Terralaboris asbl

Enfant suivant des cours hors du royaume

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 septembre 2007, R.G. 48.948

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 26 septembre 2007, R.G. n° 48.948

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 26 septembre 2007, la Cour du travail de Bruxelles a défini ce qu’il faut entendre par « enfant élevé en dehors du royaume » : ce critère s’apprécie à l’aune du maintien de l’autorité des parents sur leur enfant durant ses études à l’étranger. Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles statue comme juridiction de renvoi suite à un arrêt de la Cour de cassation du 19 septembre 2005.

Objet du litige

Les parents d’un enfant mineur avaient introduit un recours devant le tribunal du travail de Liège contre une décision de la Caisse d’allocations poursuivant la restitution d’un indu. Il s’agissait des allocations familiales versées pour leur fils pendant la période de septembre 1996 à août 1997, à concurrence du montant excédant celui fixé par la convention belgo- turque sur la sécurité sociale du 4 juillet 1996. Par ailleurs, ce recours visait le montant prévu par ladite convention.

La Caisse introduisit une demande reconventionnelle tendant au remboursement du montant payé pendant la période antérieure au 17 septembre 1997, et ce pour la partie du montant excédant celui autorisé par la convention belgo-turque. Pour la Caisse, il y avait accord du Ministre de la Prévoyance sociale sur la dispense de la condition de résidence en Belgique, chose dès lors admise mais celle-ci considérait ne devoir intervenir qu’à concurrence d’un montant limité.

Le tribunal du travail de Liège statua par jugement du 6 juin 2003, admettant les allocations au taux majoré et non pas au taux limité par la convention en cause et débouta, par ailleurs, la Caisse de sa demande reconventionnelle, et ce pour la première période du 1er septembre 1996 au 31 août 1997. Pour la période ultérieure, il rendit un 2e jugement le 9 janvier 2004, déclarant l’action des parents fondée et déboutant également la Caisse de la demande reconventionnelle.

La situation fut modifiée par un arrêt du 21 septembre 2004 de la Cour du travail de Liège, qui réforma les deux jugements et fit droit à l’action reconventionnelle de la Caisse. Un pourvoi fut dès lors un introduit par les parents et celui-ci donna lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 septembre 2005 (RG S.040.0186.F). Dans cet arrêt, la Cour suprême rappela qu’aux termes de l’article 52 alinéa 1er des lois relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, dans sa version antérieure à sa modification par l’article 17 de la loi du 25 janvier 1999 portant des dispositions sociales, les allocations familiales ne sont pas dues en faveur des enfants élevés hors du royaume. Pour l’application de cette disposition, la circonstance que l’enfant suit des cours à l’étranger n’implique cependant pas, à elle seule, qu’il est élevé hors du royaume. Ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 25 janvier 1999 que l’article 52 alinéa 1er a été modifié et dispose que les allocations familiales ne sont pas dues en faveur des enfants qui sont élevés ou qui suivent des cours hors du royaume. La période litigieuse s’étendant du 1er septembre 1996 au 31 août 1999, la Cour de cassation va casser l’arrêt de la Cour du travail de Liège dans la mesure où il se borne à constater que l’enfant a suivi des cours en Turquie depuis septembre 1996, pour en déduire, sans autre précision, qu’il n’avait dès lors en principe pas droit aux allocations familiales durant la période concernée.

La position de la Cour du Travail

La Cour reprend les thèses des parties étant, pour les parents, que, leur fils avait effectivement fait des études religieuses en Turquie, de manière telle qu’ils avaient droit aux allocations familiales au taux prévu par la loi jusqu’au 6 février 1999 et, pour l’appelante, essentiellement un argument d’irrecevabilité, étant que la demande ne reposait ni sur le même objet, ni sur la même cause que ceux formulés dans l’acte introductif d’instance.

Après avoir repris les principaux attendus de l’arrêt de la Cour de cassation, la Cour du travail va examiner si l’enfant était dans les conditions pour que ses parents puissent bénéficier des allocations familiales.

En ce qui concerne la demande elle-même, la Cour va logiquement considérer que même si les parents avaient précédemment entendu rencontrer les moyens de la Caisse sur la justification de la limitation alléguée des allocations et la récupération d’une partie de celles-ci, ce qui était en réalité poursuivi était précisément la reconnaissance du droit pour leur fils aux allocations familiales. Dès lors, à supposer même que l’objet de la demande ait été modifié, ceci ne pourrait, selon la Cour, avoir aucune conséquence en ce qui concerne la recevabilité de la demande, et la Cour du travail de rappeler la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur la conception factuelle et non plus juridique de la demande (Cass., 23 oct. 2006, RG S.050010.F). La Cour rappelle que le demandeur peut donc modifier le fondement de la nature de son action sans que cette modification formelle ne donne naissance à une « demande nouvelle ». En outre, la Cour rappelle les termes de l’article 807 du C.J. qui permet, tant en première instance qu’en degré d’appel, l’extension ou la modification de la demande, dans la mesure où celle-ci est fondée sur un acte ou un fait invoqué dans la citation, même si la qualification juridique est différente. Sur cette question, elle rappelle également la jurisprudence de la Cour de cassation qui a établi que cet article n’exige pas que la demande nouvelle se fonde exclusivement sur des faits invoqués dans le dit acte introductif (Cass., 6 juin 2005, Larcier cassation, 2005, p. 182). Le juge du fond doit par ailleurs statuer en tenant compte des faits qui se sont produits ultérieurement et qui exercent une influence sur la contestation. Il faut dès lors, pour la Cour du travail, examiner si dans les faits, l’enfant a ou non été élevé en dehors du royaume.

Pour arriver à la conclusion qu’il ne l’a pas été, la Cour va constater, d’après les éléments du dossier, qu’il est resté sous l’autorité de ses parents durant ses études religieuses, et ce pour la période de septembre 1996 à février 1999. Elle va ordonner la réouverture des débats afin que les parties s’expliquent mieux qu’elles ne l’avaient fait sur la période postérieure.

Intérêt de la décision

Outre un important rappel relatif à la formulation de la demande et à l’examen auquel le juge doit procéder, vu les principes dégagés par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts, la Cour est ici amenée à rappeler la modification légale intervenue dans le cadre de la loi du 25 janvier 1999 portant des dispositions sociales, étant que le texte actuel de l’article 52 alinéa 1er de la loi coordonnée du 19 décembre 1939 vise actuellement les conditions d’octroi d’allocations familiales pour les enfants ne remplissant pas les conditions de résidence en Belgique, parce qu’ils sont élevés ou suivent des cours hors du royaume.


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