Terralaboris asbl

La prise en considération du travail en atelier protégé pour la détermination de l’incapacité permanente due à un accident du travail

Commentaire de Cass., 15 décembre 2014, n° S.12.0097.F

Mis en ligne le mardi 7 avril 2015


Cour de cassation 15 décembre 2014 (troisième chambre), S.12.0097.F

TERRA LABORIS

Par arrêt du 15 décembre 2014, la Cour de cassation précise les conditions de prise en compte de la possibilité d’occupation en entreprise de travail adapté pour la définition du marché du travail accessible au travailleur conservant des séquelles suite à un accident du travail.

Les faits de la cause

M. G. a été victime d’un accident du travail le 28 août 2003. L’expert désigné par le tribunal du travail de Huy a conclu à un taux d’IPP de 60 % dans le cadre d’un marché général du travail comprenant le travail en atelier protégé et de 80 % dans le cadre d’un marché général du travail ne comprenant pas ce type de travail.

Tant le tribunal du travail que la cour du travail ont fixé l’IPP à 80 %.

L’arrêt de la cour du travail de Liège du 27 janvier 2012 (huitième chambre RG 2011/AL/168)

La cour du travail définit le marché général de l’emploi comme étant le recensement des professions existantes parmi lesquelles il faut retenir celles qui sont accessibles à la victime en fonction des critères personnels, c’est-à-dire du critère médical et des caractères propres de la victime. Il faut comparer ce qui est comparable.

En vertu de l’arrêté royal du 5 juillet 1963 les ateliers protégés sont réservés par priorité aux handicapés enregistrés par le Fonds national et qui, en raison de la nature ou de la gravité de leur déficience, ne peuvent provisoirement ou définitivement exercer une activité professionnelle dans les conditions habituelles de travail. Un atelier protégé a donc une finalité propre qui diffère totalement du marché général de l’emploi.

L’arrêt se réfère notamment à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 10 février 1989 (Chron. Dr. Soc., 1991, p. 85), qui statue en matière d’assurance maladie invalidité pour travailleurs indépendants.

Il se réfère également à l’arrêt de la Cour de cassation du 2 avril 1990 (Pas., n° 464, R.B.S.S., 1990, pp. 429 et ss. avec une note de M. de Ghellinck-de Meester : « Chronique de jurisprudence, Evaluation de la capacité de travail, Assurance maladie-invalidité : L’activité en atelier protégé constitue-t-elle une activité professionnelle au sens de l’article 56, § 1er, al. 1, de la loi du 9 août 1963 ?) », ainsi qu’à un arrêt de la Cour de cassation du 20 janvier 1997 (Pas., n° 40). Ces deux arrêts sont rendus en matière d’assurance maladie-invalidité.

Pour la cour du travail, qui cite la doctrine de P. Palsterman et C.-E. Clesse (PALSTERMAN, « L’incapacité de travail des salariés dans le droit belge de la sécurité sociale, approche transversale », Chron. Dr. Soc., 2004, p. 317 et C.-E. CLESSE, « L’expertise en accident du travail – Contribution in Expertise », Commentaires pratiques, 2008, IV, II, I, 152-50 et 54, mai 2010), la jurisprudence de la Cour de cassation doit être analysée en ce sens que le marché du travail ne comprend le travail en atelier protégé que lorsque ce type de travail fait partie de l’horizon professionnel normal de la victime.

L’arrêt relève également que l’article 2 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées exclut les entreprises de travail adapté du marché général de l’emploi.

La procédure en cassation

La requête en cassation

Le pourvoi soutient, en substance, que le juge ne peut pas pour la détermination de l’incapacité permanente résultant d’un accident du travail, exclure de son examen a priori, par principe, les professions encore accessibles à la victime dans le segment de l’atelier protégé. L’article 24, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971 lui impose en effet de déterminer in concreto la diminution de la valeur économique de la victime sur le marché général du travail.

Le moyen soutient que l’exclusion de ce marché général de l’emploi en entreprise de travail adapté ne peut se déduire par analogie de l’article 2 de la loi du 27 février 1987 dès lors précisément qu’il a fallu exclure ce marché par un texte spécifique et que les finalités des deux législations ne sont pas les mêmes. En effet, les allocations de remplacement de revenus peuvent être allouées à une personne qui n’a jamais exercé d’activité professionnelle et même n’avoir jamais été apte à en exercer une, comme elles peuvent être allouées à une personne qui exerce une activité.

Le moyen rappelait également que la législation relative aux personnes handicapées avait évolué depuis l’arrêté royal du 5 juillet 1963, la compétence pour la politique des handicapés ayant été attribuée aux communautés. En outre la rémunération de ce type de travail a évolué dès lors que la convention collective de travail n° 43 du 2 mai 1988 conclue au sein du Conseil National du Travail relative à la garantie d’un revenu minimum mensuel moyen ne procède plus à aucune distinction selon que le travail s’effectue en atelier protégé ou non. La commission paritaire pour les travailleurs handicapés en atelier protégé (C.P n° 327) a été instituée et des barèmes ont été établis.

Les conclusions du ministère public

Dans des conclusions écrites, le ministère public a conclu à la cassation. Lesdites conclusions relevaient notamment qu’en matière d’assurance maladie-invalidité les deux arrêts de la Cour de cassation auxquelles se référait la cour du travail n’avaient pas pour portée que l’existence d’une activité préalable de l’intéressé exclusivement exercée en atelier protégé fut une condition sine qua non de l’intégration de ce segment d’activité dans le marché général du travail et que procéder à cette distinction pourrait poser un problème de discrimination injustifiée.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour ne suit pas les conclusions de son avocat général.

Elle relève que, « au sens de l’article 24, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, l’incapacité permanente résultant d’un accident du travail consiste dans la diminution de la valeur économique de la victime sur le marché général du travail. L’étendue de cette incapacité s’apprécie non seulement en fonction de l’incapacité physiologique mais aussi en fonction de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté de réadaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence de la victime sur le marché général de l’emploi, elle-même déterminée par les possibilités dont la victime dispose encore, comparativement à d’autres travailleurs, d’exercer une activité salariée ».

Elle décide que : « le marché de l’emploi protégé ne relève pas de ces possibilités pour le travailleur qui n’y est pas mis au travail au moment de l’accident ».

Intérêt de la décision

La Cour de cassation prononce un arrêt de principe sur la prise en considération d’un emploi en atelier protégé (entreprise de travail adapté) dans le marché général du travail pour la détermination d’une incapacité permanente due à un accident du travail dans le secteur privé. Elle décide que le marché de l’emploi protégé ne relève des possibilités dont la victime dispose encore, comparativement à d’autres, d’exercer une activité salariée que si celle-ci travaillait en atelier protégé au moment de l’accident.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be