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La qualification de la relation de travail peut-elle se modifier en cours d’exécution ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 juin 2014, R.G. 2012/AB/553

Mis en ligne le mercredi 14 janvier 2015


Cour du travail de Bruxelles, 19 juin 2014, R.G. n° 2012/AB/553

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la nature juridique de la relation de travail entre deux parties peut évoluer. Ainsi, de collaboration indépendante au départ, elle peut devenir une relation de travail subordonnée.

Les faits

Une styliste d’ongles travaille dans un institut de beauté, où, pour ses prestations, elle loue une table appartenant à la gérante de l’institut. Cette dernière reprend un deuxième établissement en 2008 et constitue alors une société.

Un an plus tard, la styliste fait intervenir son conseil, dénonçant le fait que toute collaboration professionnelle a soudainement été arrêtée. Elle demande le paiement de diverses sommes et fait toutes réserves sur la nature de la collaboration intervenue.

Un litige surgit, qui ne peut être réglé à l’amiable.

L’intéressée introduit dès lors une procédure devant le Tribunal du travail de Nivelles en paiement d’arriérés de rémunération, d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que d’une indemnité pour licenciement abusif (article 63 de la loi du 3 juillet 1978).

Par jugement du 19 avril 2012, le tribunal du travail fait droit à sa demande.

La société interjette appel, demandant, à l’appui du maintien de sa thèse, essentiellement l’audition de témoins en vue d’établir les conditions de prestation de l’intéressée.

La décision de la cour

La cour reprend, en premier lieu, les éléments de départ de la collaboration professionnelle, dont elle relève qu’ils ne sont pas contestés. Il s’agissait au départ d’une collaboration de nature indépendante, étant notamment relevé que l’intéressée apportait son propre matériel professionnel et qu’elle louait une table (pour 250 € par mois).

La cour note cependant une évolution dans les prestations de l’intéressée (ajout de prestations d’esthétique) et est posée la question de savoir si, à partir de ce moment, du fait de la modification concomitante des arrangements financiers entre parties, la relation de travail ne se serait pas transformée en relation salariée.

La cour procède dès lors à un rappel important des principes relatifs au lien de subordination, renvoyant, outre à la jurisprudence bien connue de la Cour de cassation, aux critères généraux de la loi du 27 décembre 2006, avant sa modification par celle du 25 août 2012 (eu égard à l’époque des faits), étant la volonté des parties exprimée dans leur convention, la liberté d’organisation du temps de travail, la liberté d’organisation du travail lui-même, ainsi que la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique.

La volonté des parties est indifférente, en l’espèce, dans la mesure où la cour relève que, d’une part, ce n’est pas le début de la collaboration qu’il y a lieu d’examiner, mais la période à partir de laquelle les conditions de travail et financières ont été modifiées et, d’autre part, qu’il n’y a pas de convention établie par les parties.

Pour la cour du travail, il faut, selon l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 9 juin 2008, n° S.07.0051.F), apprécier le litige en fonction d’un ensemble d’éléments de fait. Est particulièrement retenu le fait que, pour les prestations nouvelles (esthéticienne), l’intéressée était sous le contrôle et devait suivre les instructions de la gérante, n’ayant aucune formation en ce domaine. Elle a également dû respecter les horaires fixés et n’a plus eu de liberté dans l’organisation de son temps de travail.

Sont également pointés des éléments retenus au titre de présomptions, étant la circonstance que la gérante tenait l’agenda de la travailleuse, que, lors de ses départs en vacances, la gérante lui dressait une liste de tâches à exécuter en son absence, qu’elle ne pouvait se faire remplacer par un tiers, qu’elle ne pouvait fixer librement les prix des soins et était tenue de pratiquer ceux fixés par l’établissement.

La cour attache également une importance aux déclarations de témoins, ayant relevé que la relation entre les deux personnes était une relation de patronne à subordonnée.

Enfin, sur le mode de rémunération, elle rappelle qu’il n’est pas un critère déterminant, mais que l’on peut y voir un indice de la relation de travail salariée. En l’espèce, en effet, des factures mensuelles étaient adressées pour les prestations effectuées et le montant était en général le même, la société étant d’ailleurs la seule « cliente » de l’intéressée, ce qui ressort de la numérotation des factures.

Enfin, la cour retient également l’absence de risque économique et financier assumé par l’intéressée dans l’exploitation de l’établissement.

Il en découle que la relation de travail a effectivement évolué vers une relation salariée.

Pour la cour, il y a dès lors lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a conclu à l’exigence d’une régularisation salariale pour le dernier mois de prestations. Quant à l’indemnité compensatoire de préavis, elle est également due, la cour constatant des éléments de l’espèce que la société est l’auteur de la rupture.

Par contre, la demande d’indemnité pour licenciement abusif est rejetée, la cour considérant que le travail effectué était d’ordre principalement intellectuel. Elle renvoie, pour ce, à la classification professionnelle de la commission paritaire 314, dans laquelle les esthéticiens sont considérés comme employés.

Intérêt de la décision

Dans la problématique récurrente de la qualification de la relation de travail, l’espèce tranchée par la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt présente un intérêt particulier, eu égard à la constatation de l’évolution de la relation de travail.

L’appréciation du juge intervient essentiellement à partir d’un ensemble de faits. Dans l’arrêt ayant donné lieu à la décision de la Cour de cassation du 9 juin 2008, avaient particulièrement été relevés (i) l’exercice par la société du pouvoir de donner des ordres en ce qui concerne le lieu de travail, les permanences (samedi), la rédaction d’un rapport détaillé (les tâches quotidiennes imparties à leur réalisation), l’assistance obligatoire à des formations et l’obtention de l’accord du responsable en cas d’impossibilité d’y aller, (ii) l’exercice par la société de son pouvoir de surveillance par le biais de l’obligation pour le travailleur de compléter un registre de présences et de pointer, ainsi que (iii) l’octroi d’une rétribution mensuelle fixe.


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