée. Elle conteste également avoir commis une faute en licenciant le membre du personnel.

Sur l’absence de transfert (la société ayant fait valoir qu’il s’agissait d’une simple cession de contrats de service et que les éléments caractéristiques du transfert d’entreprise tels que définis par la CJCE étaient inexistants - à savoir la reprise d’une partie essentielle en termes de nombre et de compétence des effectifs que le prédécesseur affectait spécialement à ces tâches), la cour rappelle qu’il faut respecter l’objectif tant de la directive européenne 77/187 que celui de la CCT n° 32bis, qui est notamment de maintenir les droits des travailleurs transférés dans tous les cas de changement d’employeur du fait du transfert conventionnel d’une entreprise ou d’une partie de celle-ci. Le transfert ne peut être en lui-même un motif de licenciement et le cessionnaire doit respecter les droits et obligations attachés aux contrats de travail existants.

Reprenant ensuite la jurisprudence et la doctrine qui ont confirmé que la notion de transfert conventionnel doit être interprétée largement et qu’il peut ainsi porter sur d’autres droits réels ou personnels que le transfert de propriété, la cour souligne que de manière générale sont considérés comme suspects les licenciements opérés alors que des pourparlers sont en cours avec un nouvel acquéreur, ceux-ci pouvant inférer une volonté de se soustraire aux obligations imposées par la directive et par la CCT.

Reprenant les circonstances intervenues, la cour confirme la conclusion du premier juge selon laquelle le membre du personnel qui avait vu son contrat de travail chez le cédant transféré devait voir son statut maintenu, de même que son ancienneté. En conséquence, il y a lieu d’accorder un complément d’indemnité compensatoire de préavis.

Sur les dommages et intérêts, la cour retient que dans la mesure où il y a transfert et que le caractère irrégulier de la rupture a été constaté, reste à examiner si l’employeur a commis une faute. Elle conclut par l’affirmative, relevant que le membre du personnel a été induit en erreur lors de la signature de la convention par laquelle a été actée une rupture d’un commun accord. Or, la CCT 32bis interdisait de licencier le membre du personnel, qui devait être transféré dans le cadre de la cession de l’activité du nettoyage à des sociétés extérieures. Dans la mesure où il y a violation de la CCT et vu les circonstances ayant entouré la rupture (rupture à bref délai avec préavis réduit, signature d’un nouveau contrat de travail réduisant les droits de l’intéressé), il y a un préjudice distinct de celui couvert par l’indemnité compensatoire de préavis. Ce préjudice est matériel (perte de revenus) et moral (tromperie). Pour la cour du travail le licenciement est abusif et il y a lieu de confirmer la condamnation à de dommages et intérêts de six mois.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, dans lequel la cour du travail est amenée à examiner les effets de deux cessions successives, est un rappel des règles de protection contenues dans la directive européenne et dans la CCT n° 32bis.

Il donne, par ailleurs, une effectivité à l’interdiction de licencier, qui – si elle ne fait pas l’objet d’une sanction dans les textes – peut se voir appliquer la théorie de l’abus de droit. Il s’agit d’une protection résiduaire, permettant l’indemnisation du travailleur en cas de faute de l’employeur. La référence à une indemnité de six mois ne fait pas l’objet de discussion, cette sanction semblant constituer une réparation forfaitaire adéquate.


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