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Licenciement : preuve des raisons économiques justifiant la rupture du contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 novembre 2014, R.G. 2012/AB/1.113

Mis en ligne le mercredi 25 février 2015


Cour du travail de Bruxelles, 24 novembre 2014, R.G. 2012/AB/1.113

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 24 novembre 2014, statuant dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la preuve de l’existence du motif économique implique d’établir la réalité de celui-ci, et ce sur la base d’éléments concrets.

Les faits

Un travailleur de l’HORECA (restaurant) est licencié moyennant préavis à prester, en décembre 2006. Il travaille ainsi jusqu’à la mi-mars 2007 et reçoit à ce moment un C4 mentionnant comme motif précis du chômage : « Raison économique ».

Il introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles, dans laquelle il demande plusieurs types de sommes, dont l’indemnité pour licenciement abusif. Les autres chefs de demande concernent des frais de transport, ainsi qu’une réclamation salariale, au motif de la non-reconnaissance de la classification effective sur la base des fonctions réellement exercées (sous-chef de cuisine/cuisinier). Il est débouté de sa demande.

La décision de la cour

Après avoir constaté que le demandeur n’a pas apporté les éléments susceptibles d’établir le bien-fondé des chefs de demande relatifs aux arriérés de rémunération et frais, la cour confirme à cet égard la position du premier juge.

En ce qui concerne le licenciement abusif, l’arrêt rappelle le mécanisme de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, s’attachant au motif unique donné par la société, qui est l’existence de difficultés économiques.

La société expose ne pas avoir engagé un remplaçant. Elle se fonde par ailleurs essentiellement sur des courriers et déclarations de son propre comptable, courriers relativement brefs, dont il ressort que le gérant a été contraint de prendre des décisions budgétaires et structurelles aux fins d’assurer la pérennité de l’entreprise.

La cour rappelle que le législateur a voulu que, dans ce type de licenciement, la rupture soit fondée (et la cour souligne le terme « fondée ») sur les nécessités de fonctionnement. Elle rappelle la doctrine (B.-H. VINCENT, « Et l’indemnité de licenciement abusif de l’ouvrier ? », Ors., 2002, p. 119), selon laquelle il faut un lien de causalité nécessaire. L’auteur cité précise encore que la mesure que prend l’employeur, dans ce cas de figure, doit être rationnelle et qu’elle se prête à un contrôle de matérialité plus objectif.

N’ayant cependant pas à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, le juge se limite au contrôle de la relation causale entre l’élément économique invoqué comme motif et la décision de rompre. Il y a également lieu de vérifier si le motif déclaré n’en cache pas un autre, l’intérêt économique de l‘entreprise tel que vanté étant souvent un prétexte. En conséquence, les composantes des raisons économiques doivent apparaître.

Pour la cour, à cet égard, le remplacement n’est pas déterminant, il peut cependant être un indice, mais son absence n’implique pas nécessairement l’existence de raisons économiques. L’employeur doit établir celles-ci autrement.

En l’occurrence, la cour constate que la société se fonde sur des éléments non objectifs, étant l’attestation du comptable, alors que d’autres documents neutres pourraient être déposés et qu’ils ne le sont pas. Ainsi, le tableau d’exploitation (dont question précisément dans l’attestation du comptable rédigée à l’attention de l’employeur) devrait contenir des explications utiles. De même, aucun élément d’ordre fiscal n’est déposé, ainsi les bilans, les déclarations de revenus et les avertissements-extrait de rôle. La cour renvoie ici non seulement à ceux afférents à l’année du licenciement, mais aussi aux années précédant et suivant celui-ci.

Vu l’absence de ces éléments, elle conclut au caractère abusif du licenciement, considérant par ailleurs ne pas devoir faire droit à une demande d’enquête ou à quelqu’autre mesure d’instruction. Elle rappelle en effet que la charge de la preuve incombe à l’employeur et qu’il disposait de la possibilité de déposer tous éléments utiles, ce qu’il s’est bien gardé de faire, alors qu’il y avait été invité par la partie adverse.

La cour condamne, en conséquence, à l’indemnité dans son principe, mais ordonne la réouverture des débats pour ce qui est des montants.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est certes classique, dans le raisonnement adopté par la cour du travail dans une hypothèse où sont annoncées comme motif de licenciement des raisons économiques. La mention de l’arrêt selon laquelle le juge ne va pas s’immiscer dans la gestion de l’entreprise pour vérifier si la mesure prise par l’employeur est adéquate et certes évidente, mais l’on constatera que la cour exige d’être documentée quant à l’existence du motif invoqué et à sa matérialité, ainsi qu’à son ampleur.

Il est donc de peu d’utilité, dans le contexte de la présomption légale contenue à l’article 63, de se limiter à produire une attestation du comptable (mandaté par l’employeur pour ce faire), document qui ne peut être retenu comme objectif et complet. L’examen de l’existence du motif se fait, comme exigé par la cour dans l’arrêt, par le biais des éléments comptables et fiscaux habituels, non préparés pour les besoins de la cause et reflétant, de la manière la plus objective possible, la situation financière de la société.

Le constat fait par la cour de l’absence de preuve apportée permettant de renverser la présomption légale peut encore être fait, dans le cadre de la C.C.T. n° 109 du 12 février 2014 concernant la motivation du licenciement, avec quelques nuances cependant. La présomption n’existe plus, mais la convention règle la charge de la preuve en son article 10 différemment selon que l’employeur a ou non communiqué les motifs du licenciement régulièrement. Dès lors que le motif invoqué est d’ordre économique, les mêmes éléments sont susceptibles d’être exigés.


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