Terralaboris asbl

Aide médicale urgente : sanction de la faute commise par un CPAS, en défaut de remplir ses obligations légales

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 juin 2007, R.G. 44.848

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 28 juin 2007, R.G. n° 44.848

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 28 juin 2007, la Cour du travail de Bruxelles a considéré qu’un Centre Public d’Action Sociale engage sa responsabilité, sur la base de l’article 1382 du Code civil, lorsque, en sa qualité de centre secourant, il ne respecte pas les obligations légales mises à sa charge, dès lors qu’il a été sollicité par un hôpital.

Les faits

Une dame M. en séjour illégal, dut avoir des soins médicaux urgents en 1999, soins qui furent prodigués par l’hôpital Erasme. Celui-ci sollicita rapidement le CPAS d’Anderlecht, soit trois jours après l’hospitalisation qui avait été rendue nécessaire. Il communiqua au CPAS une preuve de l’état d’indigence et de la situation de séjour de l’intéressée. Le CPAS refusa son intervention.

L’intéressée sollicita, ultérieurement, l’intervention du CPAS de Forest qui refusa d’intervenir pour le passé.

Un recours fut introduit contre la décision de ce dernier, décision du 13 juillet 2000, qui avait donc accepté d’intervenir en sa faveur, dans le cadre de l’aide médicale urgente, mais uniquement pour l’avenir. Entre-temps, vu les soins prodigués par l’hôpital Erasme, ce dernier lança citation contre l’intéressée ainsi que contre le CPAS d’Anderlecht en vue de récupérer une somme d’environ 30.000 EUR, correspondant aux frais d’hospitalisation exposés dans le courant de l’année 1999.

La position du tribunal

Les causes furent jointes.

Le tribunal du travail annula la décision administrative pour défaut de motivation et se substitua au Centre pour examiner la demande. Il conclut que l’intéressée ne justifiait pas les bases sur lesquelles le CPAS de Forest aurait à prendre en charge les frais résultant de son hospitalisation. Elle n’avait, en effet, pas introduit contre ce CPAS de demande d’aide médicale urgente au moment de celle-ci et par ailleurs elle ne justifiait pas en quoi l’existence de cette dette affectait sa situation et ne lui permettait pas de mener une vie conforme à la dignité humaine. Le tribunal précisa qu’il ne relevait pas de la mission des CPAS de désintéresser les créanciers des indigents.

En ce qui concerne l’action civile de l’ULB, il condamna l’intéressée à payer cette somme à l’hôpital, mais condamna également le CPAS d’Anderlecht (reconnu comme centre secourant) au paiement d’une grande partie de celle-ci au titre de dommages et intérêts. Pour le tribunal, il y avait faute dans le chef du CPAS engageant sa responsabilité, sur pied de l’article 1382 du Code civil.

Le premier juge rappelle que la mission du CPAS secourant est de vérifier les conditions de prise en charge des frais d’hospitalisation et d’assurer l’éventuel suivi auprès de l’état, en vue du remboursement des frais de l’aide médicale urgente. Toute personne ayant droit à celle-ci et, par ailleurs, vu les obligations légales et réglementaires à charge des hôpitaux de dispenser cette aide, le CPAS devait intervenir. En effet, la prise en charge financière des soins d’urgence par l’état sous le contrôle des CPAS est prévue, même dans le cas d’un indigent en séjour illégal. Par conséquent, commet une faute à l’égard de l’hôpital, qui a légalement dû prodiguer les soins d’urgence à cet indigent, le CPAS qui, sans motif valable, refuse de remplir sa mission légale de centre secourant alors que l’hôpital l’a régulièrement sollicité.

Pour le premier juge, le CPAS d’Anderlecht devait assumer sa mission légale de centre potentiellement secourant, à savoir de vérifier les conditions de prise en charge des frais d’hospitalisation et d’assurer le suivi vers l’état.

Sur l’évaluation du dommage, il fallait, cependant, rester attentif au lien de causalité. L’hôpital Erasme évaluant son dommage à la totalité des frais de l’hospitalisation, le tribunal retint cependant que ce lien de causalité exigeait que l’on vérifie si, au-delà des montants servant de base au remboursement par l’assurance soins de santé et indemnités, les postes facturés entraient dans le cadre des éléments normalement pris en charge au titre d’aide médicale urgente. Il ordonna la réouverture des débats pour la partie en sus de l’intervention du secteur soins de santé.

La position des parties en appel

Le CPAS d’Anderlecht s’opposa à la jonction des causes, relevant notamment que l’intéressée n’avait jamais sollicité son intervention dans le cadre de l’aide médicale urgente et qu’elle était la seule à pouvoir introduire semblable demande. Il demandait, ainsi, que l’action en intervention soit sans objet en ce qui le concerne.

La position de la Cour

La Cour avait rendu un premier arrêt le 1er juin 2006 dans lequel elle avait déjà conclu à l’existence d’une faute engageant la responsabilité du CPAS d’Anderlecht à l’égard de l’hôpital Erasme. Dans ce premier arrêt, elle relevait que dans la mesure où le centre n’avait jamais contesté sa compétence territoriale, il ne pouvait se borner à alléguer que l’intéressée ne répondait pas aux critères de l’aide sociale et qu’il était dans l’ignorance de son statut officiel. La Cour avait relevé que, au cas où il se serait même estimé incompétent, il aurait dû transmettre la demande de l’hôpital au CPAS qu’il estimait être compétent et en avertir l’un et l’autre. Il avait également obligation, conformément à l’article 60, § 2 de la loi du 8 juillet 1976, de fournir tous conseils et renseignements utiles et d’effectuer les démarches de nature de procurer aux intéressés tous les droits et avantages auxquels ils peuvent prétendre dans le cadre de la législation belge ou étrangère. Ayant toutefois relevé que le non-respect de cette obligation n’était assortie d’aucune sanction, la Cour avait trouvé le fondement légal de la responsabilité du CPAS dans les articles 1382 et suivants du Code civil (s’appuyant notamment sur C. trav. Mons, 28 nov. 2000, J.T.T. 2001, p.33).

La réouverture des débats fut cependant ordonnée sur un point, étant la détermination de l’existence et de l’étendue du dommage subi par l’intéressée, qui fut définitivement tranchée dans l’arrêt du 28 juin 2007.

Revenant sur la faute du CPAS, qui n’est pas intervenu dans le cadre de l’aide médicale urgente sollicitée tant par l’hôpital que par la fille de l’intéressée, elle constata que de ce fait le CPAS avait privé les deux parties de la prise en charge par le Ministère de la santé des frais d’hospitalisation exposés lors de celle-ci. Dès lors que cette faute est ainsi identifiée, l’étendue du préjudice peut également être déterminée : c’est le montant de la condamnation de Madame M. au paiement de la somme d’environ 30.000 EUR, condamnation qui n’aurait jamais été prononcée si le CPAS n’avait pas failli à toutes ses obligations en matière d’aide médicale urgente.

Le Centre est ainsi condamné à intervenir dans le paiement de toutes les condamnations de sommes prononcées à charge de l’intéressée, résultant du coût de son hospitalisation.

Intérêt de la décision

Dans une affaire initialement complexe, la Cour rappelle d’une part le droit à toute personne, même en séjour illégal, de bénéficier de l’aide médicale urgente, ainsi que de les obligations à charge du CPAS secourant en une telle hypothèse. L’intérêt de la décision est de concrétiser la notion de faute, ainsi que l’obligation de réparation, l’article 60, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 étant dépourvu de sanctions spécifiques.


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