Terralaboris asbl

Le C.P.A.S. compétent pour secourir l’étudiant et la notion d’études de plein exercice

Commentaire de Cass., 1er décembre 2014, n° S.12.0087.F

Mis en ligne le jeudi 2 avril 2015


Cour de Cassation, 3e chambre, 1er décembre 2014, n° S.12.0087.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 1er décembre 2014, la Cour de cassation apporte une définition attendue en la matière : sont de plein exercice les études considérées comme telles en vertu de la législation qui les organise.

Les faits de la cause

M.F. est titulaire d’un mastère en droit, à finalité Droit public. Il a été aidé par le C.P.A.S. de Bruxelles pour terminer ce mastère dans le cadre d’un projet individuel d’intégration sociale.

Il s’est ensuite installé à Liège. Ses recherches d’emploi l’ont amené à la conclusion qu’une spécialisation serait nécessaire pour la réalisation de son projet de carrière. Il a demandé le revenu d’intégration au C.P.A.S. de Liège, qui dans un premier temps lui a accordé le R.I.S.au taux cohabitant, qui n’aurait néanmoins pas été payé.

Par une décision du 30 septembre 2010, le C.P.A.S. de Liège décide que c’est le C.P.A.S. de Bruxelles qui est compétent, dès lors que M.F. poursuit des études de plein exercice. Quant au C.P.A.S. de Bruxelles il a refusé la prise en charge aux frais de la collectivité de cette année supérieure d’études dans une décision qui n’aurait pas été notifié à M. F.

Celui-ci a introduit un recours devant le tribunal du travail de Liège contre la 1re décision du C.P.A.S. de Liège en ce qu’elle a accordé le taux cohabitant et non le taux isolé, contre la décision lui retirant le R.I.S. au motif de la compétence du C.P.A.S. de Bruxelles et contre la décision de ce dernier.

M.F. avait également introduit auprès de l’ONEm une demande d’assimilation de l’année d’étude au stage d’attente que cet organisme a refusé en considérant qu’il était étudiant à temps plein. Par contre, selon le Forem, la circonstance qu’il ne suive qu’un enseignement de 30 crédits d’études ne permettait pas de le considérer comme étudiant à temps plein.

M. F. se retrouve donc victime d’un jeu de ping-pong institutionnel et, privé de ressources, voit sa situation de santé se dégrader au point qu’il doit être hospitalisé. Les deux C.P.A.S. refusent leur intervention dans la prise en charge des frais d’hospitalisation. Le service des conflits de compétence du SPF Intégration sociale retient la compétence du C.P.A.S. de Bruxelles en considérant que les études de plein exercice n’ont pas été interrompues.

Nonobstant la dégradation de sa santé, M. F. réussit avec distinction son mastère en droit à finalité spécialisée en droit des affaires.

Par un jugement du 4 mai 2011, le tribunal du travail de Liège met hors cause le C.P.A.S. de Liège et déclare que le C.P.A.S. de Bruxelles est seul compétent pour payer le RIS à M. F.

Le C.P.A.S. de Bruxelles interjette appel de ce jugement, à titre principal sur la compétence et à titre subsidiaire quant à la disposition au travail de M. F.

M. F. interjette appel incident en vue de voir condamner les deux C.P.A.S. in solidum, solidairement ou à défaut l’un de l’autre, au RIS au taux isolé à dater du 1er août 2010.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 30 mars 2012 (6e chambre, RG 2011/AL/317)

Statuant sur la disposition au travail de M. F., la cour du travail décide que les rapports médicaux établissent l’existence de motifs de santé le dispensant d’établir sa disposition au travail pour toute l’année 2011 en sorte qu’il peut prétendre au revenu d’intégration pour cette période.

Il vérifie alors quel est le centre public d’action sociale compétent.

Pour la période allant du 1er août au 18 octobre 2010, la cour du travail décide qu’il s’agit du C.P.A.S. de Liège dès lors que ce n’est que le 19 octobre que ce C.P.A.S. a notifié au C.P.A.S. de Bruxelles qu’il le considérait comme le C.P.A.S. compétent (application de l’article 18, § 4, de la loi du 26 mai 2002).

Pour la période postérieure, la cour du travail est amenée à définir le concept « d’études de plein exercice » au sens de l’article 2, § 6, de la loi du 2 avril 1965, qui renvoie pour cette notion à l’article 11, § 2, de la loi du 26 mai 2002.

Il constate qu’aucun texte légal ne définit dans la matière du revenu d’intégration sociale la notion d’études de plein exercice.

Ce concept légal vise des études à plein temps et pour la définition des études à plein temps il convient de se référer au droit européen de l’enseignement consacré par la directive dite de Bologne, transposée en droit interne par le décret du 31 mars 2004 de la Communauté française. L’article 6, § 1, du décret définit la notion de crédit comme étant l’unité correspondant au temps consacré par l’étudiant, au sein d’un programme d’études, à une activité d’apprentissage dans une discipline déterminée. Aux termes de l’article 26, § 1er, de ce décret, une année d’études correspond à 60 crédits qui peuvent être suivis en une année académique et qu’un crédit correspond forfaitairement à 30 heures d’activité d’apprentissage. Le master en question correspondait à 30 crédits alors qu’il en eut fallu 60 pour que ce soit des études de plein exercice. C’est donc le C.P.A.S. de Liège qui est compétent.

Le pourvoi en cassation

Le C.P.A.S. de Liège s’est pourvu en cassation.

Le premier moyen de cassation concernait la disposition au travail de M. F.

Le second portait sur la notion d’enseignement de plein exercice.

La décision de la Cour de cassation

Le premier moyen est rejeté, dès lors qu’il revenait à critiquer une appréciation en fait des raisons de santé exemptant le demandeur de RIS d’établir sa disposition au travail.

Le second moyen est accueilli.

La Cour de cassation relève que sont de plein exercice les études considérées comme telles en vertu de la législation qui les organise. En l’espèce, il s’agit d’études universitaires organisées par la loi du 7 juillet 1970 relatives à la structure générale de l’enseignement supérieur et le Décret du 31 mars 2004, définissant l’enseignement supérieur, favorisant son intégration dans l’espace européen de l’enseignement supérieur et refinançant les universités.

Selon l’article 1er §2 de la loi du 7 juillet 1970, l’enseignement supérieur est dispensé comme enseignement de plein exercice et comme enseignement de promotion sociale.

Au terme de l’article 1er, alinéa 1er du Décret du 31 mars 2004, celui-ci a pour objet l’enseignement supérieur de plein exercice. Celui-ci comprend l’enseignement universitaire et l’enseignement hors universitaire dispensé comme enseignement de plein exercice.

Selon l’article 46, § 2, alinéa1er du décret, en règle, pour être régulière, une inscription aux études doit porter sur au moins 30 crédits dans un cursus déterminé, le crédit étant défini par l’article 6, § 1er, du décret comme l’unité de mesure du temps consacré par l’étudiant, au sein d’un programme d’étude, à une activité d’apprentissage dans une discipline déterminée. L’article 46, § 2, alinéa 2 indique que pour l’application des dispositions légales et réglementaires autres que le décret, un étudiant régulier est réputé se consacrer à ses études à temps plein.

Il est dès lors sans intérêt que le programme d’études ne comporte que 30 crédits et non 60 dès lors qu’il s’agit d’études de plein exercice.

Intérêt de la décision

L’intérêt de l’arrêt de la Cour de cassation est de définir la notion d’études de plein exercice pour la détermination du C.P.A.S. compétent.

Une autre question est que le centre public d’action sociale de la commune où l’étudiant est, au moment de la demande du R.I.S., inscrit à titre de résidence principal dans le registre de population ou des étrangers le reste pour toute la durée ininterrompue des études. C’est en effet ce C.P.A.S. qui a établi avec l’étudiant un projet et un contrat de poursuite des études. Ce C.P.A.S. perd toutefois sa compétence lorsque l’étudiant interrompt ses études, quitte à se raviser plus tard.

Dans son mémoire en réponse, M.F. proposait une fin de non-recevoir au second moyen de cassation, en l’invitant à substituer aux motifs critiqués et si cette critique devait être accueillie, le motif que le C.P.A.S. de Bruxelles avait perdu sa compétence par l’interruption des études.

La Cour de cassation a écarté cette demande de substitution de motif, considérant qu’elle excéderait ses pouvoirs en appréciant en fait si les études ont été interrompues.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège met en exergue que, quel que soit le sort qui devait être réservé à sa demande qu’il avait dûment documentée en fournissant tous les documents et en accomplissant toutes les démarches qui lui avaient été demandées, M. F., étudiant privé de toute ressource, a vu progressivement sa situation se muer en cauchemar, le C.P.A.S. de Liège déclinant sa compétence et le C.P.A.S. de Bruxelles son intervention tandis que l’ONEm lui refusait l’assimilation de ses études au stage d’attente.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be