Terralaboris asbl

Octroi des indemnités de mutuelle : rappel de l’exigence d’une capacité de gain

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 juillet 2014, R.G. 2012/AB/1.208

Mis en ligne le lundi 5 janvier 2015


Cour du travail de Bruxelles, 9 juillet 2014, R.G. n° 2012/AB/1.208

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, en matière AMI, le législateur a voulu exclure de ce secteur les titulaires dont la capacité de gain était déjà diminuée d’une manière importante au début de leur mise au travail.

Les faits

Une ouvrière tombe en incapacité de travail en février 2008. Treize mois plus tard, le Conseil médical de l’invalidité de l’INAMI considère que son incapacité n’est plus la conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou troubles fonctionnels.

Par la suite, elle va bénéficier d’allocations de chômage jusqu’en juin 2012, moment où le médecin de l’ONEm conclut à une incapacité de plus de 66%. Elle bénéficie d’indemnités AMI depuis lors.

Une procédure est introduite.

Le Tribunal du travail de Bruxelles considère, par jugement du 15 novembre 2012, que l’intéressée doit être déboutée de sa demande, l’incapacité trouvant son origine dans un accident du travail non reconnu, accident survenu le jour du début de l’incapacité.

Appel est interjeté par la travailleuse.

Décision de la cour du travail

La cour examine plusieurs questions, liées, eu égard à la situation qui est présentée.

Il s’agit d’abord d’apprécier les critères habituels de réduction de la capacité de gain. La cour rappelle à cet égard la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 1er octobre 1990, Pas., 1991, I, p. 101), selon laquelle il faut, pour l’évaluation de l’incapacité de travail, tenir compte de l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels et non uniquement des nouvelles lésions ou des troubles fonctionnels ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels ayant entraîné l’interruption. Il ne faut dès lors pas à ce stade distinguer ce qui serait imputable à un accident (risque professionnel ou accident privé) et ce qui ne le serait pas. C’est l’examen intervenant dans le cadre de l’article 100 de la loi coordonnée.

Par contre, au stade de l’indemnisation, ce sont les conditions de l’article 136, § 2, alinéa 1er, qui interviennent, celui-ci prévoyant notamment qu’il faut déduire la rente accident du travail (en cas d’accident du travail) si une partie de l’incapacité lui est imputable (la cour renvoyant à diverses décisions en ce sens, dont C. trav. Bruxelles, 19 avril 2012, R.G. n° 2008/AB/51.311).

En sus, se pose en l’espèce un autre problème, étant la vérification du lien de causalité entre l’aggravation des lésions et la cessation de l’activité. C’est le problème de la capacité de gain, la cour rappelant que le législateur a voulu exclure de ce secteur les titulaires dont cette capacité était déjà diminuée d’une manière importante au début de leur mise au travail : pour ceux-ci, l’interruption n’est dès lors pas la conséquence de l’aggravation de l’état de santé. La cour constate dès lors qu’il faut rechercher s’il y a une capacité initiale, ceci signifiant, selon la jurisprudence, que n’est cependant pas exigée la capacité sur le marché normal de l’emploi qu’aurait une personne apte à 100% (la cour renvoyant à C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2006, R.G. n° 43.978).

Pour la cour du travail, il faut que cette capacité initiale ne soit pas inexistante et qu’elle puisse être affectée par une éventuelle aggravation, rappelant qu’il s’agit en l’espèce d’une assurance de solidarité qui exclut que soit pratiquée une sélection des risques et des bénéficiaires (comme c’est le cas dans le secteur des assurances privées).

La cour considère dès lors qu’il faut vérifier si l’intéressée a travaillé et, si tel est le cas, examiner la durée et les conditions de l’occupation. Elle reprend plusieurs décisions de jurisprudence, ayant relevé que cet examen se fait selon une méthode « empirique ». Ainsi, une occupation en tant qu’étudiant pendant quinze jours pendant trois années consécutives ne permet pas de conclure à l’existence d’une capacité de travail initiale, non plus que la conclusion d’un contrat d’apprentissage, la reprise d’une activité occasionnelle d’environ huit heures par semaine ou encore de très courtes périodes comme travailleur intérimaire.

Cependant, cette question devant faire l’objet d’un examen au cas par cas, la cour rappelle également qu’il a pu être jugé qu’un travailleur occupé pendant dix-huit mois justifie d’une capacité initiale suffisante, et ce même s’il s’agit – comme en l’espèce – d’un contrat conclu dans le cadre de l’article 60, § 7, de la loi du 8 juillet 1976 sur les CPAS.

En l’espèce, pour la cour, cette question doit être examinée dans le cadre d’une expertise judiciaire. Les conditions d’occupation de l’intéressée restent en effet floues, puisque s’il est admis qu’elle a travaillé en 2005 pendant une période de sept mois à des travaux de cuisine et de nettoyage, la période d’occupation pour le CPAS dans le cadre de l’article 60, § 7 n’est pas établie.

La cour renvoie également aux conclusions prises par la Commission supérieure du C.M.I., dont elle relève le caractère sommaire (deux membres de la commission ayant exprimé un avis et ces avis portant sur des points différents, suite auxquels il est conclu à un retour à l’état antérieur).

L’arrêt relève également une erreur juridique dans la décision de la Commission étant que l’occupation dans le cadre de l’article 60 y est considérée comme une aide sociale alors qu’il s’agit d’un contrat de travail soumis à la loi du 3 juillet 1978.

Il faut encore retenir, avec la cour, que l’intéressée a été réadmise ultérieurement, et ce suite d’ailleurs à l’intervention du médecin-conseil de l’ONEm.

Un expert est dès lors désigné, avec une mission plus complète que d’habitude, eu égard à l’ensemble des éléments sur lesquels la cour considère devoir être éclairée : origine et évolution de la pathologie (dépression), existence de celle-ci et caractère invalidant éventuel lorsque l’intéressée a accédé au marché du travail, en 2005, circonstances de la fin du travail, soit le jour où l’intéressée a été admise en incapacité, etc.

Sur l’incidence de la non reconnaissance d’un accident du travail, elle relève en effet qu’il y malgré tout une chute violente de l’intéressée à son domicile et que l’ensemble de ces éléments doit être pris en compte par l’expert, celui-ci devant en priorité examiner s’il y a eu retour à un état antérieur, c’est-à-dire vérifier l’existence de la capacité de gain initiale.

Intérêt de la décision

Cet arrêt réunit plusieurs problématiques récurrentes, étant non seulement celles de l’appréciation de l’existence d’une capacité de gain initiale (question complexe et dont la cour relève qu’il appartient au juge de décider au cas par cas à partir des éléments qui lui sont soumis) mais également les conditions distinctes de l’article 100 et de l’article 136 de la loi coordonnée dans la détermination de l’incapacité de travail : si, pour être retenue, l’incapacité de travail doit faire l’objet d’une appréciation dans son ensemble de la capacité de travail restante, c’est sur le plan de l’indemnisation que sera éventuellement défalquée une indemnité perçue dans le cadre d’un accident du travail, dans la mesure où l’incapacité considérée a pour origine partielle ledit accident.


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