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Notion de même employeur : critères à prendre en compte

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 mai 2015, R.G. 2013/AB/703

Mis en ligne le vendredi 17 juillet 2015


Cour du travail de Bruxelles, 20 mai 2015, R.G. 2013/AB/703

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 mai 2015, la Cour du travail de Bruxelles examine la notion de même employeur au regard du critère de l’ancienneté à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité compensatoire de préavis, soulignant que, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il faut entendre par là l’unité économique d’exploitation que constitue l’entreprise, sans égard à la modification éventuelle de sa nature juridique.

Les faits

Une pharmacienne est engagée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en 2005, le contrat étant assorti d’une clause d’essai. Le siège social de la société employeur est situé dans la région de Charleroi et l’intéressée preste à Bruxelles, dans deux pharmacies distinctes.

Elle bénéficie en 2009 d’un congé parental, suite à la naissance d’un second enfant. Un mois avant l’expiration de celui-ci, une convention de rupture d’un commun accord est signée, celle-ci devant produire ses effets 4 semaines après la fin de la période couverte par ledit congé. Les 4 semaines suivantes correspondent aux vacances annuelles. En même temps, un autre contrat de travail est signé avec une autre société, représentée par le même gérant que dans le cadre du contrat de travail précédent, étant un contrat à temps partiel, pour des fonctions de « pharmacienne titulaire ». Une reprise de l’ancienneté est reconnue et une nouvelle clause d’essai de 6 mois est insérée.

Après la reprise d’activité dans le cadre de ce contrat, l’intéressée tombe en incapacité de travail 3 semaines plus tard pour une période de 15 jours. La société rompt alors le contrat, moyennant préavis de 7 jours, faisant valoir sur le document C4 qu’elle ne conviendrait pas « en période d’essai ». Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui, par jugement du 11 mars 2013, fait droit à une grande partie de la demande, essentiellement l’indemnité compensatoire de préavis, le tribunal admettant que les deux sociétés devaient être considérées comme un même employeur. Le tribunal fait également droit à la demande de paiement de l’indemnité de protection relative au congé parental.

La société interjette appel, contestant qu’il s’est agi d’un même employeur, les deux sociétés étant juridiquement et économiquement distinctes (sièges sociaux, dénomination, forme juridique, numéro O.N.S.S., siège d’exploitation et conseil d’administration distincts). Elle considère en outre que la clause d’essai est valable, s’agissant d’une autre fonction.

La décision de la cour

La cour se penche longuement sur la notion de même employeur, définie dans la jurisprudence de la Cour de cassation comme l’unité économique d’exploitation constituée par l’entreprise, et ce sans égard à la modification éventuelle de sa nature juridique. La cour reprend sur la question un très long extrait d’un arrêt du 29 juin 2012 (C. trav. Brux., 29 juin 2012, R.G 2010/AB/1.026), qui a notamment souligné que l’activité économique ne doit pas nécessairement être exercée dans un but de lucre, la notion pouvant être appliquée à des A.S.B.L., des personnes morales de droit public, etc.

La cour en conclut, sur la base d’une série d’éléments, qu’il y a en l’espèce même employeur. Elle se fonde sur la circonstance que les sièges sociaux étaient identiques lors de la création des deux sociétés, que l’administrateur-fondateur-gérant est la même personne et que d’autres gérants ou administrateurs-gérants exercent légalement et en fait la direction des deux sociétés. Elle retient encore que les activités sont identiques, le début de l’activité étant d’ailleurs situé au même moment.

Il y a dès lors exercice par les deux sociétés de la même activité économique, sous la direction réelle de la même personne.

La cour en vient ensuite à l’examen de la clause d’essai et conclut, comme le premier juge, qu’elle est nulle, la seule circonstance que l’intéressée ait bénéficié d’une promotion ne pouvant justifier celle-ci.

Elle alloue, en conséquence, une indemnité compensatoire de préavis complémentaire.

Enfin, elle reprend l’examen du chef de demande relatif à l’indemnité de protection prévue à l’article 15 de la C.C.T. n° 64 du 29 avril 1997 instituant un droit au congé parental. En vertu de cette disposition, la charge de la preuve des motifs étrangers au congé parental repose sur l’employeur.

Dans la mesure où il y avait en l’espèce même employeur, la cour retient que la période de protection a débuté auprès de la première société et s’est poursuivie sans discontinuer à l’égard de la seconde. Le licenciement intervenu quelques semaines après la signature du second contrat se situait pendant cette période et l’employeur doit dès lors prouver des motifs dont la nature et l’origine sont étrangers au congé parental.

Examinant les éléments de l’espèce, la cour constate qu’aucun fait précis n’est prouvé venant démontrer des erreurs professionnelles pendant cette courte période, ou encore une absence injustifiée.

La décision du tribunal est dès lors confirmée sur le droit pour l’intéressée de bénéficier de cette protection spéciale.

Intérêt de la décision

Si cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles règle en premier lieu une question bientôt destinée à disparaître, étant relative à la clause d’essai, ici touchant la validité d’une clause apportée dans un deuxième contrat succédant immédiatement à un contrat précédent, les éléments dégagés par la cour dans la définition du même employeur sont très intéressants. Après avoir longuement rappelé la jurisprudence de sa propre cour, elle-même renvoyant à divers arrêts de la Cour de cassation, la cour du travail souligne que peuvent être considérées comme un même employeur, notamment, deux sociétés ayant les mêmes gérants lorsque la plus grande partie des parts sociales des deux sociétés sont dans les mains des mêmes personnes et lorsqu’elles ont le même objet social. De même, l’occupation simultanée d’un travailleur par deux sociétés ayant un nom commercial commun, une activité identique, un même papier à en-tête mentionnant les deux sièges d’exploitation, ainsi que le même actionnariat familial, circonstances auxquelles il y a lieu d’ajouter en l’espèce l’identité des fonctions exercées et les prestations régulières sur un site ou l’autre des sociétés, selon les nécessités de l’entreprise.

C’est en réalité un ensemble convergent d’éléments de ce type qui permettent au juge de dire si l’on est en présence d’une même entreprise.

Enfin, la partie de l’arrêt relative à l’examen de la protection contre le licenciement présente un autre intérêt plus spécifique, étant le rappel de la charge de la preuve du motif étranger dans sa nature et dans son origine. A cet égard, l’on retiendra également que, la cour ayant retenu une unité d’employeur dans le chef des deux sociétés, la période de protection (unique) devait s’étaler sur une période correspondant à chacune d’entre elles, la première pour la date de départ et la seconde pour la date de fin.


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