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Allocations d’insertion : admissibilité en cas d’études secondaires au Lycée français dans un pays extra européen ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 15 octobre 2014, R.G. 13/9.989/A

Mis en ligne le lundi 22 décembre 2014


Tribunal du travail de Bruxelles, 15 octobre 2014, R.G. n° 13/9.989/A

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 octobre 2014, le Tribunal du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’admissibilité aux allocations d’insertion en cas d’études secondaires à l’étranger, et ce tenant compte d’un baccalauréat français obtenu dans un pays du Moyen-Orient.

Les faits

Madame M. sollicite, en janvier 2013, le bénéfice des allocations d’insertion. Elle a auparavant fait son stage d’insertion.

Sur le plan des études, elle a obtenu un baccalauréat français en Syrie, homologué par la Communauté française et a ensuite entrepris un mastère en sciences politiques à l’ULB.

Lors de sa demande d’allocations, elle produit une attestation de la Communauté française relative à l’équivalence de son baccalauréat français (équivalent au certificat homologué de l’enseignement secondaire supérieur). L’ONEm demande à la CAPAC suite à l’examen du dossier la preuve de six années d’études en Belgique, suite à quoi la CAPAC répond en invoquant le statut « d’enfant de migrants ».

L’ONEm prend alors une décision en date du 14 mai 2013 refusant les allocations d’insertion au motif de l’absence de six années d’études en Belgique. L’ONEm fait également valoir que le baccalauréat français a été obtenu dans un Etat qui n’est pas membre du l’E.E.E. (Syrie – Lycée français de Damas) et que les conditions réglementaires ne sont dès lors pas remplies.

Un recours est introduit par l’intéressée et le Tribunal du travail de Bruxelles rend le 15 octobre 2014 le jugement ci-annoté.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal rappelle la règle relative à l’octroi d’allocations d’insertion, étant l’article 36, §1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Celui-ci prévoit diverses conditions d’admissibilité, certaines d’entre elles étant relatives au type d’enseignement suivi.

S’il n’est pas contesté que le demandeur doit avoir terminé des études de plein exercice du cycle supérieur (ou la 3e année d’études de plein exercice de l’enseignement secondaire technique, artistique ou professionnel), le débat porte sur la question de savoir si celles-ci ont été suivies dans un établissement d’enseignement organisé, subventionné ou reconnu par une Communauté, la réglementation prévoyant que le diplôme ou le certificat d’études pour les études ci-dessus peuvent également avoir été obtenus devant le jury compétent d’une Communauté.

En ce qui concerne les études ou les formations suivies à l’étranger, sont prises en compte celles ayant été données dans un Etat de l’Espace Economique Européen, à la condition que le jeune établisse qu’il y a niveau équivalent aux études reprises ci-dessus et qu’il soit au moment de la demande à charge de travailleurs migrants résidant en Belgique. En plus de ces hypothèses, l’article 36, 2°, (j) admet comme condition d’admissibilité le fait d’avoir obtenu un titre délivré par une Communauté établissant l’équivalence (au certificat ci-dessus) ou un titre donnant accès à l’enseignement supérieur mais ce à la condition d’avoir suivi préalablement au moins six années d’études dans un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subventionné par une Communauté.

D’autres hypothèses sont encore prévues, mais n’intervenant pas dans la solution du litige.

C’est en réalité l’article 36, §1, 2°, (j) qui doit être examiné, étant de savoir si l’intéressée qui a effectué des études primaires et secondaires au Lycée français de Damas et qui a ainsi obtenu un diplôme d’études secondaires délivré par l’Académie de Lyon et homologué par la Communauté française peut bénéficier des allocations d’insertion.

Le tribunal renvoie ici à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui dans un arrêt du 8 avril 2013 (Cass., 8 avril 2013, R.G. n° .10.0057.F) s’est prononcée sur la légalité de cette disposition. Le tribunal rappelle que, pour la Cour suprême, dans cet arrêt, il convient de vérifier eu égard aux circonstances propres à l’affaire si une condition d‘octroi des allocations d’attente / d’insertion ne présente pas un caractère trop général et exclusif en privilégiant indument un élément qui n’est pas nécessairement représentatif de l’objectif poursuivi, à savoir s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur des allocations et le marché géographique du travail en cause.

Partant de ce principe, le tribunal constate que le diplôme a été délivré par une école française mais que l’intéressée n’a pas fait usage de son droit de se déplacer à l’intérieur de l’Union Européenne (ses études ayant été suivies en Syrie). L’article 39 du T.F.U.E. ne peut dès lors servir de fondement à l’examen juridique, puisqu’il n’y a pas eu exercice du droit de libre circulation des travailleurs au sein de l’Union Européenne.

Le tribunal se tourne dès lors vers les principes en matière de discrimination, renvoyant à l’avis écrit de l’auditeur du travail pour qui l’article 36, §1er, 2°, (j) est discriminatoire au regard des articles 10 et 11 de la Constitution. Il considère en effet que, au regard des éléments de la cause, la condition relative aux six années d’études effectuées en Belgique est disproportionnée par rapport au but poursuivi et que le stage d’insertion professionnelle de 310 jours qui a été imposé (permettant également des journées de travail) suffit à démontrer le lien réel entre le demandeur d’allocations d’insertion et le marché belge du travail. Il conclut au caractère discriminatoire de la disposition.

Le tribunal renvoie également à la doctrine de J.-C. PARIZEL (J.-C. PARIZEL, « Allocations d’attente et conditions d’admissibilité », J.T.T., 2011, pp. 465-468), qui retient également la contrariété de cette disposition aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Le tribunal souligne qu’il rejoint totalement cette double analyse et que, en l’espèce, le lien de l’intéressée avec le marché du travail belge est établi à suffisance de droit.

Enfin, reprenant l’article 159 de la Constitution, le tribunal conclut qu’il s’agira de ne pas appliquer la condition en cause, celle-ci étant contraire à la Constitution.

Il fait dès lors droit à la demande.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Bruxelles, rendu à propos des conditions d’octroi des allocations d’insertion est l’occasion de rappeler à la fois l’arrêt de la Cour de cassation y repris, qui a posé un principe important concernant cette (lourde) condition d’études en Belgique. Cet arrêt avait été rendu après un arrêt de la Cour de Justice du 25 octobre 2012 (Aff., C-307/2011) à propos de l’article 39 du T.F.U.E., s’agissant de libre circulation des travailleurs. La Cour de justice avait souligné qu’une condition afférente à la nécessité d’avoir étudié dans un établissement d’enseignement de l’Etat membre d’accueil est par sa nature même susceptible d’être plus facilement remplie par les ressortissants nationaux et qu’elle risque de défavoriser principalement les ressortissants d’autres Etats membres.

La Cour de Justice avait dès lors dit pour droit que l’article 39 s’oppose à une telle décision dans la mesure où elle fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments représentatifs propres permettant d’établir l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’allocations et le marché géographique du travail en cause et excède de ce fait ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi et de garantir l’existence d’un tel lien. En l’espèce, le tribunal du travail a relevé qu’il n’est pas question de porter atteinte aux droits de libre circulation mais il aboutit à la même conclusion, en ce qui concerne l’écartement de la disposition litigieuse, et ce eu égard au caractère disproportionné de la condition posée.


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