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La requalification de revenus locatifs en rémunérations d’administrateur implique-t-elle automatiquement l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 février 2015, R.G. 2014/AB/257

Mis en ligne le lundi 18 mai 2015


Cour du travail de Bruxelles, 13 février 2015, R.G. 2014/AB/257

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 février 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en cas de requalification de revenus et avantages locatifs en rémunérations d’administrateur, il y a lieu d’appliquer la présomption fiscale permettant de déterminer ou non l’obligation d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants mais que celle-ci est réfragable et que les juridictions sociales conservent leur pouvoir d’appréciation.

Les faits

Un agent d’assurances est affilié à une caisse d’assurances sociales depuis 1980.

Il devient administrateur (et ensuite administrateur-délégué) d’une S.A. et est également actionnaire et/ou mandataire de trois autres sociétés.

Divers changements interviennent au sein de celles-ci au fil du temps. Dans le courant de l’année 2000, il possède avec son épouse l’entièreté des parts sociales d’une SPRL et est actionnaire principal et administrateur-délégué d’une S.A.

Suite à sa démission de son mandat de gérant de la SPRL, il notifie à la caisse d’assurances sociales la cessation de son activité d’indépendant à la fin de l’année 2000. Il démissionne également de son mandat dans la S.A., étant remplacé par son épouse. Il a encore, pendant cette année 2001, un mandat au sein d’une autre S.A.

Reprenant les fonctions de gérant de la SPRL en 2002, il se ré-affilie à une caisse d’assurances sociales.

L’administration fiscale l’informe dans le courant de l’année 2003 de la requalification de revenus locatifs en rémunérations d’administrateur, et ce en application de l’article 32 du CIR 92. La situation est dès lors corrigée pour l’année 2001. En conséquence, des cotisations sociales lui sont réclamées pour celle-ci, les cotisations de l’année 2002 étant influencées par ce réexamen, n’étant plus des cotisations de début d’activité.

Un avis de régularisation est dès lors transmis, avis que l’intéressé conteste.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Bruxelles contre l’intéressé, ainsi que la SPRL et les deux S.A. dans lesquelles il avait un mandat.

Par jugement du 24 juin 2013, le tribunal du travail fixe le montant des cotisations à 15.000€ (au lieu des 27.800€ réclamés).

La caisse interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les obligations d’assujettissement au statut social, étant que la définition du travailleur indépendant est un critère « sociologique », qu’existe une présomption fiscale et que les mandataires de société ont une situation particulière, de même que les associés actifs.

La définition sociologique du travailleur indépendant est qu’il doit exercer une activité professionnelle dans un but de lucre (l’existence ou non de revenus étant sans incidence) et que cette activité doit avoir un caractère habituel. Ces critères ont été définis en jurisprudence et la cour rappelle certaines décisions à cet égard (dont Cass., 2 juin 1980, n° 5967).

La présomption fiscale implique que, si une personne est taxée comme indépendant, elle est présumée devoir être assujettie au statut social. Cette présomption est réfragable.

Le mandataire de société peut également renverser la présomption qui le vise particulièrement, étant qu’il peut prouver que l’activité de gérant n’est pas habituelle ou qu’elle n’est pas exercée dans un but de lucre.

Enfin, la cour rappelle la définition de l’associé actif, étant qu’il s’agit de la personne qui dans une société de personnes à responsabilité limitée y exerce une activité dans le but de faire fructifier le capital qui lui appartient en partie. Il est également considéré comme travailleur indépendant, contrairement à l’associé non actif.

Ce rappel des principes étant effectué, la cour entreprend de vérifier l’obligation d’assujettissement pendant l’année 2001, étant celle qui a fait l’objet de la correction fiscale. Elle procède dès lors à l’examen des critères ci-dessus, étant qu’elle constate en premier lieu les démissions de mandat des diverses sociétés anonymes, démissions régulières, ayant fait l’objet d’une publication au Moniteur Belge. L’intéressé en a cependant conservé un et la cour constate qu’il était gratuit et que, avant la requalification des revenus locatifs perçus, aucun revenu n’avait été attribué.

Ce n’est dès lors pas la qualité de mandataire de société qui peut justifier l’assujettissement pour cette année.

La présomption fiscale est cependant d’application, puisque l’administration fiscale (contrôle des sociétés) a requalifié une partie des loyers perçus en revenus professionnels, dans la mesure où ils dépassaient le montant fixé par l’article 32 du CIR 92. Examinant cette présomption fiscale, réfragable, la cour constate cependant que l’intéressé n’exerçait plus de mandat au sein de la société en cause et qu’en soi le fait de percevoir des loyers ne constitue pas l’exercice d’une activité indépendante. La cour s’interroge par ailleurs sur la régularité de la requalification des revenus locatifs en revenus professionnels, dans la mesure où le CIR prévoit cette possibilité pour les personnes qui exercent un mandat d’administrateur, de gérant, de liquidateur ou des fonctions analogues. Or, l’intéressé n’avait plus aucune de ces qualités.

La présomption fiscale ne permet dès lors pas de retenir l’assujettissement pour cette année.

La cour écarte ici la jurisprudence de la Cour de cassation invoquée par la caisse, selon laquelle les juridictions du travail seraient liées par une décision fiscale. Dans un arrêt du 22 octobre 2007 (Cass., 22 octobre 2007, n° S.06.0005.F), la Cour de cassation a en effet posé ce principe mais la cour souligne que cette jurisprudence n’est pas transposable à la question de l’obligation d’assujettissement au statut social de travailleurs indépendants au sens de l’article 3 de l’arrêté royal n° 38. Cette disposition pose le principe de l’existence d’une présomption fiscale réfragable et la cour souligne encore le fait que celle-ci perdrait ce caractère si la juridiction du travail ne pouvait s’écarter de la qualification donnée par le fisc.

Reste encore à examiner le dernier cas de figure, étant de savoir si l’intéressé pourrait être assujetti du fait de sa qualité d’associé actif. La cour examine sa situation dans chacune des sociétés et constate que dans l’une il n’est pas démontré l’existence d’une activité destinée à faire fructifier le capital investi et que dans une autre le fait qu’il aurait continué à y être actif. Dans la dernière, la cour relève qu’il n’en n’était pas associé et qu’aucun élément ne permet de retenir l’exercice d’une activité régulière.

L’assujettissement ne se justifiait dès lors pas et la cour décide de la réformation du jugement pour l’année 2001.

Elle examine encore la situation à partir de l’année 2002 et, sur la base d’éléments factuels, retient qu’il y avait statut d’associé actif et que les cotisations doivent être considérées comme des cotisations de début d’activité.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles règle une question intéressante, étant de déterminer si l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants peut être réexaminé malgré l’absence de contestation de la requalification fiscale de revenus locatifs.

L’article 32 du CIR 92 prévoit en effet la requalification de loyers ainsi que d’avantages locatifs en rémunérations d’administrateur dans la mesure où ils excèdent les cinq tiers du revenu cadastral revalorisé en fonction d’un coefficient déterminé. Ainsi que la cour le relève judicieusement, cette requalification vise l’hypothèse où un administrateur d’une société donne un bien immobilier bâti en location à celle-ci.

Malgré la revision intervenue sur le plan fiscal et la requalification des revenus, la cour rappelle qu’elle est liée par les critères du droit social et – après avoir procédé à un examen minutieux de chaque hypothèse susceptible de donner lieu à l’assujettissement – conclut que la présomption fiscale n’est en l’occurrence pas renversée.


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