Terralaboris asbl

Les cotisations de sécurité sociale sont-elles dues en cas de renonciation à une prime de fin d’année ?

Commentaire de C. trav. Liège, div. Namur, 24 février 2015, R.G. 2014/AN/5

Mis en ligne le mercredi 13 mai 2015


Cour du travail de Liège, div. Namur, 24 février 2015, R.G. n° 2014/AN/5

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 24 février 2015, la Cour du travail de Liège, div. Namur, rappelle les conditions de débition des cotisations de sécurité sociale, étant que l’obligation de payer celles-ci n’est pas subordonnée au paiement effectif de la rémunération à laquelle le travailleur peut prétendre mais seulement à l’obligation de celle-ci.

Les faits

L’ONSS réclame des cotisations de sécurité sociale par deux procédures initiées devant le tribunal du travail de Namur en 2005. Il s’agit de cotisations relatives au 4e trimestre 1999, et à des trimestres ultérieurs.

La demande de l’ONSS est fondée sur le fait que la société visée, société de boulangerie occupant une vingtaine de travailleurs, avait obtenu depuis 1985 l’accord des ouvriers de ne pas leur verser les primes sectorielles annuelles, accord d’entreprise ayant d’ailleurs été signé chaque année, le dernier remontant à janvier 2001.

Un autre accord portait sur la non-adaptation des salaires aux barèmes sectoriels le non-paiement des primes de fin d’année, accord dont la contrepartie était le maintien du volume de l’emploi.

Un litige a cependant surgi, en 2004, à propos des cotisations sur les primes de fin d’année 1999, 2000 et 2001. Une régularisation d’office a été décidée par l’ONSS, d’où l’introduction de la procédure.

Décision du tribunal

Le Tribunal du travail de Namur a considéré, dans un jugement du 14 février 2013, que la demande (en réalité, deux affaires ayant été jointes) était non fondée. Il a considéré que la demande de l’Office n’était pas prescrite et a conclu que les cotisations de sécurité sociale n’étaient pas dues du fait du non-paiement des primes de fin d’année, consécutif aux renonciations en cause.

Position des parties devant la cour

L’ONSS, appelant, considère sa demande non prescrite, au motif que la prescription a été valablement interrompue.

Sur le fond, étant la renonciation par les travailleurs à leur droit à un avantage rémunératoire, il relève que le non-respect de conventions collectives fait l’objet de sanctions pénales ce qui peut dès lors conférer à celles-ci un caractère d’ordre public. Il fait également valoir que les renonciations ne lui sont pas opposables, les travailleurs ne pouvant renoncer qu’au net de leur rémunération.

L’Office considère que, étant un tiers au contrat et à la renonciation, il peut se prévaloir des critères de rémunération minimale tels que fixés dans les conventions collectives rendues obligatoires par arrêté royal.

Quant à la société, elle considère que la demande est prescrite pour partie et que le point de départ ne peut se situer au moment où l’Office aurait été informé de sa créance, à savoir en octobre 2004.

Pour la société, les travailleurs n’avaient pas droit à la rémunération puisqu’ils y ont renoncé et il ne peut davantage s’agir de paiements effectués en contrepartie du travail fourni puisque rien n’a été payé. En l’absence de paiement, aucune retenue ne devait intervenir en faveur de l’ONSS.

La société plaide encore que les renonciations sont valables, les travailleurs n’ayant par ailleurs pas été lésés vu l’engagement du maintien de l’emploi.

La société fait encore valoir des éléments plus subsidiaires, étant l’existence d’une possible différence de traitement entre employeurs selon que l’accord pris avec un travailleur porterait sur une augmentation ou une diminution de la rémunération et, encore, sur l’existence d’une faute dans la gestion de la procédure par l’Office.

Décision de la cour

Sur la prescription, la cour relève que la prescription à l’époque est de cinq ans, la modification légale (ramenant celle-ci à trois ans) n’étant entrée en vigueur que le 1er janvier 2009.

La cour examine ensuite les modes d’interruption ainsi que les actes interruptifs intervenus en l’espèce. Notamment, elle retient un courrier envoyé en janvier 2005, comme présentant cette qualité, vu qu’il contient une sommation explicite de payer les cotisations, que le montant de celles-ci est précisément établi, que le courrier est recommandé et qu’il mentionne expressément son effet interruptif de prescription.

La demande n’est dès lors pas prescrite.

Sur le fond, la cour doit examiner la problématique de primes de fin d’année auxquelles il a été renoncé, et ce eu égard aux droits de l’ONSS.

Elle rappelle une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation selon laquelle les primes de fin d’année allouées en exécution du contrat de travail sont des rémunérations entrant en compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale. En vertu de l’arrêté royal d’exécution de la loi du 27 juin 1969, arrêté royal du 28 novembre 1969, les cotisations sont exigibles à l’expiration du délai pour lequel elles sont dues en raison de l’occupation au cours de la période (art. 34), ce qui permet à la cour de souligner que celles-ci ne sont pas subordonnées au paiement de la rémunération mais seulement à l’obligation de cette rémunération. La cour renvoie encore à plusieurs décisions de la Cour suprême et notamment à un arrêt du 18 novembre 2002 (Cass., 18 novembre 2002, S.02.0006.N), qui a constaté que, même en cas de renonciation à une rémunération ou en cas d’accord du travailleur sur la réduction de celle-ci ou sur son non-paiement, les cotisations de sécurité sociale restent cependant dues.

La rémunération étant due en vertu d’une disposition impérative, l’obligation de payer les cotisations sociales sur celle-ci ne peut être écartée par un accord du travailleur ou d’une renonciation de celui-ci au paiement.

La cour examine ensuite longuement, la question de la prime de fin d’année dans le secteur concerné, concluant au caractère impératif de la disposition qui en fixe le droit. Il ne peut, en conséquence, être renoncé par les travailleurs au paiement de ces primes qu’après que le droit a été acquis, c’est-à-dire après la date prévue pour le paiement. En l’espèce, aucune renonciation valable n’est produite (les renonciations intervenues étant antérieures à la date du paiement). Pour une partie (années 1999 et 2000), la cour constate que les renonciations étaient cependant postérieures mais ceci ne modifie pas la conclusion à tirer, non plus que les contreparties intervenues sur le plan collectif.

Les cotisations sont dès lors dues et la cour considère qu’il y a lieu de réformer le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question, essentiellement l’arrêt du 18 novembre 2002 (Cass., 18 novembre 2002, n° S.02.0006.N). La Cour suprême avait posé le principe qu’en vertu de l’article 34 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, les cotisations sont exigibles à l’expiration du délai pour lequel elles sont dues en raison de l’occupation au cours de cette période, ceci signifiant qu’il y a obligation de les payer indépendamment du paiement effectif de la rémunération à laquelle le travailleur peut prétendre. En l’espèce, un travailleur avait renoncé individuellement à une prime de fin d’année et la Cour de cassation avait considéré que, si la rémunération est effectivement due en vertu du contrat de travail et qu’un travailleur ne prétend plus à celle-ci ou qu’il convient avec son employeur de sa réduction ou encore de son non-paiement, ceci n’empêche pas que les cotisations de sécurité sociale sont dues.


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