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Une insubordination, consistant à ne pas respecter certaines règles imposées par l’employeur, peut-elle être un motif grave ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 avril 2015, R.G. 2015/AB/86

Mis en ligne le mercredi 1er juillet 2015


Cour du travail de Bruxelles, 2 avril 2015, R.G. 2015/AB/86

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 2 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’il y a lieu de faire du motif grave une appréciation nuancée, une insubordination – même avérée – pouvant ne pas avoir le caractère de gravité requis pour rendre immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations contractuelles.

Les faits

Un employé d’une compagnie d’assurances occupant la fonction de gestionnaire sinistres auto et ayant par ailleurs une protection contre le licenciement au sens de la loi du 19 mars 1991 (représentant du personnel) fait l’objet d’une procédure en demande d’autorisation de licenciement pour motif grave. Il a une ancienneté qui remonte à 1977.

Il est parallèlement titulaire d’un portefeuille d’assurances, cette activité devant, selon les règles déontologiques admises par les parties, rester accessoire par rapport aux fonctions remplies au sein de la compagnie. Des conditions particulières sont également à respecter en ce qui concerne les contrats souscrits.

Cette activité semble s’être considérablement développée au fil du temps et, à deux reprises, par le passé, il a été fait état de la nécessité d’en limiter l’ampleur eu égard aux obligations contractuelles. Un resserrement des instructions intervint à la mi-2010 avec cet objectif et, les deux années qui suivirent, l’intéressé fit l’objet d’évaluations négatives quant à la qualité de son travail. Il reçut, enfin, un avertissement en avril 2013. Celui-ci se clôturait par une « tolérance zéro » pour la gestion des activités propres d’assurances qui viendraient interférer avec le contrat.

La situation sembla s’améliorer dans le courant de l’année 2014. Une procédure fut cependant entamée en demande de reconnaissance d’un motif grave au mois de novembre.

Le jugement du tribunal, rendu le 14 janvier 2015, n’a pas autorisé le licenciement.

Appel est interjeté par la société.

La décision de la cour

La cour reprend assez longuement les principes relatifs au licenciement pour motif grave d’un travailleur protégé, relevant qu’il n’est ici pas dérogé au droit commun pour ce qui est de la définition du motif non plus que de la charge de la preuve.

La cour donne ensuite des précisions en ce qui concerne la procédure et, particulièrement, le délai pour entamer celle-ci, au sens de la loi du 19 avril 1991, renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 7 décembre 1998, n° S.97.0166.F) concernant le délai pour demander en justice la reconnaissance du motif : celui-ci prend cours au moment où le fait litigieux est parvenu à la connaissance de la personne qui a le pouvoir de rompre le contrat.

Elle souligne, ensuite, les spécificités du formalisme dans ce type de procédure, étant qu’il doit être fait mention, dans les lettres recommandées par lesquelles l’employeur informe le travailleur protégé et l’organisation syndicale, de tous les faits dont il estime qu’ils rendraient la collaboration professionnelle définitivement impossible. La citation également doit mentionner le motif grave justifiant la demande et les faits ne peuvent être différents de ceux qui ont été notifiés dans les lettres recommandées. En outre, aucun motif nouveau ne peut être soumis au tribunal.

En l’espèce, de nombreux griefs sont faits à l’employé, tant sur le plan déontologique (une convention ayant été signée pour les questions de gestion du portefeuille personnel d’assurances) que sur le non-respect des règles en matière de durée du travail et d’horaire. La société reproche encore l’exercice d’une activité complémentaire pendant une période d’incapacité de travail (ayant précédé de quelques semaines l’intentement de la procédure), ainsi que l’exercice d’une activité complémentaire pendant les heures de travail, impliquant l’abus de matériel appartenant à l’employeur.

La cour passe successivement en revue les points à vérifier sur le plan de la procédure, constatant en premier lieu que le délai pour entamer celle-ci a été respecté par l’employeur.

Elle s’attache, beaucoup plus longuement, à la question de savoir s’il y a en l’espèce une insubordination, le comportement fautif reproché étant d’avoir persisté, malgré une interdiction formelle et répétée, à effectuer cette activité pendant les heures de travail et avec du matériel de l’employeur.

La cour remonte le fil du temps, les premières difficultés à cet égard datant de l’année 2006.

Elle examine ensuite si l’intéressé était tenu de respecter l’interdiction totale d’utiliser son temps de travail et le matériel de l’entreprise à des fins privées. Elle conclut par l’affirmative et se demande, ensuite, s’il y a eu non-respect des instructions données et, par conséquent, faute.

Il s’agit essentiellement, via les éléments transmis par le service fraude de l’entreprise, de vérifier si l’intéressé a exercé l’activité en cause.

Il s’avère qu’il a envoyé quotidiennement des courriels vers son adresse personnelle. Il précise que la raison en est que les mails en question sont en provenance des services commerciaux de la compagnie d’assurances elle-même et qu’il les dirige vers son adresse personnelle en vue de les traiter ultérieurement.

Pour la cour, l’employeur est tenu d’établir qu’il y a du travail effectué par l’employé dans le cadre de son activité personnelle, et l’envoi de ces seuls mails ne peut constituer une telle preuve. Seuls échappent au type de mails identifiés ci-dessus deux brefs messages envoyés pour toute la période (deux mois). Pour la cour, il est établi qu’une bonne partie de ces courriels proviennent donc de l’employeur et elle conclut qu’il est pour le moins contradictoire d’adresser ceux-ci dans le cadre de l’activité personnelle de l’intéressé sur son adresse électronique professionnelle et, ensuite, de lui faire le grief d’avoir pris le temps de les transférer vers son adresse personnelle.

La cour fait cependant grief à l’employé de ne pas avoir effectué ces transferts pendant sa pause de midi, aux fins de ne pas empiéter sur son temps de travail. Il a ainsi commis une faute, étant qu’il n’a pas respecté les instructions claires qui ont été données. Le même grief est fait pour le scannage de documents et l’envoi de quelques courriels isolés.

Il y a insubordination, mais il y a lieu d’en apprécier la gravité. Pour la cour, il n’y a pas motif grave, c’est-à-dire faute rendant immédiatement et définitivement impossible la poursuite de la relation contractuelle. Un élément intervenant dans cette appréciation est le caractère peu important du temps de travail consacré à ces envois, temps que la cour fixe à quelques minutes par jour.

Intérêt de la décision

Outre les spécificités procédurales relatives à la demande d’autorisation de licenciement d’un travailleur protégé pour motif grave, question éminemment délicate pour les plaideurs, la cour rappelle un principe concernant la définition du motif grave lui-même, étant qu’il ne se distingue en rien de celui défini à l’article 35, alinéa 2 de la loi du 3 juillet 1978.

Après s’être livrée à un minutieux examen des éléments de fait, la cour a dès lors en l’espèce rappelé que, si une faute est établie, elle n’est pas nécessairement de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible la poursuite de la relation professionnelle.

Pour ce, elle s’est d’abord attachée à rechercher si l’intéressé avait d’une manière ou d’une autre contrevenu à des instructions qui avaient été données. C’est dans une dernière étape de son analyse qu’elle se livre à l’appréciation de la gravité de la faute ainsi avérée, et ce tenant compte de son incidence sur le respect ou non par le travailleur de ses obligations contractuelles. Il n’a, dans la réalisation de ce manquement, que très peu soustrait de son temps de travail à ses obligations professionnelles. Ce critère peut cependant ne pas toujours suffire. Il est ici apprécié eu égard à la circonstance que c’est l’employeur lui-même qui avait en grande partie contribué à la chose.


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