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La renonciation à la récupération de l’indu dans la matière des pensions de retraite et de survie

Commentaire de Cass., 15 décembre 2014, n° S.13.0050.F

Mis en ligne le lundi 27 avril 2015


Cour de cassation, 15 décembre 2014 (troisième chambre), n° S.13.0050.F

TERRA LABORIS

Dans un arrêt du 15 décembre 2014, la Cour de cassation rappelle l’articulation entre l’article 22 de la Charte de l’assuré social de l’article 21, § 5 du la loi du 13 juin 1966 relative à la pension de retraite et de survie des ouvriers, des employés, des marins naviguant sous pavillon belge, des ouvriers mineurs et des assurés libres.

Les faits de la cause

M. M.U. s’est vu reconnaître le droit une pension de retraite en qualité de mineur de fond à partir du 1er avril 1989.

Lors de son décès survenu le 26 mai 2008, l’O.N.P. constate que son épouse était décédée le 8 août 2003 et qu’il n’en a pas avisé l’O.N.P. En date du 20 octobre 2008, l’O.N.P. notifie à feu M. M.U une décision ramenant sa pension de retraite au taux isolé à dater du 1er septembre 2003 et l’avisant de la récupération de l’indu.

Suite à son décès, la même notification est effectuée à M. U.T., fils de M. M.U. et héritier de celui-ci, qui introduit en recours devant le tribunal du travail de Charleroi à l’encontre de cette décision.

Par un jugement du 9 décembre 2010, le tribunal a reçu ce recours et l’a déclaré non fondé.

M. U.T. a interjeté appel de ce jugement.

Par un premier arrêt du 23 février 2012, la cour du travail a déjà décidé que l’action en répétition des prestations payées indûment ne s’était pas éteinte au décès de feu M. M.U., dès lors que les sommes indues avaient été obtenues par suite de l’abstention du pensionné de produire une déclaration suivant laquelle son épouse était décédée le 8 août 2003, alors qu’il s’était engagé antérieurement à le faire.

La cour du travail à toutefois ordonné d’office une réouverture des débats pour que les parties s’expliquent quant à l’éventuelle incidence de l’article 22, § 1er de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l’assuré social sur le litige au regard de l’articulation de cet article 22 avec l’article 21, § 5 de la loi du 13 juin 1966 relative à la pension de retraite et de survie des ouvriers, des employés, des marins naviguant sous pavillon belge, des ouvriers mineurs et des assurés libres.

L’O.N.P. a soutenu que l’article 22 de la charte était, en vertu de son § 1er, supplétif en sorte que seul l’article 21, § 5 de la loi du 13 juin 1966 s’appliquait, qu’en outre, à supposer que cet article 21 soit incompatible avec l’article 22 de la charte, il n’y avait pas lieu d’écarter cette disposition antérieure à la charte.

L’arrêt de la cour du travail de Mons du 24 janvier 2013 (neuvième chambre - RG 2011/AM/10, sur Juridat)

La cour du travail décide que l’article 22, § 3 de la charte n’est pas incompatible avec les dispositions de l’article 21, § 5 de la loi du 13 juin 1966. Cette dernière disposition vise en effet l’extinction de l’action en répétition tandis que l’article 22, § 3 de la charte traite de la renonciation d’office à la récupération. Selon la cour du travail on ne peut confondre l’action en répétition et le droit subjectif dont la sanction est poursuivie par sa mise en œuvre.

Lorsque comme, en l’espèce, l’action en répétition n’est pas éteinte, la question de la récupération reste entière et s’examine au regard de l’article 22, § 3 de la charte.

Dans la mesure où il n’est pas prétendu que feu M. M.U. aurait usé de manœuvres frauduleuses ou aurait fait des déclarations fausses ou sciemment incomplètes, il y a lieu à renonciation d’office à la récupération des prestations indues suite au décès de celui à qui elles ont été payées lorsque la récupération ne lui a pas encore, comme en l’espèce, été notifiée.

Le pourvoi en cassation

Le pourvoi en cassation est pris de la violation de l’article 22, spécialement §§ 1er et 3 de la loi du 11 avril 1995, et de l’article 21, §§ 2 à 8, et spécialement §§ 2,3 et 5, de la loi du 13 juin 1966.

L’O.N.P. a soutenu qu’il ressortait du § 1er de l’article 22 de la charte que ses §§ 2 à 4 sont supplétifs en sorte qu’ils ne trouvent à s’appliquer qu’en l’absence de dispositions spécifiques à un secteur de la sécurité sociale relatives à la renonciation à la récupération des prestations indues.

Or, dans la matière des pensions de retraite, la loi du 13 juin 1966 institue en son 21, §§ 2 à 8 une réglementation complète relative à la récupération des prestations de retraite payées indûment.

Cet article 21, § 5 dispose que le décès de celui à qui les prestations ont été payées indûment a pour effet d’éteindre l’action en récupération sauf notamment si le caractère indu des prestations résulte de l’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement.

L’article 22, § 3 de la charte ne trouve donc pas à s’appliquer compte tenu de l’existence de dispositions spécifiques à la renonciation et à la récupération des prestations indues et à l’incidence du décès du bénéficiaire sur cette récupération.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation indique qu’il ressort de l’article 22, § 1er de la loi du 11 avril 1995 que les dispositions des §§ 2 à 4 ne s’appliquent à la récupération de l’indu qu’en l’absence de disposition légale ou réglementaire propre aux différents secteurs de la sécurité sociale.

Or, l’article 21 de la loi du 13 juin 1966, en ses §§ 2 à 8, contient des dispositions propres à la récupération de l’indu dans le régime des pensions de retraite et de survie des travailleurs auxquels s’applique cette loi.

En vertu du § 3, alinéa 3, de cet article 21 l’action en répétition se prescrit par 3 ans à compter de la date à laquelle le paiement a été effectué en ce qui concerne les sommes payées indûment par suite de l’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement.

Or, il ressort de l’arrêt rendu dans la même cause par la cour du travail le 23 février 2012 que l’O.N.P. a, après le décès de feu M. M.U., constaté que celui-ci s’était, contrairement à l’engagement qu’il avait pris lors de l’octroi de sa pension de retraite, abstenu de lui déclarer que son épouse était pré-décédée. Cet arrêt a considéré que l’action en répétition des sommes indûment payées ne s’était pas éteinte au décès par application de l’article 21, § 5 de la loi du 13 juin 1966.

La récupération de pareilles prestations indues étant régie par les dispositions propres de la loi du 13 juin 1966, en décidant que l’O.N.P. devait renoncer d’office à la récupération, l’arrêt attaqué viole l’article 21, §§ 3, alinéas 3 et 5 de la loi du 13 juin 1966 et l’article 22 de la loi du 11 avril 1995.

Intérêt de la décision

Alors que la charte de l’assuré social vise à établir un socle commun de droits et d’obligations de l’assuré social et des institutions de sécurité sociale, certaines dispositions de cette charte sont supplétives.

A propos de l’article 22 de la charte, on se référera à H. Mormont et J. Maertens. Ceux-ci rappellent que la Cour constitutionnelle a, par un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 25 octobre 2006, été interrogée sur la question si l’article 22 de la charte et plus particulièrement son § 1er était compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, d’une part en ce qu’il excluait de son champ d’application les secteurs de la sécurité sociale pour lesquels existent des dispositions particulières et, d’autre part en ce qu’il excluait toute attribution judiciaire quant au contrôle complet des allocations sociales indûment payées. Il s’agissait en l’espèce d’un litige concernant la récupération d’allocations payées indûment dans le cadre d’une interruption de carrière pour congé parental.

Par son arrêt du 12 juillet 2007 la cour constitutionnelle a constaté que le caractère supplétif de l’article 22 de la charte a été justifié dans les travaux parlementaires par l’existence de règles sectorielles dont l’application ne posait pas de problème, d’où l’idée de laisser au secteur concerné le soin de d’appliquer ses propres dispositions en matière de renonciation à la récupération de l’indu.

Cet arrêt considère que l’article 22, § 1er de la loi se borne à exprimer le caractère supplétif de cet article. L’habilitation qu’il contient ne peut en aucune façon déroger au principe selon lequel, lorsqu’une norme établit une différence de traitement entre certaines catégories de personnes, celle-ci soit se fonder sur une justification raisonnable qui s’apprécie par rapport au but et aux effets de la norme considérée (« La révision des décisions administratives et la récupération de l’indu dans la charte de l’assuré social », Dix ans d’application de la charte de l’assuré social, E.P.D.S, 2008/1 pp.115 à 117).


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