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Un membre du personnel de direction peut-il être désigné comme conseiller en prévention ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 juillet 2014, R.G. 2013/AB/495

Mis en ligne le lundi 16 février 2015


Cour du travail de Bruxelles, 9 juillet 2014, R.G. n° 2013/AB/495

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour du travail de Bruxelles, confirmant le jugement dont appel, admet qu’un membre du personnel de direction peut être désigné comme conseiller en prévention, les fonctions ainsi exercées ne constituant pas un obstacle à son indépendance.

Les faits

Une employée, exerçant les fonctions de Directrice des ressources humaines, est désignée en tant que conseiller en prévention, le rapport annuel sur le fonctionnement du service interne pour la prévention et la protection au travail adressé au SPF Emploi faisant état d’une durée minimale de prestations de 10%. Un autre employé occupe, pour sa part, les mêmes fonctions dans l’unité technique d’exploitation pour une durée de prestations de 100%.

En août 2010, l’employée est licenciée moyennant indemnité compensatoire de préavis de 6 mois, au motif de divergences de vue en ce qui concerne l’exécution de la stratégie des ressources humaines. Suite à la rupture du contrat de travail, l’intéressée demande une indemnité de protection (2 ans) au motif du non-respect des procédures préalables au licenciement. Elle formule également d’autres chefs de demande plus accessoires.

Sa demande est rejetée, au motif de l’irrégularité de sa désignation, vu qu’elle a la qualité de membre de la direction et, également, eu égard au fait qu’elle n’aurait jamais exercé la fonction en cause.

Suite à un échange de correspondance infructueux, elle introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui, par jugement du 31 janvier 2013, fait droit à sa demande d’indemnité de protection. Il condamne également la société aux intérêts légaux et judiciaires, après déduction des retenues sociales et fiscales.

Appel est interjeté par la société, l’intéressée, déboutée des chefs de demande annexes, introduisant un appel incident sur ceux-ci.

La décision de la cour

La cour tranche uniquement la question de la désignation en tant que conseiller en prévention, les parties s’étant finalement accordées sur les autres chefs de demande.

Après avoir rappelé le statut du conseiller en prévention, tel que régi par l’arrêté royal du 27 mars 1998, relatif au service interne pour la prévention et la protection au travail, en ses articles 19 et 20, la cour constate que l’intéressée a été désignée, en accord avec le C.P.P.T., chose confirmée dans le rapport annuel pour l’année 2009. Les conditions légales de la désignation sont donc réunies.

Quant à la nullité de la désignation au motif que le conseiller ne serait pas indépendant de l’employeur, la cour rappelle les articles 43 et 57 de la loi sur le bien-être. En vertu de ceux-ci, les conseillers en prévention remplissent leur mission en toute indépendance vis-à-vis de l’employeur et des travailleurs (article 43, alinéa 1) et ils ne peuvent être ni délégués de l’employeur ni délégués du personnel (article 57).

Après avoir rappelé la doctrine (notamment L. ELIAERTS, « De bescherming van de preventieadviseur », Chron. Dr. Soc., 2004, p. 183), la cour constate que le fait d’exercer une fonction dirigeante n’implique pas l’absence d’indépendance. Une telle fonction ne signifie en effet pas nécessairement que la personne concernée est un délégué de l’employeur. La cour renvoie encore à la matière des élections sociales en ce qui concerne le personnel de direction, ainsi qu’à la doctrine de W. VAN EECKHOUTTE, Compendium social 10-11, Kluwer, 2010, n° 3033, qui renvoie à C. trav. Mons, 25 janvier 1995, J.T.T., 1996, p. 485), celui-ci admettant que le conseiller en prévention peut toujours être choisi sur la liste des personnes qui exercent une fonction de direction.

La cour relève encore que l’intéressée n’exerçait ses fonctions qu’à raison de 10%, en sus de sa fonction de responsable RH. La cour en conclut que la désignation était valable.

Enfin, quant à l’effectivité de l’exercice de la fonction, l’intéressée produit des éléments confirmant une formation en ergonomie, dans laquelle le conseiller en prévention à temps plein avait mis en route des procédures relatives à l’équipement de bureaux, ainsi qu’à l’utilisation d’écrans, etc., en coordination avec l’intéressée. La cour relève que de telles tâches ne relèvent pas de la fonction d’un directeur de ressources humaines, mais qu’il s’agit de travail de prévention.

Enfin, son absence aux réunions du C.P.P.T. n’est pas considérée comme déterminante, vu le peu de temps consacré à la fonction et la présence à celles-ci du conseiller en prévention en chef. Enfin, la cour se fonde également sur le rapport annuel à destination du SPF Emploi, rapport signé par un représentant autorisé de la société. Pour la cour du travail, il s’agit d’un aveu extra-judiciaire. L’exercice de la fonction était dès lors bien réel.

Sur la protection, la cour rappelle que celle-ci est organisée par l’article 2, 2e alinéa, 2°, A de la loi du 20 décembre 2002, selon lequel, pour être protégé, le travailleur doit remplir quatre conditions, étant que (i) il doit être lié par un contrat de travail, (ii) il doit effectivement être occupé au travail par l’employeur, (iii) il doit être membre d’un service interne et (iv) remplir les missions fixées à l’article 33 (§ 1er, alinéa 4 et § 3) de la loi sur le bien-être.

La cour procède ici à un nouvel examen des éléments de fait qui lui sont soumis et conclut que l’intéressée répond aux quatre conditions exigées.

Elle peut dès lors bénéficier de l’indemnité de protection, pour laquelle, conformément à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 avril 1987, la cour considère qu’elle doit être calculée sur la même rémunération que celle servant à déterminer l’indemnité compensatoire de préavis.

L’appel est dès lors non fondé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les principes régissant la protection du conseiller en prévention, ainsi que ceux relatifs à la validité de sa désignation.

La spécificité de l’espèce commentée est bien sûr qu’il vise un membre du personnel de direction. La cour rappelle, conformément à la jurisprudence, que cette qualité ne peut porter grief à la désignation en cause.

Il peut être également rappelé que le jugement dont appel (Trib. trav. Brux., 31 janvier 2013, R.G. 11/10.297/A – disponible sur www.terralaboris.be) avait précisé en ce qui concerne le rapport annuel du service interne que, s’agissant d’un document officiel, signé par la direction de la société, celui-ci avait une force probante particulière et que toute information erronée qui y figurerait serait d’ailleurs pénalement punissable.


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