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Peut-il y avoir accident du travail si l’O.N.S.S. a été précédemment débouté d’une demande de cotisations ?

Commentaire de C. trav. Mons, 9 décembre 2014, R.G. 2006/AM/20.284

Mis en ligne le lundi 27 avril 2015


Cour du travail de Mons, 9 décembre 2014, R.G. 2006/AM/20.284

TERRA LABORIS

Par arrêt du 9 décembre 2014, la Cour du travail de Mons rappelle qu’un accident ne peut être reconnu si l’O.N.S.S. a été débouté de la demande d’assujettissement et de paiement de cotisations de sécurité sociale. Les tiers à la procédure ont cependant la possibilité de faire tierce opposition à une telle décision.

Les faits

Une personne est victime d’une chute dans les escaliers d’un magasin où elle est occupée. Ses séquelles sont importantes (fractures, hospitalisation, traitement, intervention chirurgicale,…).

La déclaration d’accident du travail est introduite auprès du Fonds des Accidents du Travail, la propriétaire du commerce n’ayant pas souscrit d’assurance dans le cadre de la loi du 10 avril 1971.

Une procédure est initiée devant le Tribunal du travail de Charleroi, qui oppose la travailleuse, l’employeur et le Fonds. Dans le cours de celle-ci, l’organisme assureur en AMI est appelé en déclaration de jugement commun.

Le F.A.T. introduit également une demande incidente contre la propriétaire du magasin, sur pied de l’article 60 de la loi du 10 avril 1971, en vue de récupérer contre l’employeur en défaut l’ensemble de ses débours. Il demande également paiement des cotisations d’affiliation d’office. A titre subsidiaire, au cas où le tribunal ne conclurait pas à l’existence d’un accident du travail, il sollicite le remboursement de ses décaissements.

La décision du tribunal

Par jugement du 15 mars 2006, le premier juge confirme l’existence d’un accident du travail et désigne un expert. Il condamne d’ores et déjà l’employeur au paiement de sommes importantes au titre de débours, à majorer des intérêts à partir de leur décaissement. Dans le même temps, l’O.N.S.S. a notifié une décision d’assujettissement. Il entend également procéder à la régularisation des cotisations. Il introduit dès lors également une procédure en paiement des cotisations en cause.

Dans celle-ci, le Tribunal du travail de Charleroi rend un jugement en mars 2010, accueillant la demande de l’O.N.S.S. Ce jugement est cependant réformé par un arrêt de la cour du travail du 20 juillet 2011, qui déboute l’Office de sa demande.

En conséquence, l’employeur interjette appel du jugement rendu par le Tribunal du travail de Charleroi dans la présente affaire, aux fins d’être libre de toute condamnation, étant d’une part celle dirigée contre lui par le F.A.T., mais également une autre, mue à l’initiative de l’organisme assureur en AMI, et encore celle formée dans le cadre d’un appel ampliatif par la travailleuse. Il conclut également à titre subsidiaire sur la mission de l’expert.

Les décisions de la cour

La cour du travail rend trois arrêts.

L’arrêt du 26 février 2013

Dans un premier arrêt du 26 février 2013, elle ordonne une réouverture des débats aux fins, notamment, de permettre aux parties de s’expliquer sur la possibilité de soutenir – en l’absence de tierce opposition – une argumentation contraire à l’arrêt du 20 juillet 2011 rendu dans le dossier O.N.S.S., arrêt à ce moment coulé en force de chose jugée.

L’arrêt du 10 décembre 2013

Un deuxième arrêt est rendu, la cour soulevant la question de l’utilité de débattre de l’existence ou non d’un contrat de travail. Elle rappelle que, pour qu’il y ait application de la loi du 10 avril 1971, il faut (notamment) que le travailleur et l’employeur soient assujettis en tout ou en partie à la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale. Or, il est définitivement acquis que tel n’est pas le cas. Une nouvelle réouverture des débats est ordonnée.

L’arrêt du 9 décembre 2014

La cour rappelle les rétroactes et note qu’après l’arrêt précédent, l’organisme assureur en AMI a déposé des conclusions introduisant une demande nouvelle, ayant pour objet d’entendre dire pour droit que l’employeur est responsable du dommage subi par l’intéressée résultant de la chute et qu’il est subrogé dans les droits de celle-ci à son égard.

La cour du travail constate, ensuite, que l’ensemble des demandes formées, étant celle de la travailleuse, du F.A.T. et de l’organisme assureur en AMI, sont fondées sur la loi du 10 avril 1971.

Il est acquis, par ailleurs, que l’O.N.S.S. a été débouté de sa demande, la cour précisant qu’un motif essentiel était l’absence du droit à une rémunération, circonstance qui n’avait pas permis de conclure à un véritable lien de subordination.

En ce qui concerne les demandes dont elle est saisie, la cour rappelle qu’il n’y a pas eu de tierce opposition contre cette décision. Or, celle-ci est la voie de recours extraordinaire réservée aux tiers pour attaquer une décision qui préjudicie à leurs droits.

La cour reprend la notion de tiers, étant celui qui n’a pas été appelé ou qui n’est pas intervenu en la cause, et ce en la même qualité que celle dont il entend se prévaloir pour justifier la lésion de son droit. Elle rappelle ensuite que, si l’autorité de la chose jugée d’une décision de justice est limitée aux personnes qui ont été parties au procès, son effet obligatoire est opposable aux tiers. La cour revient sur l’enseignement de FETTWEIS (A. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, Fac. Dr. Liège, 1987, p. 566), qui distingue l’effet substantiel ou obligatoire du jugement, agissant erga omnes et son autorité de chose jugée, relative et limitée aux parties.

Le jugement modifie l’ordonnancement juridique d’une manière qui doit être respectée par tous. Il est opposable aux tiers sous réserve de la preuve contraire, qui peut notamment être apportée par la tierce opposition.

La cour conclut que le but poursuivi par ces parties, dans le cadre de la présente instance, constituerait la négation directe de ce qui a été jugé et qui est coulé en force de chose jugée. Il faut, dès lors, qu’une tierce opposition soit formée contre l’arrêt contesté.

La cour constate enfin que tant l’intéressée que l’organisme assureur ont sollicité à titre subsidiaire de surseoir encore à statuer, afin d’introduire éventuellement une procédure en tierce opposition, ce à quoi le F.A.T. et l’employeur ne s’opposent pas.

L’affaire est dès lors renvoyée au rôle particulier.

Intérêt de la décision

Cette affaire – qui n’est dès lors pas terminée et qui concerne des faits vieux de 13 ans – est l’occasion de rappeler une articulation d’ordre public, dans la matière de la réparation des accidents du travail.

Il faut (notamment) constater que la relation de travail s’inscrit dans le cadre de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs.

Dans la plupart des cas qui sont soumis aux juridictions du travail, celles-ci statuent dans la même affaire sur l’existence de l’accident du travail et sur celle du contrat de travail, qui entraîne – ou non – l’application de la loi du 10 avril 1971.

En l’occurrence, c’est une autre affaire, précédemment clôturée, qui pose la question procédurale au cœur du débat : l’autorité de la chose jugée d’un autre arrêt, opposant précisément « l’employeur » à l’O.N.S.S. La cour rappelle – et cette précision est certes très utile – les effets d’une décision judiciaire entre les parties d’une part, étant qu’elle a une autorité de chose jugée, mais que celle-ci est relative et limitée à celles-ci, et, d’autre part, vis-à-vis des tiers, étant que le jugement modifie l’ordonnancement juridique d’une manière qui doit être reconnue et respectée par ceux-ci, de telle sorte qu’il leur est opposable. Il a envers ces derniers un effet substantiel (ou obligatoire).

Il y a dès lors lieu pour celles-ci d’introduire une tierce opposition dès lors qu’elles entendent en contester les conclusions.


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