Terralaboris asbl

Non-paiement de la rémunération et règles de prescription

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. 2013/AB/781

Mis en ligne le mardi 27 octobre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. n° 2013/AB/781

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la distinction entre l’infraction instantanée et le délit continué ainsi que l’incidence de la qualification retenue sur les règles en matière de prescription. L’arrêt est rendu en matière d’arriérés de pécules de vacances.

Les faits

Un représentant de commerce est amené à introduire une procédure contre son ancien employeur en paiement de diverses sommes, parmi lesquelles des pécules de vacances (les autres postes ayant fait l’objet d’un commentaire précédemment, s’agissant de l’ensemble des réclamations d’indemnités : complément d’indemnité compensatoire de préavis, indemnité pour harcèlement et indemnité d’éviction).

La question des pécules de vacances est spécifique, dans la mesure où l’intéressé bénéficiait d’une rémunération variable et qu’il introduit une demande après la rupture du contrat, intervenue en novembre 2010, pour des pécules de vacances sur les bonus de 2003 à 2009.

Position des parties en appel

Le travailleur, dans sa réclamation, se fonde sur l’existence d’une infraction pénale, pour laquelle il y a lieu d’appliquer un délai de prescription de cinq ans, la date de prise de cours débutant le 15 décembre 2010. Il se fonde sur l’existence d’une infraction continuée.

Pour la société, il y a prescription et, pour ce qui n’est pas prescrit, il y a eu paiement.

Position de la cour du travail

La cour relève en premier lieu que le ministère public fait valoir que, en l’absence de dossier pénal démontrant l’existence d’une infraction il n’y a pas lieu de se référer au délai de prescription en droit pénal.

La cour passe à l’examen des règles applicables, étant en premier lieu l’article 26 du Titre préliminaire CPP selon lequel l’action civile résultant d’une infraction se prescrit selon les règles du Code civil (ou des lois particulières), cette prescription ne pouvant intervenir avant l’action publique.

Un principe spécifique en droit pénal social est que les infractions aux dispositions qu’il contient ne requièrent pas d’intention délictueuse particulière, l’élément moral pouvant, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, se déduire de la seule circonstance que le fait a été commis (la cour renvoyant notamment à Cass., 31 janvier 1989, R.G. n° 2484).

L’action civile se prescrit dès lors en principe par cinq ans, puisqu’elle trouve sa source dans un délit et il s’agit également du délai de prescription de l’action publique.

La cour rappelle encore qu’avant l’entrée en vigueur du Code pénal social, le non-paiement du pécule de vacances constituait une infraction sanctionnée par l’article 54, 2° de la loi du 28 juin 1971 sur les vacances annuelles. Actuellement, le Code pénal social prévoit une sanction de niveau 2.

Sur le plan des amendes, dans le cadre de la loi du 28 juin 1971, elle était de 26 à 500 euros et actuellement de 50 à 500 euros pour l’amende pénale ou de 25 à 250 euros pour l’amende administrative.

Il y a dès lors lieu d’examiner le point de départ du délai de prescription de l’action civile résultant de cette infraction pénale.

L’infraction a un caractère instantané et, dès lors, la prescription prend cours dès qu’elle est commise.

Cependant, la Cour de cassation admet également la théorie du délit collectif (également qualifié d’infraction continuée), hypothèse dans laquelle est exigée une unité d’intention délictueuse. La cour reprend longuement les décisions intervenues au niveau de la Cour suprême sur la question, d’une part sur la définition de l’unité d’intention délictueuse, qui suppose que les infractions soient liées entre elles par la poursuite d’un but objectif et par sa réalisation (ce qui amène à les considérer comme un seul fait, à savoir un comportement complexe) et d’autre part sur le pouvoir souverain d’appréciation par le juge du fond de la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse.

Il faut donc, pour la cour du travail, vérifier en cas de violation répétée d’une obligation, que celle-ci est articulée sur un même but, à savoir le non respect du droit social. Il n’y aura pas infraction continuée si, par exemple, la violation répétée de l’obligation en cause est la conséquence d’une ignorance de son existence (la cour renvoyant à C. trav. Bruxelles, 10 octobre 2006, R.G. n° 42.487). L’examen du but poursuivi doit dès lors être opéré. Pour la cour, cet examen a, ainsi, été fait par la Cour du travail de Mons dans un arrêt du 18 janvier 2010 (C. trav. Mons, 18 janvier 2010, R.G. n° 2007/AM/20.768), qui a estimé avéré l’objectif poursuivi par l’employeur, qui était de « réaliser des économies » et ce en ne versant pas la rémunération due ou encore par la Cour du travail de Gand (C. trav. Gand, sect. Gand, 14 novembre 2011, T.G.R. – T.W.V.R., 2012, liv. 4, p. 284 cité dans l’arrêt), qui a quant à elle admis que constitue une infraction continuée le non-paiement du pécule de vacances pendant plusieurs années, intervenu pour la même raison, à savoir l’opinion erronée qu’aucun pécule n’est dû sur une commission.

En l’espèce, dès lors qu’il y a une action ex delictu, le délai est de cinq ans, et ce indépendamment donc de l’article 45ter des lois coordonnées du 28 juin 1971.

La société n’expose pas les raisons pour lesquelles le pécule de vacances n’a pas été payé sur la rémunération variable pendant toute la période et elle n’invoque même pas son ignorance – puisque pour la dernière année elle a effectué ce paiement et qu’elle s’appuie d’ailleurs sur celui-ci pour considérer qu’elle est déliée de toute obligation.

A défaut d’établir une cause de justification il y a dès lors infraction pénale. Il s’agit en principe d’une infraction instantanée.

Eu égard à l’argument soulevé par le travailleur de l’existence d’un délit continué, la cour constate que la position de l’employeur – qui n’a pas payé mais qui admet implicitement connaître son obligation puisqu’il l’a fait pour la dernière année - permet de conclure que la répétition de l’infraction est la manifestation de la volonté de ne pas respecter le droit social. Le délit continué est dès lors admis.

La demande n’est pas prescrite et, les montants n’étant pas contestés dans leur calcul, il y est fait droit.

Intérêt de la décision

La question spécifique examinée dans l’important arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 22 avril 2015 illustre un point important en droit pénal social.

Nous renvoyons à cet égard au commentaire fait d’un récent arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2015, (S.15.0003.F). Dans celui-ci, qui concernait des arriérés de rémunération, la Cour suprême a sanctionné un arrêt de fond qui avait conclu que le non-paiement de la rémunération constitue un délit continu. Il s’agit, pour la Cour de cassation - qui a ainsi confirmé sa jurisprudence constante - au contraire d’un délit instantané. Celui-ci entraîne comme particularité sur le plan de la prescription que celle-ci débute lors de la commission du fait lui-même.

Pour pouvoir appliquer une autre règle de prescription, à savoir pour faire démarrer le délai au dernier fait commis, et ce dans le cadre d’une réclamation portant sur l’ensemble d’une période infractionnelle, il faut que les conditions du délit collectif (ou délit continué) soit remplies, étant que la preuve de l’existence d’une même unité d’intention soit apportée. Dans le commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2015, nous avons donné des exemples quant aux divers types d’infractions.


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