Terralaboris asbl

Perception d’indemnités de mutuelle : notion de manœuvres frauduleuses

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 décembre 2014, R.G. 2012/AB/1.259

Mis en ligne le lundi 27 avril 2015


Cour du travail de Bruxelles, 10 décembre 2014, R.G. 2012/AB/1.259

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 décembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence en la matière : si la notion de manœuvres frauduleuses ne doit pas être assimilée à une négligence, elle peut découler d’une abstention ou d’une attitude passive et malicieuse. La cour y aborde également la question des sanctions applicables en cas de pluralité de faits distincts.

Les faits

Une personne physique participe à la constitution d’une S.P.R.L., dans laquelle elle a 80% des parts. Elle est gérante statutaire, avec mandat rémunéré, et s’affilie à une caisse d’assurances sociales.

Quelques semaines plus tard, elle est en congé de maternité pendant 15 semaines et, après cette période, est reconnue en incapacité de travail et indemnisée.

L’année suivante, elle est de nouveau en congé de maternité, suite auquel l’incapacité de travail se poursuit encore pendant plus de 7 mois.

A l’occasion d’une inspection, est constaté l’exercice d’une activité professionnelle non autorisée par le médecin-conseil.

Un procès-verbal de constat est dressé et une sanction administrative est prise par le fonctionnaire dirigeant de l’I.N.A.M.I., comprenant diverses exclusions (rédaction et usage de faux documents, omission de déclaration de revenus professionnels à l’organisme assureur, reprise d’une activité sans autorisation du médecin-conseil et absence d’information à l’organisme assureur de la reprise du travail). Cette exclusion porte au total sur 240 indemnités journalières, soit un montant de l’ordre de 24.000 €.

Un recours est introduit par l’intéressée et, par jugement du 18 octobre 2012, celui-ci est déclaré non fondé.

L’assurée sociale interjette appel.

Elle demande l’annulation d’une partie des sanctions et la limitation d’une autre.

L’I.N.A.M.I. et l’organisme assureur demandent la confirmation du jugement, admettant, à titre subsidiaire, un montant moins élevé (de l’ordre de 7.000 €).

La décision de la cour

La cour constate en premier lieu un problème de composition du siège du tribunal du travail (celui-ci n’étant pas adéquatement constitué), de telle sorte que le jugement est annulé.

Quant au fond du litige, l’essentiel de la décision porte sur la récupération des indemnités ainsi que sur les sanctions.

L’exercice d’une activité indépendante incompatible avec les indemnités n’étant pas contesté, se pose essentiellement la question de savoir s’il y a eu manœuvres frauduleuses, avec les conséquences légales sur le délai de prescription.

La cour constate que l’intéressée fait état de problèmes de santé (essentiellement une grave dépression), suite à la naissance de ses deux enfants, ainsi que des difficultés de santé de ceux-ci. Elle déclare ne jamais avoir celé l’activité de sa société et ne pas avoir été rémunérée.

Sur les règles applicables, la cour du travail rappelle l’article 174, 5° de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, qui fixe la règle de prescription à 2 ans, sauf si l’indu est dû à des manœuvres frauduleuses dont est responsable celui qui en a profité.

C’est l’occasion pour la cour de refaire le point sur la notion de manœuvres frauduleuses, étant que celles-ci exigent des agissements volontairement illicites en vue d’obtenir indûment l’octroi de la prestation, rappelant également qu’il faut une volonté malicieuse, ces manœuvres s’apparentant au dol. La cour renvoie à diverses décisions de fond en ce sens. Elle précise qu’une négligence ne suffit pas, mais que la manœuvre frauduleuse peut découler d’une abstention ou d’une attitude passive mais malicieuse et, enfin, renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2006 (Cass., 4 décembre 2006, n° S.05.0071.F), selon lequel ces manœuvres ne peuvent se déduire ni de la considération que le débiteur pouvait se renseigner quant à l’étendue de ses obligations, ni de la constatation qu’il n’a pas déclaré la poursuite d’une activité.

En l’espèce, la cour va retenir que c’est en connaissance de cause que l’intéressée s’est maintenue dans un cumul qui ne pouvait se justifier. Elle retient l’absence de déclaration de l’activité indépendante pendant une période prolongée, ceci n’étant pas une simple négligence.

Les indices constitutifs de la manœuvre sont repris comme étant (i) le fait que l’intéressée a signé et dûment complété la feuille de renseignements indemnités et, particulièrement, qu’elle a donné des renseignements sur la question de savoir si elle exerçait une activité pendant son incapacité, (ii) le fait qu’elle a confirmé avoir été informée par sa caisse du caractère irrégulier de la situation, (iii) le fait qu’elle a continué à poser des actes de gestion tant pour la société que pour le magasin exploité par celle-ci et (iv) le fait qu’elle a encore fait une déclaration inexacte peu de temps avant la décision administrative.

L’ensemble de ces comportements est dès lors constitutif de fraude entraînant l’application du délai de prescription de 5 ans.

Pour ce qui est des sanctions d’exclusion, la cour examine ensuite les éléments constitutifs des infractions en cause ainsi que les sanctions elles-mêmes.

Il est reproché à l’intéressée d’avoir utilisé de faux documents, au sens de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 (actuellement abrogé depuis la loi du 19 mai 2010). Cette infraction est retenue, l’intéressée n’ayant pas correctement rempli la feuille de renseignements et une déclaration faite ultérieurement à sa mutuelle étant sciemment incomplète.

Par contre, sur les revenus qui n’auraient pas été déclarés, la cour constate qu’il n’est pas démontré que l’intéressée a perçu une rémunération ou un avantage matériel quelconque.

Pour ce qui est de l’absence d’autorisation du médecin-conseil et l’absence de déclaration à l’organisme assureur, ces informations sont, comme la cour le rappelle, indispensables, et ce indépendamment de la perception ou non d’une rémunération.

Enfin, pour ce qui est des sanctions, la cour retient que, pour les trois infractions confirmées, il y a exclusion de 165 indemnités journalières. Renvoyant cependant à l’article 6 de la C.E.D.H., il s’agit de sanctions pénales, dans la mesure où elles n’ont pas pour but de réparer le préjudice causé à l’assurance obligatoire, mais de sanctionner l’intéressée en la privant du droit aux indemnités.

Ceci n’implique cependant pas l’application de toutes les dispositions du Code pénal et, notamment, sur le cumul des sanctions. La cour retient que les diverses infractions constituent des faits distincts et non des faits identiques ou qui sont en substance les mêmes. Des sanctions distinctes pouvaient dès lors être appliquées par l’I.N.A.M.I. (la cour renvoyant à C. trav. Bruxelles, 26 octobre 2011, R.G. 2009/AB/52.714). Elle ramène dès lors celles-ci à une exclusion d’un total de 105 indemnités journalières.

L’indu à rembourser est confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est exemplaire sur l’analyse des sanctions prises par l’I.N.A.M.I. dans une telle situation.

La cour passe successivement en revue les infractions reprochées, aboutissant à la conclusion que l’une d’entre elles n’est cependant pas établie (l’absence de déclaration de revenus).

Elle dégage également la règle selon laquelle il ne s’agit pas, dans une telle hypothèse, de faits identiques ou de faits qui seraient en substance les mêmes, mais bien des faits distincts. L’I.N.A.M.I. pouvait dès lors retenir des sanctions distinctes.

Enfin, l’arrêt contient un rappel utile de la notion de manœuvres frauduleuses dans la jurisprudence récente.


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