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Une réglementation nationale en matière de pension peut-elle exclure une période de formation accomplie avant l’âge de 18 ans, eu égard au principe général d’interdiction de discrimination sur la base de l’âge ?

Commentaire de C.J.U.E., 21 janvier 2015, Aff. n° C-529/13

Mis en ligne le jeudi 26 mars 2015


Cour de Justice de l’Union Européenne, 21 janvier 2015, Affaire n° C-529/13

Dans un arrêt du 21 janvier 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne conclut qu’une telle réglementation nationale, qui exclut la prise en compte de périodes de formation accomplies avant l’âge de 18 ans, n’est pas en contradiction avec les articles 2, §§ 1er et 2, sous a) et 6, § 1er de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2008, mais ce dans la mesure où elle respecte certaines conditions.

Les faits

Un fonctionnaire public autrichien voit, pour le calcul de ses droits à la pension, prendre en compte des périodes assimilables antérieures à son entrée en service, étant essentiellement des périodes de formation et d’activité professionnelle accomplies après l’âge de 18 ans. Est cependant exclue une période de formation de 3 ans d’études suivies avant l’âge de 18 ans. Cette période n’est pas comptabilisée. L’intéressé demande qu’elle le soit ou qu’elle puisse être rachetée moyennant le versement d’une cotisation extraordinaire. Il se fonde sur l’arrêt HÜTTER (C.J.U.E., 18 juin 2009, Aff. n° C-88/08).

La juridiction de renvoi ayant jugé que, sur la base de celui-ci, il faut procéder à un nouveau calcul non-discriminatoire des périodes d’activité professionnelle et des périodes de formation accomplies par l’agent concerné avant l’âge de 18 ans, il demande s’il y a lieu de procéder à ce nouveau calcul non-discriminatoire non seulement pour le droit à la rémunération, mais également pour la pension. Est ainsi posée la question d’une inégalité de traitement (directe) fondée sur l’âge au sens de l’article 21, § 1er de la Charte et de l’article 2, §§ 1er et 2, sous a) de la Directive 2000/78/CE. La question précise en effet qu’en droit autrichien, le nombre de périodes accomplies est déterminant non seulement pour le droit à une pension, mais également pour le montant de celle-ci, la pension étant considérée comme une rémunération, qui continue à être versée dans le cadre d’une relation de service de droit public qui se poursuit même après la départ du fonctionnaire.

La décision de la Cour

La Cour constate que le débat relatif à la prise en compte des périodes de scolarité est focalisé autour de l’âge de 18 ans, lesdites périodes n’étant pas retenues lorsqu’elles sont accomplies avant cet âge mais l’étant après celui-ci. Elle rappelle en premier lieu le champ d’application de la Directive, étant qu’elle ne couvre pas les régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération. Cette notion doit s’entendre au sens de l’article 157, § 2 TFUE comme comprenant tous les avantages en nature actuels ou futurs, pourvu qu’ils soient payés, même indirectement, par l’employeur en raison de l’emploi du travailleur.

En l’espèce, la pension de retraite constituant un futur paiement en espèces, elle est une conséquence directe de la relation d’emploi. Elle est d’ailleurs considérée en droit national comme une rémunération qui continue à être versée après la pension, la relation de service se poursuivant après l’admission au bénéfice de celle-ci. Cette pension constitue dès lors, pour la Cour de Justice, une rémunération au sens de l’article 157, § 2 TFUE.

Par ailleurs, la différence de traitement constatée (différence de traitement entre les personnes en fonction de l’âge auquel elles ont accompli leur formation scolaire) touche ainsi des personnes qui ont suivi le même type de formation, et ce exclusivement en fonction de l’âge respectif de celles-ci. Il y a dès lors une différence de traitement directement fondée sur le critère de l’âge au sens de l’article 2, §§ 1er et 2, sous a) de la Directive (la Cour renvoyant ici par analogie à l’arrêt HÜTTER).

La question se pose dès lors d’examiner si la différence de traitement est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 6, § 1er de la même Directive. Elle ne constituerait pas une discrimination si elle est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime (notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle) et que les moyens destinés à atteindre cet objectif sont appropriés et nécessaires.

En ce qui concerne le but poursuivi, la Cour rappelle la large marge d’appréciation dont bénéficient les Etats membres. Elle constate que, dans le contexte de l’espèce, la non-prise en compte des périodes de formation scolaire avant 18 ans serait justifiée par le fait que l’intéressé n’exerce en principe pas à ce moment une activité rémunérée donnant lieu au versement de cotisations au régime de pension. Si la poursuite d’un tel objectif permet de respecter le principe de l’égalité de traitement pour tous les travailleurs d’un secteur donné et en rapport avec un élément essentiel de la relation de travail (ainsi le moment de départ à la retraite), cet objectif est légitime dans le cadre de la politique de l’emploi.

Par ailleurs, la même marge d’appréciation est reconnue aux Etats membres en ce qui concerne les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif, à savoir s’ils sont appropriés et nécessaires, et la Cour conclut que tel est le cas en l’espèce, la non-prise en compte des périodes de formation scolaire avant l’âge de 18 ans étant apte à atteindre l’objectif légitime qui consiste à permettre à tous les fonctionnaires de commencer à cotiser au même âge et, ainsi, à garantir une égalité de traitement entre les fonctionnaires.

La Cour conclut dès lors que les dispositions visées de la Directive 2000/78/CE doivent être interprétées en ce qu’elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui exclut la prise en compte des périodes de scolarité avant 18 ans aux fins de l’octroi d’un droit à la pension et du calcul du montant de celle-ci, dans la mesure où, d’une part, elle est objectivement et raisonnablement justifiée, conformément aux critères ci-dessus, et, d’autre part, elle constitue un moyen approprié et nécessaire pour sa réalisation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt renvoie à diverses reprises à l’arrêt HÜTTER (C.J.U.E., 18 juin 2009, Aff. n° C-88/08). Dans cette affaire danoise, se posait également la question de l’exclusion d’une expérience acquise avant l’âge de 18 ans, expérience concernant une personne ayant suivi un enseignement général ou un enseignement professionnel. La réglementation danoise prévoyait, aux fins de ne pas défavoriser l’enseignement général par rapport à l’enseignement professionnel et de promouvoir l’insertion des jeunes apprentis sur le marché de l’emploi, d’exclure la prise en compte des périodes d’emploi accomplies avant l’âge de 18 ans, exclusion intervenant aux fins de fixer l’échelon auquel devaient être placés les agents contractuels de la fonction publique. La Cour de Justice y a considéré que, dans ce cadre, le critère de l’âge auquel l’expérience professionnelle a été acquise n’apparaissait pas approprié à la réalisation de l’objectif visant à ne pas défavoriser l’enseignement général par rapport à l’enseignement professionnel. Un critère reposant directement sur le type d’études suivies sans faire appel à l’âge des personnes apparaîtrait, pour la Cour, mieux adapté au regard de la Directive 2000/78/CE à la réalisation de l’objectif visant à ne pas défavoriser l’enseignement général.

Elle avait encore relevé que, pour ce qui est de l’objectif tendant à favoriser l’insertion sur le marché de l’emploi des jeunes qui avaient suivi un enseignement professionnel, l’exclusion de la prise en compte de l’expérience acquise avant l’âge de 18 ans s’appliquait en l’espèce indistinctement à tous les agents contractuels de la fonction publique, quel que soit l’âge auquel ils étaient recrutés. Ce critère de l’âge auquel l’expérience professionnelle avait été acquise ne permettait pas de distinguer un groupe de personnes définies par leur jeune âge afin de leur réserver des conditions de recrutement particulières destinées à favoriser leur insertion sur le marché de l’emploi. Elle avait dès lors jugé que, dans la mesure où elle ne prend pas en considération l’âge des personnes au moment de leur recrutement, la règle dont la conformité lui était soumise n’était pas appropriée aux fins de favoriser l’entrée sur le marché de l’emploi d’une catégorie de travailleurs définie par leur jeune âge.


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