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Article 8 de la C.E.D.H. et droit à l’aide sociale

Commentaire de C. trav. Liège, 8 mai 2015, R.G. 2014/AL/414

Mis en ligne le lundi 28 septembre 2015


Cour du travail de Liège, 8 mai 2015, R.G. 2014/AL/414

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 8 mai 2015, la Cour du travail de Liège examine le droit pour une mère en séjour illégal à bénéficier d’une aide sociale, eu égard à la régularisation du séjour de ses enfants (octroi du statut de réfugié), examen effectué à partir de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Les faits

Une demande d’aide sociale financière (équivalente au revenu d’intégration sociale) est introduite par une mère de famille, celle-ci, de nationalité étrangère, faisant valoir l’impossibilité médicale pour elle de retour dans son pays d’origine, eu égard à sa propre situation psychologique mais surtout aux problèmes médicaux affectant ses enfants (épilepsie, énurésie).

Une expertise médicale a été ordonnée, précédemment, afin d’examiner à la fois la situation personnelle de l’intéressée ainsi que celle des enfants (2). Parallèlement, ceux-ci se sont vu reconnaître le statut de réfugié, en décembre 2014 et disposent ainsi d’un droit de séjour illimité. Vu cet élément nouveau, la cour du travail a ainsi posé la question de l’application au litige de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, en tant que fondement de la demande.

La modification de la situation des enfants rend, en effet, inutile la mesure d’instruction médicale sollicitée et la cour entend examiner le litige sous l’angle de la garantie du maintien de l’unité familiale. En effet, l’application de l’article 8 de la C.E.D.H. implique que doivent être fournis à la mère, en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, les moyens de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Décision de la cour du travail

La cour examine dès lors cette disposition spécifique de la C.E.D.H., qui garantit à toute personne le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que de son domicile et de sa correspondance. L’ingérence publique est autorisée mais à des conditions strictes, étant que (i) elle doit être prévue par la loi et (ii) elle doit constituer une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire en vue d’assurer des garanties fondamentales (sécurité nationale, sureté publique, bien-être économique, défense de l’ordre, prévention des infractions pénales, protection de la santé ou de la morale ou encore protection des droits et libertés d’autrui). L’objet de cette disposition est de garantir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics.

La cour du travail rappelle de nombreux arrêts de la Cour européenne, qui ont appliqué cette disposition à la situation des étrangers en séjour illégal. Dès lors qu’il s’agit de porter atteinte à un droit protégé par l’article 8, les interventions de l’autorité publique doivent être nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire qu’elles doivent être justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, être proportionnées au but légitime poursuivi.

Il s’agit dès lors d’examiner conjointement la protection de l’article 8 et la ratio legis de l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS.

Les articles 3 et 8 de la C.E.D.H. sont des engagements souscrits par l’Etat belge au niveau international, qui ont un effet direct. La cour rappelle la jurisprudence selon laquelle l’article 57, § 2, ne saurait trouver à s’appliquer à l’étranger en séjour illégal s’il y a atteinte à ces deux dispositions de la Convention. Elle souligne notamment un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 6 juillet 2006 (Trib. Trav. Bruxelles, 6 juillet 2006, R.G. n° 5010/06, www.sdj.be) qui a admis qu’un étranger qui ne peut être expulsé sous peine de violer une disposition directement applicable de droit international ne peut être considéré comme un étranger en séjour illégal au sens de cette disposition.

En l’espèce, l’intéressée a reçu un ordre de quitter le territoire et, si celui-ci devait être exécuté, il y aurait division de la cellule familiale.

La cour rappelle encore que les enfants ont été fortement traumatisés. Appliquer à la mère l’article 57, § 2 de la loi, porterait, en conséquence, atteinte au droit à la vie privée et familiale de celle-ci et ce « durement et irrémédiablement », atteinte sans rapport raisonnable de proportionnalité, dans une société démocratique, avec l’objectif légitime poursuivi par le législateur (cet objectif étant de voir respecter sa politique d’immigration et d’assurer le bien-être économique du pays).

En l’espèce, l’aide sociale ne peut être limitée à la seule aide médicale urgente. La cour fait dès lors droit à la demande et alloue cette aide sociale équivalente au revenu d’intégration (taux attribué aux personnes à charge et majoré des prestations familiales garanties).

Reste encore à déterminer la question des arriérés d’aide sociale, qui fait l’objet d’une réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Au départ, vu le caractère illégal de son séjour, la demanderesse ne pouvait en principe prétendre qu’à l’aide médicale urgente. L’on peut relever sur la problématique en cause que dans un arrêt du 30 juin 1999, arrêt n° 80/99), la Cour constitutionnelle a estimé que cet article est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution s’il est interprété comme étant applicable à des personnes qui, pour des raisons médicales, sont dans l’impossibilité absolue de donner suite à l’ordre de quitter le territoire.

Un arrêt ultérieur, du 21 décembre 2005 (arrêt n° 195/2005), a précisé que cette règle vaut également pour les personnes qui sont atteintes d’un handicap lourd et qui ne peuvent pas recevoir des soins adéquats dans leur pays d’origine.

L’on peut dès lors considérer comme acquis sur la question que s’il y a impossibilité (médicale) de retour, les restrictions de l’article 57, § 2 ne sont selon cette jurisprudence pas d’application.

Dans la présente affaire, la cour s’était attachée dans un premier temps à examiner la situation sur le plan médical, examen qui a tourné court, puisqu’un élément nouveau est intervenu en cours de procédure permettant de faire appel à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La cour du travail rappelle très judicieusement la position de la jurisprudence selon laquelle dès lors qu’un étranger ne peut être expulsé sous peine de violer une disposition internationale directement applicable, il ne peut plus être considéré comme étant en séjour illégal au sens de l’article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976.


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