Terralaboris asbl

Une personne de nationalité étrangère dont le séjour est régularisé sur la base de la loi du 22 décembre 1999 peut-elle être considérée comme bénéficiant de la protection subsidiaire ?

Commentaire de C. trav. Liège, div. Liège, 9 mars 2015, R.G. 2010/AL/448

Mis en ligne le mercredi 13 mai 2015


Cour du travail de Liège, 9 mars 2015, R.G. n° 2010/AL/448

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 9 mars 2015, la Cour du travail de Liège renvoie à la jurisprudence très récente de la Cour de Justice de l’Union européenne sur la question : les étrangers régularisés sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 n’entrent pas dans le champ d’application de la directive 2004/83/CE et, a fortiori, il en va de même de ceux régularisés conformément aux dispositions de la loi du 22 décembre 1999.

Les faits

L’Etat belge refuse, en février 2002, l’octroi d’allocations aux personnes handicapées suite à la demande introduite par une Dame B., et ce eu égard à la condition de nationalité.

L’intéressée est arrivée en Belgique avec ses parents en juin 1999, venant de Yougoslavie, ayant dû quitter leur pays dans des conditions dramatiques. La situation de la famille a été régularisée (sur la base de la loi du 22 décembre 1999) et elle est autorisée au séjour illimité. Il y a dès lors inscription au registre des étrangers depuis lors.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Huy qui, par jugement du 24 janvier 2003, a posé une question à la Cour d’arbitrage. Il y a été répondu par celle-ci dans un arrêt du 22 octobre 2003 (C. const., 22 octobre 2003, n° 138/2003), la Cour concluant à l’absence de violation des articles 10 et 11 de la Constitution pour ce qui est de la non application de la loi du 27 février 1987 aux étrangers ayant fait l’objet d’une décision ministérielle de régularisation.

Par un second jugement, en date du 25 juin 2010, le tribunal du travail accueille cependant la demande, considérant que la condition de nationalité ne pouvait être opposée à l’intéressée pour lui refuser le bénéfice des allocations.

Appel est interjeté par l’Etat belge.

Position des parties devant la cour

Pour l’Etat belge, l’intéressée ne répond pas aux conditions d’étranger bénéficiaire des allocations, n’étant pas inscrite au registre de la population. L’Etat belge renvoie aux arrêts plus récents de la Cour constitutionnelle (dont ceux du 11 janvier 2012, arrêt n° 3/2012 et du 9 août 2012, arrêt n° 108/2012). Il renvoie également à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne selon laquelle une personne dans le même cas que l’intéressée ne peut se prévaloir du statut de résident de longue durée, la régularisation médicale ne pouvant par ailleurs permettre d’obtenir un statut similaire aux bénéficiaires de la protection subsidiaire. L’Etat belge fait également valoir que l’assistance sociale accordée à ceux-ci peut être limitée, en vertu de la directive 2004/83/CE, l’intéressée bénéficiant ici de l’aide sociale du CPAS.

Quant à l’intimée, elle rappelle qu’elle vit en Belgique depuis 1999 avec toute sa famille et qu’elle bénéficie d’un droit au séjour illimité. Elle fait ainsi valoir des attaches très fortes ainsi que l’impossibilité de retour vers son pays d’origine. Elle considère que la position de l’Etat belge est discriminatoire et sollicite en conséquence l’écartement de la disposition litigieuse. Enfin, elle renvoie à la question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union européenne concernant les personnes régularisées pour raisons médicales (sa régularisation n’étant cependant pas intervenue dans le cadre de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980). Elle considère que, en cas de réponse affirmative de la C.J.U.E., il y aurait assimilation aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, situation tout à fait identique à son cas.

L’avis du ministère public

Pour le ministère public, la durée du séjour est un critère d’appréciation important, des considérations très fortes autorisant une différence de traitement sur la base de la nationalité. En l’espèce, l’intéressée est en Belgique depuis 1999, elle y recherche un emploi, elle a un enfant belge et, vu l’ensemble de ces éléments, il n’y a pas de considération très forte justifiant le refus des allocations.

Décision de la cour

La cour rappelle en premier lieu les dispositions pertinentes, étant l’article 1er de la loi du 27 janvier 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées, ainsi que son article 4 et l’arrêté d’exécution de cette disposition, à savoir l’arrêté royal du 17 juillet 2006.

La cour souligne qu’une des conditions mises par cet arrêté royal est d’être inscrit, s’il s’agit d’un étranger, au registre de la population, la cour précisant que cette hypothèse a été intégrée dans le texte par un arrêté royal du 9 février 2009 ayant un effet rétroactif au 12 décembre 2007, et ce eu égard à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 décembre 2007 (C. const., 12 décembre 2007, n° 153/2007).

La cour en vient ensuite à l’examen, d’abord, de l’éventuel caractère discriminatoire de la loi et de l’arrêté royal et ensuite, des dispositions de la directive 2004/83/CE du Conseil.

Il découle de l’article 14 CrEDH qu’une distinction est discriminatoire si elle manque de justifications objectives et raisonnables. Il faut dès lors rechercher si elle poursuit un but légitime et s’il y a un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et le but poursuivi.

En vertu de la jurisprudence tant de la Cour de cassation (Cass., 8 décembre 2008, R.G. n° S.07.0114.F) que des arrêts bien connus de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH, 16 septembre 1996, Gaugusuz c. Autriche ; CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c. France), seules des considérations très fortes peuvent fonder une différence de traitement sur la base de la nationalité.

Rappelant par ailleurs que le droit à une allocation sociale est couvert par l’article 1er, alinéa 1er du Premier Protocole additionnel à la CEDH, étant un droit patrimonial, la cour du travail renvoie à d’autres arrêts de la CrEDH ayant confirmé qu’il n’y a pas de violation de l’article 14 et de l’article 1er du fait de l’exclusion du bénéfice des allocations aux personnes handicapées des étrangers inscrits au registre des étrangers. La cour du travail rappelle que le lien de ces personnes avec la Belgique est considéré par le législateur comme moins important que pour celles inscrites au registre de la population et qu’il est en l’occurrence insuffisant pour justifier le bénéfice des prestations dans ce secteur. Tel est également la position de la Cour constitutionnelle dont la cour du travail rappelle les derniers arrêts des 9 août 2012 et 11 janvier 2012 (C. const., 9 août 2012, arrêt n° 108/2012 ; C. const., 11 janvier 2012, arrêt n° 3/2012).

Enfin, pour ce qui est de l’égalité de traitement avec les nationaux au sens où l’exige la directive 2004/83/CE, elle prévoit, en son article 28, que les Etats membres veillent à ce que les bénéficiaires du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire reçoivent la même assistance sociale nécessaire que celle prévue pour les ressortissants de l’Etat. L’assistance sociale peut être limitée aux prestations essentielles, s’agissant de prestations applicables aux nationaux et devant être servies au même niveau et selon les mêmes conditions d’accès.

Il y a dès lors lieu de vérifier en premier lieu si l’intéressée peut être considérée comme bénéficiaire de l’un ou l’autre de ces deux statuts, s’agissant, pour le statut de réfugié, de la reconnaissance par un Etat membre de la qualité de réfugié d’un Etat tiers (ou apatride) et, pour la protection subsidiaire, de la reconnaissance par un Etat de la possibilité pour un ressortissant d’un pays tiers (ou apatride) d’en bénéficier.

Or, l’intéressée n’a obtenu le droit au séjour sur la base d’aucun de ces deux fondements.

Sa régularisation de séjour étant intervenue pour des motifs médicaux, la cour examine alors si ceux-ci seraient susceptibles de la considérer comme bénéficiant du statut de la protection subsidiaire.

Renvoyant à des arrêts très récents de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE, 18 décembre 2014, CPAS d’Ottignies-Louvain-la-Neuve c. Abida, arrêt n° C-562/13 et CJUE, 18 décembre 2014, M’Bodj c. Etat belge, arrêt n° C-542/13), la cour conclut par la négative pour les demandes de régularisation sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980. Celle-ci n’entre en effet pas dans le champ d’application de la directive au cas où, vu l’existence d’une grave maladie, l’intéressé ne pourrait pas être éloigné vers un pays dans lequel les traitements adéquats n’existent pas (sauf privation de soins infligés intentionnellement). La cour considère qu’il en va d’autant plus ainsi pour les régularisations organisées par la loi du 22 décembre 1999, celle-ci ne visant pas spécifiquement les régularisations pour motifs médicaux.

La cour doit dès lors conclure qu’il n’y a aucun fondement légal permettant à l’intéressée de solliciter le bénéfice des prestations en cause.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler la question de la protection subsidiaire visée à l’article 28 de la directive 2004/83/CE. Cette directive impose des normales minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des Etats tiers ou les apatrides pour prétendre au statut de réfugié ainsi que les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale. En vertu de l’article 28 de la directive, les Etats membres doivent veiller à ce que les bénéficiaires du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire reçoivent la même assistance sociale nécessaire que celle prévue pour les nationaux. Une limitation peut cependant intervenir à concurrence des prestations essentielles pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire.

Dans un arrêt particulièrement motivé en date du 25 octobre 2013 (C. trav. Bruxelles, 25 octobre 2013, R.G. n° 2011/AB/932 – précédemment commenté), la cour du travail avait rappelé les directives européennes applicables à la matière, étant la directive 2004/83/CE ci-dessus ainsi que les directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 (fixant des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait de statut de réfugié dans les Etats membres ainsi que la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 (fixant des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres).

Elle avait également rappelé qu’une directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant de nouvelles normes devait faire l’objet de mesures de transposition pour la mi-2015. Ces dispositions vont dans le sens d’autoriser les demandeurs à rester sur le territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice d’un droit à un recours effectif contre les décisions prises par l’administration.

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles a donné lieu à l’arrêt dont référence rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne le 18 décembre 2014.

Celui-ci fera l’objet d’un commentaire ultérieur.


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