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Décision d’incompétence prise à tort par le Fonds des maladies professionnelles : manquement à l’article 3 de la Charte et conséquences

Commentaire de C. trav. Liège, div. Liège, 13 mars 2015, R.G. 2014/AL/296

Mis en ligne le mercredi 13 mai 2015


Cour du travail de Liège, div. Liège, 13 mars 2015, R.G. n° 2014/AL/296

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 13 mars 2015, la Cour du travail de Liège rappelle que, si une institution de sécurité sociale (en l’occurrence le FMP) donne une information erronée en droit, il y a manquement aux obligations de l’article 3 de la Charte de l’assuré social, selon lequel l’institution est tenue de communiquer d’initiative à l’assuré social tout complément d’information nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits, l’information en cause devant être précise et complète afin de lui permettre d’exercer tous ses droits et obligations.

Les faits

Une institutrice maternelle engagée dans le cadre d’un programme de transition professionnelle au service d’un établissement de l’enseignement libre subventionné introduit en novembre 2009 une demande d’écartement auprès du FMP. Sont visés les risques infectieux repris au Codes 1.404.01 et 1.404.03 de la liste, eu égard à son état de grossesse.

Le FMP considère que la législation applicable est la loi du 3 juillet 1967 et transmet dès lors la demande au service désigné par l’employeur. Il s’agit de la Communauté française. Aucune suite n’est réservée à la demande qui lui est ainsi transférée jusqu’à ce que, près de deux ans plus tard, suite à l’intervention de l’organisation syndicale de l’intéressée, la Communauté française considère qu’elle est également incompétente, l’article 2, 4° de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 applicable au secteur public excluant de son champ d’application le personnel engagé dans le cadre d’un contrat de travail pour lequel la loi du 3 juillet 1978 est applicable. Contact est alors repris avec le FMP, qui confirme sa décision d’incompétence.

Un recours est introduit par l’intéressée devant le Tribunal du travail de Liège contre cette décision. Il est ainsi formé après l’expiration du délai d’un an visé par les lois coordonnées le 3 juin 1970.

Décision du tribunal

Par jugement du 6 mars 2014, le Tribunal du travail de Liège condamne le FMP à faire droit à la demande d’indemnisation de l’intéressée. La Communauté française est mise hors cause.

Le tribunal considère que la preuve n’est pas rapportée par le FMP de ce que la notification faite à l’assurée sociale contenait les mentions de l’article 14 de la Charte de l’assuré social, et notamment le délai de recours et les modalités de celui-ci. Pour le tribunal, le délai n’a pas dès lors commencé à courir à cette date.

Appel est interjeté par le Fonds.

Position des parties devant la cour

Le Fonds reconnaît son erreur quant à la question de la compétence. Il considère cependant qu’il y a forclusion de la demande, celle-ci ayant été introduite près de deux plus tard. Il considère par ailleurs que la dernière décision prise ne peut pas constituer le point de départ du délai de prescription, n’étant qu’une décision confirmative et n’ayant de ce fait pas pu ouvrir un nouveau délai de recours.

Il conteste par ailleurs avoir commis une quelconque faute susceptible d’engager sa responsabilité, soulignant que toute erreur de l’administration n’est pas automatiquement constitutive de faute.

Quant à l’intéressée, elle considère que le point de départ du délai de recours ne peut être l’envoi de la décision d’incompétence, dans la mesure où celle-ci ne contenait pas les dispositions de l’article 14 de la Charte de l’assuré social. A supposer que tel soit cependant le cas, l’intéressée estime que le FMP a commis une faute dans l’exercice de son devoir de conseil et d’information en s’estimant à tort incompétent et que cette faute doit être réparée par l’octroi de dommages et intérêts.

Pour l’assurée sociale, il y a, du fait de la constatation erronée de son incompétence, une négligence coupable dans le chef du Fonds et celle-ci est de nature à engager sa responsabilité, l’intéressée renvoyant à un arrêt du 23 mars 2010 (C. trav. Liège, 23 mars 2010, R.G. n° 2008/AL/35.978). Elle plaide le principe de légitime confiance des assurés sociaux dans les décisions des organismes de sécurité sociale.

Décision de la cour

La cour examine en premier lieu la législation applicable et rappelle que les textes réglementaires applicables dans le secteur public distinguent les membres du personnel des établissements d’enseignement (organisés par ou au nom des Communautés), pour qui est applicable la loi du 3 juillet 1967 et ceux de l’enseignement libre subventionné sous contrat de travail, qui relèvent du secteur privé.

La cour souligne cependant la particulière complexité – selon ses propres termes – des textes applicables.

Examinant par ailleurs les éléments de fait, étant la question de savoir si le FMP a valablement produit, avec sa décision d’incompétence, l’article 14 de la Charte de l’assuré social, la cour conclut qu’il subsiste un doute sur la question, les parties ne contestant pas la recommandation postale mais le contenu de l’enveloppe ! Pour la cour, lorsqu’est démontrée la preuve de l’envoi recommandé, adressé au destinataire, il existe une très forte présomption qu’il contenait l’acte en cause, et ce sous peine de miner l’indispensable sécurité juridique liée au respect des formalités légales. Le destinataire devrait dès lors établir par un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes que tel n’est pas le cas.

La cour accueille, dès lors, l’appel sur ce point.

Reste encore à examiner la question de la faute du Fonds dans l’instruction du dossier. La cour retient ici que le Fonds a placé l’intéressée dans la situation d’erreur invincible, dans la mesure où il est quant à lui parfaitement au fait des règles de répartition des compétences et que, malgré ceci, il s’est « lourdement trompé » sur leur application.

Il y a en l’occurrence une erreur de conduite et celle-ci doit être appréciée selon le critère de l’autorité normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions.

La cour rappelle que le Fonds a déclaré à deux reprises qu’il n’était pas compétent, et ce contrairement à la loi. Il a dès lors violé l’article 3 de la Charte, ayant donné des informations erronées en droit quant à l’organisme compétent.

Elle souligne qu’il ne saurait être attendu d’un assuré social qui a correctement introduit sa demande de s’adjoindre les services d’un juriste spécialisé aux fins de d’assurer de la régularité de la réponse qui lui est faite par l’administration, et ce d’autant qu’elle déclare avoir envoyé le dossier au service compétent. La faute a entraîné un dommage, celui-ci s’identifiant à la perte des indemnités d’écartement auxquelles l’intéressée pouvait prétendre. Ce dommage est en lien causal avec la faute retenue. Elle condamne dès lors le Fonds à des dommages et intérêts équivalents à ces indemnités pour la période pour laquelle elles étaient dues.

Intérêt de la décision

Le contour de l’obligation d’information fait régulièrement l’objet de précisions dans la jurisprudence.

L’obligation de réactivité et de proactivité est actuellement comprise comme faisant partie intégrante de l’information, dans la mesure où elle a une influence sur le maintien ou l’étendue des droits aux prestations sociales. L’organisme de sécurité sociale doit, dans de telles hypothèses, informer l’assuré social sur les démarches à accomplir ou sur les obligations à respecter afin de sauvegarder ses droits.

Relevons à cet égard un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 3 juin 2013 (C. trav. Bruxelles, 3 juin 2013, R.G. n° 2012/AB/152, (précédemment commenté)) rendu dans la matière des prestations aux personnes handicapées, où la cour du travail avait été amenée à préciser que dans cette matière, l’obligation légale est définie comme visant tous les renseignements éclairant la situation personnelle de l’intéressé et portant notamment sur les conditions d’ouverture du droit à une allocation.

La demande d’information est d’ailleurs généralement interprétée de manière très large (ainsi que le précise la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt du 3 juin 2013).

Les exemples foisonnent, dans les décisions de jurisprudence récente, quant à l’étendue des obligations de diverses institutions de sécurité sociale (voir notamment C. trav. Mons, 22 mai 2014, R.G. n° 2013/AM/314 pour la faute d’un organisme assureur en AMI ou encore C. trav. Bruxelles, 8 septembre 2014, R.G. n° 2013/AB/987 pour les obligations de la CAPAC, notamment).


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