Terralaboris asbl

Vie en maison communautaire et taux des allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 avril 2015, R.G. 2014/AB/784

Mis en ligne le lundi 21 septembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 2 avril 2015, R.G. n° 2014/AB/784

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 2 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, en matière de chômage, le fait de régler principalement en commun les questions ménagères implique un aspect économique (des achats communs), un élément intentionnel (la volonté de mettre en commun tout ou partie de son patrimoine avec une certaine idée de solidarité) et une certaine permanence. Le fait de vivre dans un appartement communautaire, de payer une quote-part pour le loyer et les charges ainsi que de partager certaines pièces utilitaires et certains achats ne suffit pas nécessairement à constater l’existence d’une cohabitation.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage vit, avec une dizaine de personnes, dans une maison communautaire. Des espaces sont communs aux occupants et la vie communautaire est organisée en vue du partage de tâches déterminées.

L’intéressé, qui bénéficie d’allocations de chômage au taux isolé, se voit notifier une décision de l’ONEm selon laquelle il doit être considéré comme cohabitant. La motivation de la décision est que, en vertu du contrat de bail, il apparaît que certains espaces sont partagés, étant la cuisine, le living, la salle à manger et le jardin, que des tours de rôle sont organisés en ce qui concerne l’entretien des locaux et que le coût du loyer fait l’objet d’un paiement globalisé.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Louvain, qui le rejette par jugement du 30 juin 2014.

Appel est interjeté par l’intéressé.

Position des parties devant la cour

L’appelant fait valoir que le fait de vivre dans une maison communautaire n’implique pas nécessairement un projet de vie commun, d’autant que chaque occupant est indépendant sur le plan économique et n’est pas impliqué dans les frais et charges des autres colocataires. Il considère que l’existence d’un ménage commun est une condition essentielle de la cohabitation et que le partage de locaux communs et de certaines tâches ménagères ne suffit pas.

Quant à l’ONEm, il demande confirmation du jugement, se fondant sur la jurisprudence selon laquelle il appartient au chômeur d’établir qu’il a la qualité d’isolé. L’Office considère que lorsqu’il y a vie sous le même toit, le chômeur doit prouver qu’il n’y a pas de partage de charges. Vivre en commun implique indéniablement des avantages matériels, vu la vie sous le même toit, étant que des économies sont notamment réalisées du fait d’achats groupés et d’éléments d’ordre ménager.

Position de la cour du travail

La cour se livre à une longue analyse de la question, essentiellement en droit.

Elle rappelle l’article 110 de l’arrêté royal, qui fixe les différentes catégories de bénéficiaires d’allocations, ainsi que l’article 59 de l’arrêté ministériel, qui définit la cohabitation. Il s’agit de la situation où deux personnes (ou plus) vivent sous le même toit et règlent principalement en commun les questions ménagères.

Vivre ensemble sous le même toit ne suffit dès lors pas. Il y a deux conditions cumulatives, la cour renvoyant à la doctrine et soulignant que la notion de cohabitation est identique en revenu d’intégration sociale et en chômage, de telle sorte qu’il peut invariablement être renvoyé à la jurisprudence et à la doctrine dans les deux matières (M. BONHEURE, « Réflexions sur la notion de cohabitation », J.T.T. 2000, p. 490-492 ; G. MAES, « Kloosterlingen in de leefloonwet », N.J.W. 2005, p. 257).

La cour examine encore une question parlementaire, à laquelle l’appelant s’était référé.

Elle en tire comme enseignement que le fait de partager certaines pièces, dans une même habitation (living, salle de bain, cuisine, éventuellement jardin par exemple), est un critère permettant de déterminer si la condition de « vivre sous le même toit » est remplie.

Le fait pour le chômeur de faire une économie d’échelle suite à la cohabitation n’est pas suffisant pour que les conditions de l’article 59 de l’arrêté ministériel soient remplies, la cour se demandant pourquoi la réglementation sanctionnerait par une réduction de l’allocation de chômage le chômeur dont le lieu de vie consiste en une petite chambre dans une habitation, où il pourrait également bénéficier d’espaces communs qu’il partage avec d’autres cooccupants.

Pour la cour, il faut étudier le sens de la notion de « questions ménagères ». Elle souligne que celle-ci est moins évidente et aboutit à plusieurs interprétations, une question essentielle étant de savoir si la seule économie sur le plan financier suffit ou si est exigée, au-delà de celle-ci, une mise en commun (totale ou partielle) d’un patrimoine, ainsi que l’expression d’une certaine solidarité.

Cette question a également été abordée en doctrine et la cour y renvoie (J.-F. FUNCK, « La situation familiale du chômeur : ses effets sur le droit aux allocations de chômage et sur leur montant » in J.F. NEVEN et St. GILSON, la réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer 2011, p. 216, 217).

Se pose également la question de l’exigence de la durée.

Le ministre de l’emploi avait, sur ces questions, répondu à une question parlementaire en précisant qu’il faut distinguer s’il y a autonomie ou cohabitation, soulignant également que la différence est subtile, dépendant de ce qui est partagé (Doc. Senat, 2010-2011, 5-75 COM, Commission des affaires sociales, 31 mai 2011).

La cour va opter ici pour l’absence de cohabitation au sens de la réglementation.

Sa conclusion se fonde sur le fait qu’un contrat de bail individuel relatif à une chambre a été conclu pour une durée d’un an, que le prix du loyer est fixé individuellement (celui-ci dépendant de l’importance des espaces loués), que des provisions sont également prévues pour les consommations d’énergie et que la location couvre le mobilier, les sanitaires, les espaces communautaires, etc.

Au-delà de ces éléments, chaque locataire est autonome sur le plan financier et est d’ailleurs responsable de l’entretien de son espace privatif.

La cour reprend les éléments ayant fait l’objet de mise en commun sur le plan des charges (certains achats) ainsi que des tâches communes (entretien). Elle en conclut qu’il n’y a pas assez d’éléments pour permettre de retenir une cohabitation au sens réglementaire, étant des points permettant de retenir qu’existe entre les occupants une certaine solidarité (budget commun, prise en commun des repas), relevant en outre le caractère limité des achats groupés.

La mise en commun des questions ménagères est donc considérée comme étant restreinte.

Intérêt de la décision

Cet arrêt très nuancé et très documenté de la Cour du travail de Bruxelles procède d’une juste application de la réglementation. Il n’est en effet pas exact de retenir que toute cohabitation physique et matérielle implique une réduction de l’allocation de chômage au taux cohabitant. Il convient de distinguer, au cas par cas, l’étendue de la mise en commun des principales questions ménagères. Il s’agira, en fin de compte, d’une appréciation de pur fait dont la cour a relevé dans cet arrêt la difficulté.

Relevons encore que dans le cas d’espèce la cour a souligné que chacun est responsable de sa partie privative, qu’il n’y a pas mise en commun des frigos, ceux-ci étant soit privatifs soit à usage limité (chacun ayant un compartiment) et qu’il n’y a pas de volonté dans le chef des locataires de partager d’autres frais que ceux visés ci-dessus.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be